Chabbat Hagadol: Le Korban Pessah, un retour à la Maison

Chabbat Hagadol: Le Korban Pessah, un retour à la Maison

Le Chabbat précédant la fête de Pessah a reçu l’intitulé glorieux de « Chabbat Hagadol » ! Il contient certes en lui, les germes de tous les miracles et prodiges de la Sortie d’Egypte. C’est en ce Chabbat que les Bnei Israel reçurent la mitsva du Korban Pessah, premier de toute une enfilade de miracles manifestes liés à la sortie des Bnei Israel d’Egypte.

Le Korban Pessah est la clé de l’essence du Peuple Juif qui vit le jour en ces mémorables instants. C’est d’ailleurs ce qui vient justifier l’insistance du passouk à ce sujet en ces termes : « דבר אל כל עדת בני ישראל – parle à toute l’Assemblée des Bnei Israel ». Cette expression, employée pour la première fois dans la Torah, vient apparemment décrire la nature de ce Korban. Comment appréhender cette nature ?  En intériorisant le fait qu’elle se veut être la base de l’infrastructure de la Nation Juive !! Pour appuyer cette notion, le Maharal définit le Korban Pessah comme le « Service divin d’un peuple uni, envers un D-ieu Unique ». Ainsi, en regard d’une société tellement dispersée telle que la nôtre aujourd’hui, ce sacrifice semble véhiculer un message très spécifique et plus que jamais actuel.

Le Korban Pessah – individuel ou collectif

En se penchant attentivement sur les lois du Korban Pessah, il est intéressant de relever sa particularité et sa différenciation par nature, relativement à tous les autres Korbanot.

Il est d’usage de classer les korbanot en deux catégories : ceux, dits « du particulier » et ceux, répertoriés comme « collectifs ». Ainsi, par exemple, le korban perpétuel –  קרבן תמיד – appartient au groupe des korbanot dits « collectifs ». Quel était leur particularité ? Ces sacrifices consistaient en une offrande au Beith Hamikdach sur laquelle se fondait toute la Communauté. En revanche, l’exemple du sacrifice apporté par la nouvelle accouchée fait partie de la classe des sacrifices « individuels ».

Le Korban Pessah pour sa part, fait exception à la règle. Il est « hors classe ». On peut aussi bien l’intégrer à celui apporté par tout un chacun à titre personnel, que l’amalgamer à ceux offerts sous l’enseigne communautaire.

L’injonction du passouk relativement à ce korban qui exige l’offrande d’un animal par maison souligne l’aspect personnel et individuel de ce korban dans la mesure où il appartient à chaque famille d’apporter le sien propre, comme il est dit : « שה לבית אבות שה לבית- un agneau par foyer paternel, un agneau par maison».

C’est ce qui le différencie du korban communautaire acquis à partir de la « caisse des offrandes », conférant à ce dernier son titre de « collectif », ne voyant plus en l’individu son propriétaire faisant partie d’un groupe d’associés, mais créant une nouvelle entité, une âme collective dénommée « כנסת ישראל – Assemblée d’Israel ». Le Korban Pessah lui, ne répond pas à cette définition. Il n’est pas soumis à un achat fait à partir de fonds communautaires, chaque famille d’Israël en fait l’acquisition à titre personnel, « un agneau par maison » selon la formule consacrée ! De plus il est exclusivement consommé selon le nombre de personnes qui s’y sont associées.

Mais d’autre part, autant son aspect individuel est-il flagrant, autant sa configuration collective n’en ressort-elle pas moins. En effet, son offrande va même jusqu’à repousser le Chabbat et les lois d’impureté ainsi que l’exige tout korban collectif (Pessahim 66). La guémara explique ainsi à ce sujet « étant donné que celui-ci est approché en assemblée, il est considéré comme un korban collectif » (Yoma 51). En ce sens, nous comprenons également que lorsque la majorité du public se trouve en état d’impureté, on ne différencie pas ceux qui sont purs de ceux qui sont impurs, mais tout le monde l’approchera avec impureté, en vertu du principe du korban collectif qui ne supporte pas de différences (Pessahim 79). Ainsi, la notion d’entité collective et d’unité du groupe se révèle-t-elle dans toute sa splendeur !!

Reste entier notre questionnement de départ : comment véritablement définir le Korban Pessah – A quelle classe de korban est-il rattaché, individuelle ou bien collective ??!!

Il semble que ce Korban, qui est le générateur du fondement de notre Nation en tant que Peuple unifié conformément à l’expression utilisée par la Thora « כל עדת ישראל – toute l’Assemblée d’Israel », vient nous apprendre par là le modèle dont se construit une société liée, unie et durable.

La configuration du groupe de façon générale et tout particulièrement celui du peuple juif, est organisée autour de la cellule familiale. En l’occurrence, les familles se réunissent en leurs maisons pour y accomplir l’ordre de consommer le Korban Pessah.

La force d’un organisme : ses succursales

Par le passé, l’histoire a prouvé que ce n’est pas l’importance d’une société commerciale, ni son nombre d’actionnaires, pas plus que son capital, pas davantage la notoriété de son leadership, ou encore les compétences de ses experts qui l’aideront à mener à bien sa mission. Nul besoin de tout cela pour influencer la tendance jusqu’à lui conférer sa pleine puissance et autonomie. La force des plus grands empires, des trusts les plus réputés, repose sur la diversité et le déploiement de leurs succursales, la multiplicité de leurs antennes, même de petite envergure, disséminées sur l’ensemble du territoire. C’est à travers ces petites structures que peuvent s’exprimer les attendus théoriques, et c’est également par leur entremise que pourra se pratiquer l’impact de l’action espérée.

Ce postulat garde tout son sens qu’il s’agisse de l’érection d’une Nation, de petite ou grande envergure. Et dans ce cas, il importe de savoir que l’existence d’un peuple dépend de ses multiples « petites cellules » constituées par les unités familiales de la Nation en question – le père, la mère et leurs enfants. Plus la famille sera saine et robuste, fidèle à sa transmission et son passé historique et plus le peuple auquel elle est affiliée sera solide et puissant.

C’est sur ce principe que repose le secret du Peuple Juif ! Ce secret lui fut transmis dès sa genèse en tant que peuple, via la mitsva du Korban Pessah.

Hachem ordonna à Moché d’enseigner aux Bnei Israel « Qu’ils prennent pour eux, chaque homme, un agneau par foyer paternel, un agneau par maison » Et Moché à son tour leur transmit « Prenez pour vous du menu bétail, pour vos familles ». Quel était le but de cette injonction en réalité ??!! Toute l’intention dans cette mitsva était de réunir tous les membres de la famille autour du Korban Pessah – les installer ensemble – Pères et Fils – comme des hommes libres. Ce n’est que dans une telle ambiance qu’il est possible de construire une véritable structure familiale durable. Une cellule familiale authentique telle que Paro s’est acharné coûte que coûte, à vouloir éradiquer.

La « Maison » – une juste interaction entre intérieur et extérieur

Le mot « maison » est mentionné à sept reprises dans cette Paracha, car la maison est le cœur de tout le sujet de ce Korban particulier.

La définition d’une maison réside dans le fait qu’elle génère un écran de délimitation entre son espace intérieur et celui, extérieur de la rue. Il ne faut pas cependant se méprendre et la prendre pour une cloison de séparation hermétique avec l’extérieur. Car alors, elle serait source d’individualisme, et d’indépendance négative, tel que ce fut le cas au cours de la « génération du Déluge ». Il faut plutôt voir en cette démarcation, une protection qui laisse à la personne la possibilité de préserver son identité intime, sa confiance en soi, son sentiment d’appartenance, la conscience qu’elle a de son être profond.  C’est même là, que réside justement l’opportunité de saisir qui est « l’autre » et permet de se lier à lui.

C’est ainsi que nous comprenons la suite du Passouk. Aussitôt après avoir posé la cellule familiale au cœur de la mitsva du Korban Pessah selon la formule « un agneau par foyer paternel », le passouk poursuit son ordonnance selon laquelle une famille qui comptera plus de viande qu’elle ne lui en faut, sera tenue de la partager en proportion, avec son voisinage, comme il est dit : « si la famille est trop peu nombreuse pour consommer tout un agneau, il prendra, lui et son voisin le plus proche de sa maison, selon le nombre de personnes ». Nous comprenons de là, quels sont les critères et comment se pose la juste définition du mot « Maison ».

La globalisation, une crise de l’identité et l’abolition de la famille

Nous vivons une époque de globalisation et de flou pour tout ce qui touche aux limites, qu’elles soient nationales ou culturelles. Le processus de mondialisation où les gens, les marchandises, les idées, et même un virus invisible, se déplacent et se propagent d’un endroit à l’autre avec la rapidité de l’éclair…

La technologie moderne, la communication à outrance ont fini par percer les murs de la Maison et embrumer les cloisons qui venaient délimiter et fixer les séparations nécessaires entre l’intérieur et l’extérieur. Le solide principe de la Famille s’en est trouvé fortement ébranlé au cœur d’un tel processus. Le taux de natalité ne fait que baisser, le taux de participation des femmes au travail continue à croître, la proportion de divorces explose toutes les statistiques. Dans le monde industrialisé de l’Occident, toutes les deux ou trois familles sont sujettes au divorce… Que dire… Que faire… Que penser ?!!

Comme nous l’avons dit, le Korban Pessah est la base et le support de la fondation de « l’Assemblée d’Israel ». Que vient-il nous enseigner ?! Il nous instruit sur le principe de l’édification d’un groupe homogène et durableSon message est de transmettre à l’homme de tout faire pour préserver sa « Maison », protéger la cellule familiale !!

L’essentiel du Korban Pessah : Le repas familial

Le sang du Korban Pessah en Egypte était offert sur l’« Autel » de la Maison, précisément à l’endroit du passage entre l’intérieur et l’extérieur : le fronteau de la porte et ses deux linteaux !! De plus, l’essentiel du sacrifice était destiné à sa consommation, contrairement aux autres sacrifices dont la consommation n’est pas indispensable pour valider la mitsva. D’ailleurs, pour le korban Pessah, le sacrifice est en rapport avec le nombre de participants à sa consommation comme il est dit : « איש לפי אכלו תכוסו – chacun sera compté en fonction de ce qu’il mange ». Dans le même ordre d’idée, l’abattage du korban Pessah réalisé pour des gens qui ne mangeront pas, comme par exemple, une personne âgée ou un malade, le rend inapte, alors que ceux-ci ont été désignés sur ce korban.

Qu’est-ce qui vient faire la différence ? Et surtout, qu’est-ce que cela vient nous apprendre ?!!

La Thora veut nous faire savoir que l’intention du Korban Pessah est de créer une dégustation en famille qui consolide l’unité familiale autour d’un Service Divin.

La Maison est l’élément vital de notre survie ! Elle nous permet de prendre conscience de nos origines, de nous définir, de nous protéger quant à notre véritable identité, de nous conduire vers ce qui nous détermine, préserve nos origines.

Le coronavirus – Un retour des frontières

En cette douloureuse période, la réalité qui s’est imposé à nous suite au ravage et désastre du « corona », a entrainé en nous de nombreuses réflexions et perspectives. L’une d’entre elles et des plus significatives, est rattachée au confinement absolu de la population, sous peine de sanctions et où chacun est tenu de rester dans sa maison ! Fermeture des frontières ! Proscrite, toute éventualité de communication internationale… Nous sommes tous enfermés en nos maisons avec ce sentiment qu’il s’agit bien là du lieu le plus sûr, face à l’horreur qui se trame à l’extérieur.

A nouveau, nous nous retrouvons pour manger à la maison, pour étudier et nous occuper en nos demeures redevenues accueillantes et chaleureuses. Nous réintégrons la cellule familiale laissée pour compte. Des opportunités pour nous de nous apprécier les uns les autres en ces occasions « forcées » mais bénéfiques de réunions. Il semble qu’Hakadoch Baroukh Hou ait ramené le Monde à sa raison, à de nouveau respect des limites, à une reconstruction de nos identités profondes.

Les réseaux sociaux – plus de communication ou plus d’isolement

Nous avons évoqué le fait qu’à son paroxysme, les moyens de « communication », les technologies les plus perfectionnées et sophistiquées aient fait tomber les garde-fous qui posaient les limites entre l’intérieur et l’extérieur. Malheureusement, force est d’en constater le paradoxe !  Au lieu d’induire le fait que ces ondes de communications engendrent une union plus soutenue, elles ont produit l’effet radicalement opposé !! Elles ont poussé l’homme vers un ressenti de solitude, comme l’atteste ouvertement une enquête de l’Ecole de Médecine de l’Université de Pittsburg. La vie moderne a pour effet de nous isoler les uns des autres au lieu de nous rapprocher.

L’espace virtuel réduit à l’extrême les liens avec le monde physique, laissant l’homme solitaire, voué à lui-même. A contrario, l’unique et véritable lien avec le groupe n’est possible qu’à travers un retour à la « Maison », cet univers intérieur qui seul, permet une réelle construction de la personne.

La nuit du Seder de Pessah 

Aujourd’hui, à notre plus grand regret nous n’avons plus notre Korban Pessah, mais comme nous le savons, cette soirée du Séder de Pessah est pour nous un « substitut » de ce précieux Korban. C’est une nuit tellement spéciale, une soirée où toute l’Assemblée d’Israel se réunit, se regroupe famille par famille, pour raconter l’Histoire de la Sortie des Bnei Israel d’Egypte; et cela, de génération en génération depuis cette nuit mémorable !!

En cette occasion si élevée, il nous appartient de bien intérioriser en nous le concept de « Maison », le fait que nous avons une qui s’est maintenue malgré les turbulences de milliers d’années. Nous avons des racines, et nos familles tout au long des générations, ont maintenu fort l’Arbre ancestral du Peuple Juif et cela, en dépit des plus violentes tempêtes.

Cette année tout particulièrement, pour avoir le bonheur de fêter tous ensemble ce Séder de Pessah dans nos maisons, nous renoncerons d’être incommodés par les différents désordres et bruits naturels occasionnés, nous nous investirons davantage sur le sens profond de cette nuit-là. Reprenons le chemin de la Maison et notre Père au Ciel Lui aussi réintégrera Sa Demeure, Sa Maison !

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

Comments (1)

  • Emmanuel

    Très beau message !
    A interioriser et appliquer en espérant cette année faire le korban pessah en familles avec joie suprême beezrat h !

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