Comment utiliser des ustensiles sans faire Tevilat Kelim ?

Comment utiliser des ustensiles sans faire Tevilat Kelim ?

Question

Une des questions qui a été soulevée de nombreuses fois ces jours-ci, concerne l’obligation de Tevilat Kelim (immersion des ustensiles).

En effet, parmi les conséquences qui se sont imposées à nous en cette période de confinement, nombreux sont ceux qui pour leur première fois se sont retrouvés à devoir passer la fête de Pessa’h à la maison. N’ayant jamais eu l’occasion de s’équiper d’une vaisselle spéciale pour Pessa’h, ils ont été contraints de le faire pour cette année, en se faisant livrer pour la majorité.

La question qui se pose naturellement est de savoir qu’en est-il de l’obligation de Tevilat Kelim ? Nous savons que chaque nouvel ustensile acheté d’un non juif (en métal, en verre ou en porcelaine recouverte d’émaille) doit être trempé dans un Mikvé avant d’être utilisé. Mais comment respecter cette obligation dans une situation ou les Mikvaot sont fermés, ou dans les endroits comme en France où le gouvernent interdit la sortie de chez soi pour ce genre de motif ? Sommes-nous dispensés de faire l’immersion de ces Kelim, où alors devons nous trouver d’autres solutions comme la vaisselle jetable ?

Il faut dabord préciser que la vaisselle jetable n’est pas réellement une solution, car en dehors de la vaisselle de table, les outils de cuisines aussi doivent être trempés, et à ma connaissance ces derniers n’existent pas encore en jetable. A part cela, nous sommes également en droit d’exiger une vraie vaisselle afin d’honorer la fête. Mais comment faire ?

Réponse

Différents avis sur la nature de cette mitsva

Il est vrai que certains des Richonim estiment que cette Mitsva de Tevilat Kelim ne consiste pas à interdire l’utilisation de l’ustensile tant qu’il n’a pas été trempé (Raavia Pessa’him 464; Piskei HaRid Avoda Zara 75b). Mais la plupart des opinions (Or’hot ‘Haim au nom du Rachba, Tour Yoré Dé’a 120) s’opposent à cela et considèrent que sans l’immersion dans un Mikvé, nous n’avons aucun droit d’utiliser l’ustensile. Ainsi tranchent le Rama (Yoré Dé’a 120;8) et tous les décisionnaires.

Cependant il faut savoir que nous distinguons entre l’obligation de tremper le Keli et l’interdit d’utilisation avant de l’avoir trempé. Même si la plupart des avis considèrent que cette Mitsva provient de la Torah écrite, toutefois en ce qui concerne l’interdit d’utilisation tout le monde admet qu’il est d’ordre rabbinique, afin de ne pas en arriver à annuler cette Mitsva de Tevilat Kelim (voir Michna Beroura 323).

Autorisation du rav Auerbach pour un invité à l’hotel

A partir de cela le Rav Chélomo Zalman Auerbach z”l (Min’hat Chelomo 2;66;11) stipule que dans une situation où il n’est pas possible de tremper les Kelim, nous pouvons permettre leurs utilisations sans même les tremper. Il considère que puisque cet interdit n’est que d’ordre rabbinique, afin assurer l’accomplissement de la Mitsva, cela n’est dit que dans des cas normaux où il est possible de le faire.

Cependant les propos de Rav Auerbach ont été dits pour une personne se trouvant à l’hotel, dans lequel il n’a pas la possibilité de tremper les Kelim. Il est donc probable que sa décision ne s’applique uniquement dans un cas similaire où les ustensiles ne nous appartiennent pas, car l’obligation repose sur le propriétaire. Et c’est en s’appuyant sur ces deux arguments, que le rav Auerbach a dispensé l’invité, mais pas dans notre cas où il s’agit du propriétaire lui même.

Il faut aussi ajouter que beaucoup de décisionnaires s’opposent à cette opinion du rav Auerbach, comme le Igrot Moché ou le Hazon Ich (et ainsi il ressort d’autres grands décisionnaires qui n’ont autorisés les ustensiles de l’hotel uniquement pour la raison que cela ressemble à une utilité commerciale).

Le Hefker (abandon) est-il une solution ?

Une des possibilités que l’on pourrait proposer consiste à rendre les ustensiles Hefker (abandonnés sans propriété) une fois les avoir achetés du non-juif, pour ensuite les réacquérir de nouveau. Ainsi on considèrera qu’ils n’ont pas été acheté chez un non juif, mais plutôt acquit du Hefker.

Mais mise à part que pour que ce Hefker soit valable il faudrait le faire devant trois personnes selon le Chouk’han Arou’h (Hochen Michpat 273), chose qui n’est pas évidente dans notre situation. En dehors de cela, cette solution ne semble pas valable pour plusieurs raisons :

  • 1) Etant donné que la personne s’est déjà rendue obligée de tremper ces ustensiles dès lors qu’il les a acquis du non-juif, il ne peut plus se débarrasser de cette obligation du moment qu’ils lui appartiennent, comme l’explique le Maaril Diskin (responsa 5;136).
  • 2) Le fait d’abandonner un objet pour le réacquérir afin d’être dispensé d’une Mitsva, est considéré comme Ha’arama (ruse), et nous ne pouvons pas considérer que ce Hefker soit de plein gré. Ainsi nous trouvons dans le Rama (Ora’h ‘Haim 445,1; voir Michna Beroura 18) au sujet d’une personne qui veut rendre Hefker son ‘Hamets pour le réacquérir après Pessa’h. Cependant ce problème est beaucoup moins gênant pour les avis que la Mitsva de Tevilat Kelim est d’ordre rabbinique, non pas comme l’interdit du ‘Hamets.
  • 3) Même si ce Hefker fonctionne, selon certains avis il faudra attendre trois jours entre le Hefker et la réacquisition (voir Tossefot et Ran Nedarim 43a au sujet d’un Hefker de la récolte pour se dispenser du Maasser).
  • 4) Le Ba’h et le Ktsot (273) estiment que l’avis du Rambam et Choul’han Arou’h est de considérer le Hefker comme un vœu (Neder) uniquement et non comme un véritable abandon.

Toutefois, j’ai vu certains ‘Ha’hamim qui proposent une idée ressemblante. Il s’agit d’abandonner l’objet, mais au lieu de le réacquérir, on pourrait se suffire de l’utiliser sans l’acquérir, ou plus exactement en ayant l’intention de ne pas l’acquérir.

Mais bien que cela résout certains des problèmes précités, cependant il en reste une partie. Et mis à part ça, comme nous l’avons dit, il faut trois personnes présentes lors du ‘Hefker. Il est également difficile de compter sur une formule qui n’a pas méritée d’être citée dans les décisionnaires

La formule idéale est de faire une donation à un non-juif pour une courte durée

La seule solution valable est celle citée dans le Chou’han Arou’h même (Yoré Dé’a 120,16), pour tout celui qui a oublié de tremper les Kelim avant Chabbat. Il s’agit d’offrir l’ustensile à un non-juif et de le lui emprunter. Le Rama ajoute qu’ainsi il est recommandé de faire même lors d’un jour de ‘Hol dans le cas où il n’y a pas de Mikvé.

Cependant, il existe deux restrictions :

  • 1. Pour le Taz cette formule n’est valable que pour une courte durée comme pour un Chabbat ou Yom Tov, mais s’il a l’intention de l’emprunter sans limite cela est considéré comme un achat (pas moins que pour le cas d’un gage appartenant à un Goy et se trouvant chez un juif pour une longue durée, où la Hala’ha oblige de faire la Tevila). Par conséquent, le Taz ajoute qu’après Chabbat il faudra tremper les Kelim sans Bera’ha.
  • 2. Le Rachbach (468) stipule que cette solution ne pourra pas être appliquée en donnant l’ustensile à son serviteur ou même sa femme de ménage, car même après leur avoir fait cette donation, l’objet est toujours considéré comme étant dans la possession du maître ou du chef de maison.

Conclusion

La solution idéale est de faire une donation des ustensiles à un non-juif dans un premier temps. Cela sans avoir besoin que le non-juif soulève l’objet, de la même façon que nous vendons notre ‘Hamets. Et dans un second temps d’emprunter ce même objet du non-juif pour la fête.  Mais bien entendu du fait qu’il n’y a pas de soulèvement de l’objet, il faut que l’acquisition pour le non-juif soit faite par un rabbin expert en la matière. Comme nous l’avons cité, il vaut mieux faire appel à un Goy autre que sa propre femme de ménage.

Il est important de préciser, que cette solution n’est valable pour Pessa’h uniquement, mais pas pour une longue durée. Et donc, à l’issue de la fête on ne pourra utiliser l’ustensile seulement après l’avoir trempé dans un Mikvé, mais sans faire de Bera’ha (ou en s’acquittant d’une Bera’ha sur un autre ustensile).

Dans le cas où une personne arrive avant la fête en se rendant compte qu’elle a oublié de faire cette formule, elle pourra à posteriori s’appuyer sur l’avis de rav Auerbach qui permet l’utilisation sans Tevila lorsqu’il y’a aucun autre choix. Toutefois, Il sera recommandé de favoriser les ustensiles en porcelaines ou en verres plutôt que ceux en métal.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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