Parachat Vayéra – Avraham: L’homme qui réunit l’humanité

Parachat Vayéra – Avraham: L’homme qui réunit l’humanité

Avraham : Emouna ou Hessed ?                    

Avraham avinou, « ancêtre de tous les croyants », qui a héroïquement combattu l’idolâtrie des gens de sa génération, apparaît dans notre paracha comme un homme spécialement investi dans les actes de bonté, au point où le Maître du monde le décrira comme celui « qui ordonnera à ses fils de garder le Chemin de Hachem en pratiquant la justice et le jugement ». L’on entend par Chemin d’Hachem – les actions de hessed, comme nous l’apprend la guémara Kétouvot (8).

Car en réalité, l’altruisme et la foi en D-ieu ne sont pas deux données indépendantes, leur origine est commune. Dans les deux cas, il s’agit de sortir de sa bulle et réaliser qu’il existe autre que soi. Hormis cela, le hessed authentique n’est pas une qualité naturelle, son objet est de tenter de s’identifier à la conduite du Créateur du monde en prodiguant le Bien !

A partir de notre paracha, nous pouvons identifier une nouvelle dimension reliant le hessed et la Emouna.

L’expression la plus flagrante de la bonté de Avraham avinou s’exprime à travers sa réception des malakhim, décrite avec force détails dans notre paracha. La suite de cette section qui a trait à la destruction de Sodome, tourne également autour de la question d’hospitalité. D’un côté, nous avons Loth qui, cherchant à imiter Avraham, accomplit la mitsva d’accueillir des invités de passage. Et de l’autre, nous avons les gens de Sodome qui s’opposent radicalement à une telle action au sein de leur ville. De surcroît, la ville de Sodome est détruite précisément à l’issue d’un conflit à ce sujet: « un individu vient séjourner, et veut faire sa loi [d’autoriser l’hospitalité] » (Béréchit 19; 9). Apparemment, l’acte d’hospitalité recèle en lui la différence profonde entre la bonté d’Avraham et le vice des gens de Sodome.

Il nous revient donc de réfléchir à ce qui singularise cette mitsva d’hospitalité par rapport aux actions plus courantes de hessed ?!

Avraham avinou unifia le monde entier

Il est écrit dans le midrach (Béréchit raba 39; 3) « ahot lanou kétananous avons une petite sœur » (chir hachirim 8; 8) – il s’agit de Avraham qui rassembla (en hébreu de la même racine que ahot) les gens du monde, comme quelqu’un qui colmate une brèche.

Le midrach nous dévoile que Avraham fut le premier qui eut un regard fédérateur sur le monde. Auparavant, le monde semblait un rassemblement hétéroclite d’individus et d’éléments, sans aucun lien particulier entre eux. Même les êtres humains ne se sentaient aucune affinité l’un avec l’autre. C’est ce qui conduisit le monde à sa perversion à l’époque du déluge, où l’humanité entière baignait dans le vol et l’immoralité, car chacun ne se préoccupait que de lui-même. En réaction à l’égoïsme de la génération du déluge, la suivante, celle de la tour de Bavel s’unifia. Mais c’était pour se faire un renom, et non par véritable solidarité. Par conséquent, leur regroupement consistait à annuler totalement l’individu et le sacrifier sur l’autel de la collectivité, comme le rapportent nos Sages : « si un homme tombait de la tour et mourait, personne n’y prêtait attention. Par contre, lorsqu’une brique tombait, les hommes s’asseyaient à terre et la pleuraient! » Même Noah lui-même, qui avait foi en Hachem, se soucia uniquement de lui même et ne parvint pas à concevoir le monde comme une seule entité.

Avraham avinou fut le premier à proclamer que l’essentiel de la Emouna consiste à croire que Hachem Ehad – Dieu est un, et que par conséquent le monde entier est forcément lié. C’est une erreur de dire que Avraham fut le premier monothéiste de l’histoire. Certains le précédèrent dans cette croyance en un Dieu unique, comme Hanokh, Noah, Chem, Ever, Iyov et Malkitsédek.

En fait, Avraham avinou ajouta une dimension dans la compréhension de l’Unité Divine, en exprimant que cette unité s’étend à toute la terre. Il initia l’idée que, de même qu’il existe un seul D-ieu, de même, toute la Création est une seule entité, comme les branches d’un arbre sont toutes rattachées au même tronc. C’est pourquoi il entreprit de répandre le Nom d’Hachem dans le monde entier, en convertissant les gens à sa foi. Pour lui, la Emouna ne pouvait se réduire à une seule personne, mais était forcée de s’étendre au monde entier.

Il est écrit dans Yéchaya (51; 2) « Observez Avraham votre ancêtre… car Je l’ai appelé Un ». Le sens premier est que Avraham était unique en son genre sur terre. Mais il nous est également permis d’expliquer qu’il avait compris que le monde est Un ! C’est aussi de cette façon que l’on peut expliquer le verset dans Yéhezkel (33; 24) « Unique était Avraham ».

Par ailleurs, le prophète qualifie Avraham en ces termes « la descendance de Avraham Mon bien-aimé » (Yéchaya 41; 8), ce qui  nous apprend que Avraham se singularisait par son amour. Le mot « ahavaamour » a lui-même pour valeur numérique « ehad – un » car tout le sens de l’amour tient dans l’union et la fusion avec l’autre. Et, comme nous l’avons dit, Avraham désirait unifier toute la Création. C’est ce qui lui fit gagner d’être béni par Hachem en ces termes : « et seront bénis (nivrékhou) par toi, tous les peuples de la terre ». Le mot « nivrékhou – seront bénis » peut être compris selon l’étymologie « léhavrikh » dont la signification est « assembler ».

Ce n’est pas par hasard que Avraham apparaît dans la Thora immédiatement après l’épisode de la tour de Bavel, génération où l’humanité fut divisée en 70 nations. Précisément suite à la l’anéantissement de l’unité fallacieuse de cette génération, apparaît Avraham. Il faut voir là l’objet de sa mission, celle de relier et unifier le monde, non pas pour se faire un nom comme la génération précédente, mais car l’existence d’un D-ieu Unique justifie l’unité de sa création. Pour cela, il lui faudrait édifier la nation juive, car celle-ci est au cœur du monde, comme l’écrit le Maharal (Ner Mitsva): les quatre empires viennent en lien avec les quatre coins du monde, et Israël est au centre du monde, sa vocation étant d’établir la liaison entre les quatre points cardinaux.

Avraham demande d’épargner Sodome, car il existe un lien entre le juste et l’impie

Il est désormais possible de comprendre l’argument de Avraham pour tenter de sauver Sodome. La base de sa revendication portait sur le fait que Hachem soit prêt à détruire le juste et l’impie sans distinction: « ainsi vas-Tu vraiment anéantir le juste avec le méchant ?! » (18; 23), car il serait inique d’appliquer le même châtiment aux innocents comme aux coupables. Aussitôt après, Avraham dit « peut-être y a-t-il cinquante justes à l’intérieur de la ville, vas-Tu vraiment anéantir et ne pas pardonner à ce lieu pour les cinquante justes qui sont à l’intérieur ? » Avraham demande-t-il ici de sauver tout l’endroit y compris les méchants ?

En réalité, Avraham pense que le monde entier est lié comme un corps l’est avec chacun de ses membres. C’est pourquoi, puisqu’il y a lieu de sauver les justes, il convient également de sauver les méchants, dans la mesure où la destruction des uns touche forcément les autres. Ainsi l’explique Abravanel« la mort de leurs proches et voisins entraînera inévitablement un grand dommage ». Dans ce sens ecrit le Ran « comment pourront-ils assister à leur perte, le lieu de leur naissance, leur endroit de résidence ? ».

Même les mécréants sont liés aux justes et forment une seule communauté, d’ailleurs la racine du mot « ציבור Tsibour – communauté » forme l’acrostiche des mots « Tsadikim – les Justes, Bénonim – les moyens, Réchayim – les méchants. »

Les malakhim détruisirent Sodome en voyant qu’ils n’étaient pas liés à Loth

En réalité, Hachem partageait l’avis d’Avraham de ne pas détruire Sodome, ne serait-ce que pour dix justes. C’est pourquoi les malakhim se rendirent à Sodome, dans l’intention de vérifier s’il y avait effectivement des justes, ainsi qu’avait dit Hachem « Je vais donc descendre et Je verrai ; Est-ce que comme son cri qui est parvenu jusqu’à Moi, ils ont fait ? La destruction sera leur punition, et sinon Je saurai » (18; 21). Les malakhim se rendirent chez Loth, et constatèrent qu’il y avait un juste à Sodome qui recevait chez lui des invités tout comme Avraham avinou. Il est possible que pour cette raison, les malakhim aient retardé la destruction de l’endroit, se disant qu’il existait peut-être encore d’autres justes.

A quel moment les malakhim procédèrent-ils à la destruction de la ville ? Après que « tous les gens de la ville s’assemblèrent autour de la maison, des jeunes jusqu’aux vieux, la population de tous les quartiers » (19; 4). Tous les habitants se sont déplacé pour s’insurger contre Loth « un individu vient séjourner, et veut faire la loi ». Leur intention était de blâmer Loth, comment avait-il pu oser enfreindre les lois en place, notamment l’interdiction de recevoir des invités à Sodome ! Quand à faire dépendre l’accusation au fait qu’ « un individu vienne s’installer », cela sous-entend envers Loth: « tu n’as n’a pas le statut de citoyen pour pouvoir modifier les lois locales, tu es toi-même un étranger ici ! » (voir Klei Yakar).

C’est à travers ce comportement et ces paroles que les malakhim comprirent que Loth, considéré comme juste, n’avait aucun lien avec les gens de Sodome, mais était lui-même encore considéré comme un étranger dans cette ville. C’est alors qu’ils entreprirent leur mission de sauver Loth et de détruire entièrement cette ville.

Sodome représentait l’antithèse des principes de vie de Avraham avinou. La législation de cette ville interdisait de pratiquer le hessed et d’offrir l’hospitalité aux hôtes de passage. Ils ne voyaient pas en cette façon d’agir une perversion morale, mais au contraire ils la prônaient en tant qu’idéologie. Ils pensaient que pour construire une vie sociale harmonieuse, il fallait renier la pauvreté. Pour eux, l’assistance à autrui ne pouvait que générer des parasites, et si l’on en venait à assister les indigents, cela contribuerait à maintenir la pauvreté dans le monde. On entend parfois encore de nos jours, ce genre de discours et de philosophie, du genre « je préfère ne pas lui apporter mon aide pour qu’il aille travailler ».

Cette idéologie leur vint de l’endroit même où ils séjournaient. Ils habitaient un pays riche, une terre fertile où il ne manquait rien, comme il est écrit ; « une terre pleinement arrosée ». Ainsi, en arrivèrent-ils à la conclusion que le monde ne connaît aucun manque, et qu’il n’appartient pas à l’un de compléter l’autre, chacun étant lui-même exempt de tout défaut. C’est dans cet esprit que nos Sages nous apprennent dans la michna Avot : « celui qui dit, ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est à toi, porte en lui le trait de caractère de Sodome ! » Ces derniers refusèrent de reconnaître qu’il existe un lien, une cohésion entre les créatures.

Leur erreur venait du fait qu’ils voyaient en l’action de bonté une solution pour satisfaire celui qui est dans le besoin. Avraham nous enseigna le vrai sens de la bonté: le monde est en soi une seule unité, mon argent doit également profiter à l’autre.

Offrir l’hospitalité : créer un trait d’union

Il est dès lors possible de comprendre ce qu’il y a de spécial dans cette mitsva d’accueillir des invités qui particularise Avraham avinou. Ce qui la différencie des autres actions de hessed, tient dans le fait d’introduire autrui dans son domaine privé. C’est ce qui crée un trait d’union et renforce cette conscience d’affinité et de rapport à l’autre. Le fait d’aider son prochain et d’être bon envers lui ne prouve pas que nous somme capable de l’introduire dans notre intérieur, et d’avoir une place pour lui dans notre cœur. La seule façon de créer un véritable lien consiste à lui donner de soi, ou plutôt de son chez-soi.

Cela nous permet de comprendre le propos du Rambam (hilkhot avel 14; 2) à propos de la récompense réservée à ceux qui accomplissent cette mitsva de raccompagner des invités. Elle est supérieure à toutes les autres actions d’hospitalité, y compris celle d’accueillir ces hôtes chez soi. Que renferme cet acte de raccompagner un invité de plus que l’invitation en elle-même ?! Le Chlah Hakadoch (houlin 117) écrit à ce sujet: « cela prouve que les personnes sont encore liées même au moment de leur séparation; bien que les corps se séparent, malgré tout, ils restent soudés par leur essence commune ». Le Noam Elimelekh écrit également (béchalakh) : « lorsque le juste raccompagne son prochain, ils se lient l’un à l’autre dans leur kédoucha et s’unissent. La kédoucha du tsadik qui s’adonne à la Thora protège son prochain en chemin. »

Pour conclure

L’histoire a prouvé à chaque occasion, l’avènement d’une nouvelle idéologie en faveur du bon déroulement du monde, que ce soit le communisme, les dictatures, le capitalisme, le socialisme, ou bien la droite et la gauche d’aujourd’hui. Chacune en son genre, vient donner une réponse à un seul et unique problème, comment composer avec cette différence sociale entre les individus. Comment espérer vivre en ce monde d’hommes criblés d’idées différentes et contradictoires. C’est une difficulté en soi, et ainsi que l’écrit le Maharal, l’homme a été créé roi or il ne peut exister deux rois pour une seule couronne. Comment composer avec une telle contradiction ?!

C’est Avraham avinou qui nous livre la réponse à cette interrogation. Nous sommes en réalité les enfants d’un seul homme, et chacun vient compléter son prochain, puisque nous sommes tous issus de Adam Harichon. Nous représentons tous une facette d’une personnalité plus large, qui ne se trouve pas regroupée en un seul individu mais dans l’humanité toute entière. En comprenant et intégrant cela, nous pouvons réaliser qu’il n’existe pas d’individu parfait et que nous sommes tous entachés de manques, et c’est justement ce qui nous réunit. C’est dans cette intention que Hachem a fait en sorte que les uns soient riches et les autres démunis, pour que l’un s’associe à l’autre.

Chez les nations il existe un gouffre béant entre les hommes, au point qu’ils inventent à chaque occasion de nouveaux moyens de contourner ces différences et trouver des compromis pour y pallier. Cela peut être, en soi, un remède à la problématique. Mais le peuple juif récuse l’origine même de ce problème.

Prions pour que se réalise de nos jour le verset : « Et viendra le jour où Hachem sera Un et Son Nom sera Un ».

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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