Parachat Houkat – De l’obéissance à la responsabilité

Parachat Houkat – De l’obéissance à la responsabilité

Les différentes étapes de l’éducation

Tout individu traverse différentes périodes au cours de sa vie, que ce soit dans son évolution physiologique ou psychique. Il passe d’abord par le stade du nourrisson pour ensuite se développer, mûrir, pour devenir par la suite un adolescent, puis un homme.

Dans la petite enfance, l’éducation parentale ne se conçoit, ni ne se pratique, sous forme de dialogue explicatif ou raisonnement. Elle s’exprime principalement par la contrainte. Prenons par exemple un bébé qui, attiré par le feu, tend la main en sa direction: son père l’en écarte aussitôt avec autorité, pour le protéger. Il ne formule alors aucune explication pour faire valoir le danger, pas plus qu’il ne pourra l’instruire sur les conséquences néfastes de cet acte inconsidéré.

Tel est le principe d’éducation correspondant à cet âge. Il consiste à initier l’enfant à la vie en l’amenant progressivement à acquérir de « bons réflexes », de « bonnes habitudes » face à des situations déterminées.

A ce stade, le petit enfant est en quête de tout essayer, tout expérimenter. Son appétit de connaissance, sa curiosité vont le pousser vers les moindres nouveautés, s’intéressant à tout ce qui se présente à lui. Il n’aura de cesse que lorsque papa ou maman interviendront pour mettre fin à ses tentatives. Tant que ces derniers n’ont pas réagi à l’extrême, il n’entrevoit aucune raison de modifier son comportement.

A mesure que ce petit progresse et gagne en maturité, il développe une certaine aptitude à comprendre. Il se trouve alors confronté à une nouvelle forme de communication basée sur le dialogue, l’information, la logique d’un raisonnement. Moins abrupte, cette instruction engendre une obéissance différente de celle fondée sur l’autorité.

Toutefois, il semble qu’il existe une étape intermédiaire. Celle où le petit enfant, ayant quelque peu grandi et gagné en autonomie, mérite déjà d’être éduqué en vertu d’une approche liée à l’entendement et l’échange. La difficulté cependant, tient dans le fait qu’il privilégie inconsciemment le fait de s’obstiner à s’attacher à son état premier, qui le pousse à agir sans calculs tel un bébé.

Comment gérer cette transition qui appelle à une maturité, mais qui inconsciemment, est refoulée ?! Comment faire avec cet enfant qui se complait à obéir aveuglément, sans vouloir endosser les nouvelles responsabilités qui l’appellent ?

Notre section apporte un éclairage lumineux sur ces problématiques liées à l’éducation, à travers l’un des épisodes les plus délicats du `Houmach.

L’épisode de « Mé Mériva »

Notre Paracha a trait à la quarantième année passée dans le désert, après avoir passé sous silence les 38 années précédentes. Et c’est dès l’amorce de cette dernière année que survient l’évènement tragique concernant l’un des trois dirigeants du Peuple, en l’occurrence, la mort de Myriam ! Suite à cela, le puits qui, par son mérite, fournissait l’eau à Israel et les avait accompagnés durant tout leur périple cessa de jaillir. Plus encore, selon le Midrach, il était simplement inconcevable que Myriam reste en vie tandis que le puits disparaîtrait. C’est justement là que vient se poser notre interrogation: pour quelle raison ce puits devait-il se tarir ?

La conséquence de cette double disparition ne tarde pas à se faire entendre, lorsque le peuple assoiffé commence à se plaindre et gémir en ces termes ‘Pourquoi avez-vous amené l’Assemblée d’Hachem vers ce désert-ci pour y mourir… Et pourquoi nous avez-vous fait monter d’Egypte… il n’est pas un endroit de semence et de figue et de vigne et de grenade, et d’eau il n’y a point à boire’ (Bamidbar 20 ;4-5). Moché Rabénou se tourne alors vers Hachem, qui lui ordonne de faire sortir l’eau du rocher en disant : ’Prends le bâton… vous parlerez au rocher à leurs yeux, il donnera son eau… et tu abreuveras la communauté et leur bétail’. Moché frappa par deux fois le rocher et de l’eau abondante sortit. Cette action fut comptée comme une faute indiscutable pour Moché, au point d’être dénommée ‘la faute des eaux de Mériva’. C’est elle qui priva Moché Rabénou d’entrer en Erets Israel.

C’est l’une des sections les plus difficiles à comprendre du point de vue de la sanction. Quelle fut exactement la gravité de la faute de Moché et Aharon ?

Les commentaires sont multiples et variés, et chaque commentateur déniche un aspect différent de cette erreur de Moché, ce qui souligne encore davantage le fait qu’il soit particulièrement ardu d’en découvrir la teneur profonde.

Si vous aviez parlé au rocher… j’aurais été sanctifié !

En ce qui nous concerne, nous orienterons notre approche conformément à celle de Rachi (20;12), qui exprime que la faute de Moché consista à avoir enfreint l’ordre d’Hachem qui stipulait de parler au rocher comme il est dit : ‘vous parlerez au rocher’, alors que Moché le frappa de son bâton. S’ils lui avaient parlé, ils auraient sanctifié de Nom Divin.

Cependant, les propos de Rachi ne sont pas totalement clairs, comme s’en étonne le Ramban lui-même. Comment concevoir que le miracle soit perçu de façon plus flagrante par la parole que par les coups ? Comment également interpréter la demande de Hachem envers Moché de prendre avec lui son bâton ? Quel besoin en avait-il si ce n’est pour frapper ?

La question la plus évidente est encore celle de savoir pour quelle raison Moché fut-il si sévèrement puni au point de se voir interdire l’accès à la Terre d’Israel ! Comment parvenir à établir un rapport justifié et équilibré entre la faute imputée et une si lourde conséquence ?!

Les plaintes de Mara et Réfidim

En réalité, ces jérémiades des Bnei Israel concernant le manque d’eau nous sont déjà familières de par le passé. En effet, trois jours après le début de leur voyage, en arrivant à Mara, les Bnei Israel se plaignirent du manque d’eau en disant « Qu’allons-nous boire ? » (Chémot 15 ;24). A cette occasion, Moché écouta avec attention les paroles des Bnei Israel, sans y mêler la moindre once de colère. Ensuite, à Réfidim, le peuple entreprit de se disputer avec Moché en disant « Donnez-nous de l’eau pour boire ! » (Chémot 17 ;2). A nouveau, nous assistons à une réaction des plus paisibles de Moché qui prie en faveur du Peuple: « Moché cria auprès d’Hachem… ». A cette occasion, Hachem ordonne également à Moché « prends ton bâton et tu frapperas le rocher ». Il nous appartient de comprendre la raison pour laquelle dans le premier cas Moché se confondit en supplications alors que dans notre cas de figure, Moché est contrarié au point de tomber sur sa face et Aharon avec lui !

Et puisque nous avons évoqué l’épisode de Refidim, il y a lieu de se pencher sur ce passage qui ressemble de très près à notre Paracha, avec néanmoins quelques différences significatives. Dans le premier cas, Hachem exprime clairement à Moché de frapper avec le bâton, à la différence de notre Paracha où Moché est justement puni pour avoir agi de la sorte. Qu’est-ce qui justifie la différence ? Qu’est-ce qui a changé ?

D’une génération « contrainte » à une génération « autonome »

Ces différentes questions trouvent leur résolution d’après le Midrach à propos de l’injonction « vous parlerez au rocher ».

Il n’est pas dit « vous le frapperez ». Un maître est susceptible de frapper un garçon encore jeune, pour le corriger. Dès lors qu’il grandit, la transmission se fait en vertu de la parole, par le langage. De même, Hakadoch Baroukh hou a dit à Moché: lorsque ce rocher était jeune, tu l’as frappé comme il est dit « tu frapperas le rocher » ! Mais désormais, « vous parlerez au rocher »: enseigne-lui un chapitre et il produira de l’eau.

Yalkout chimoni (§763)

Bamidbar est le livre qui nous fait passer d’une génération de ressortissants de l’Egypte à celle qui s’apprête à entrer en Erets Israel. Un transit entre une génération issue de Mitsraïm, qui a vécu sous l’influence d’une conduite entièrement miraculeuse, totalement démunie de moyens pour affronter un mode de vie naturel, et une nouvelle génération qui n’a pas expérimenté en sa chair tous ces miracles dévoilés, et qui par contre, est parfaitement apte à se mesurer à une vie en deçà du prodigieux. Une telle génération se différencie entièrement de la précédente, elle est prête à l’indépendance, il n’est nul besoin de « bâton » pour lui rappeler la volonté de son Père au Ciel !

Où donc se situe le point de bascule entre ces deux générations ?

La disparition du puits et la mort de Myriam constituent la première épreuve de cette jeune génération, à qui il faudra apprendre à vivre avec une perception Divine non dévoilée, non « visible », s’accordant ainsi les moyens de se mesurer aux réalités de la vie. C’est la raison pour laquelle dans le verset qui souligne que le peuple est affairé à l’enterrement de Myriam, la Thora insiste sur la formule ‘vinrent les Bnei Israel, toute la communauté…’ pour justement indiquer cette transition où tous les anciens étaient morts dans le désert, alors que la nouvelle génération était bien vivante, comme le précise Rachi.

Faire face à la « maturation » : par la confiance

Tâchons maintenant de mieux comprendre cette faute des eaux de Mériva. Nous avons évoqué deux étapes dans le processus éducatif de l’enfant. La première, qui se fait à travers une soumission forcée, et la seconde qui relève d’une compréhension et une intériorisation. Nous avons relevé qu’il existe également une étape intermédiaire, celle où l’enfant a déjà grandi et où il est capable de raisonner, mais n’en a pas conscience et continue à se conduire comme un petit. A ce stade, le père peut communiquer avec son fils pour lui faire entendre qu’il a déjà franchi un cap et qu’il mérite que l’on s’adresse à lui verbalement, sans avoir recours à l’obligation ou aux coups.

Il n’est pas question d’entretien formel. Lorsque le père accorde sa confiance à son fils en lui témoignant qu’il peut compter sur lui, celui-ci comprend de lui-même que quelque chose a changé en lui, qu’il a grandi. De ce fait, il modifie spontanément et automatiquement son attitude propre. Il est important de réaliser qu’à ce stade, le manque de confiance risque d’enrayer à vie ce processus d’autonomie.

La « faute » de Moché

La génération du désert, sortie de l’esclavage pour gagner sa liberté, ressemble à cet embryon dans les entrailles de sa mère. Il se conduit comme ce nourrisson dans les prémices de son développement. C’est pourquoi la conduite Divine envers cette génération se fit selon une Main dure. Une épidémie par-ci, une autre par-là. Cette génération a finalement disparu suite à la faute des explorateurs. La nouvelle génération, bien que jeune, est plus mature, elle a acquis quelque indépendance. C’est ce qui explique que Hachem désire changer son approche envers elle, passer du mode des coups à celui du langage.

Cependant, cette génération n’est pas encore parvenue à ce stade de comprendre cette façon de faire. Elle ne connait que ce qu’elle a vu et expérimenté chez ses pères. C’est pourquoi, elle réagit selon les mêmes caractéristiques qui sont les plaintes, le manque de confiance, les jérémiades, disant ‘pourquoi nous as-tu fait monter… ce n’est pas un endroit de semence, de figue, de vigne…

Moché s’en effraye au point de tomber sur sa face ! Moché, qui a tant espéré entrer en Erets Israel, comptait au plus haut point sur cette nouvelle génération supposée avoir mûri. Lorsqu’il réalise qu’elle réagit exactement comme ses aïeux, il en conçoit un profond découragement et un grand désespoir.

A côté de cela, Hachem ne conçoit aucune colère à leur égard. Il fait même preuve d’une grande compréhension face aux plaintes des Bnei Israel. Contrairement à Moché, Hachem scrute leur intériorité. Il sait que leur réplique à consonance plaintive n’est que superficielle. Elle correspond à leur vécu, à ce qu’ils ont vu de l’attitude de leurs pères. Par contre, dans leur intériorité, ils sont complètement différents. Ils sont désormais aptes à entrevoir une indépendance, à affronter la réalité.

C’est pourquoi Hachem envoie Moché et Aharon comme émissaires pour faire sortir de l’eau du rocher en ordonnant à Moché de prendre le bâton dans sa main, de manière à révéler à tous qu’il n’en fera pas usage comme par le passé mais qu’il parlera – ודברתם, tout se fera en vertu de la parole. Le premier pas était de leur accorder de la confiance, de manière à ce qu’ils en tirent un raisonnement à fortiori. En leur prouvant qu’on leur fait confiance, ils allaient commencer à croire en eux-mêmes.

Moché ne comprit pas ce principe, il utilisa le bâton pour frapper, car face à un rocher qu’importe le bâton ou la parole, comme le soulève le Ramban. Le manque de confiance de Moché envers cette jeune génération, appelée bien évidemment à une nouvelle conduite, prouva que Moché avait par-là achevé sa mission en même temps qu’était passée la génération précédente. C’est là la raison pour laquelle il ne put malheureusement accéder à la Terre d’Israel.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

Comments (1)

  • Emmanuel

    Hazak tres belle cette nouvelle vision de cet épisode si stupéfiant !

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