Parachat Ki Tissa – Le sens de l’encens

Parachat Ki Tissa – Le sens de l’encens

Dans notre Paracha, la Torah énonce les prescriptions relatives au service de l’encens pratiqué dans le temple – la Ketoret. Cette dernière consistait en un assortiment de plantes aromatiques qui, une fois mélangées, étaient réduites en fumée sur l’autel de l’encens – Mizbea’h haketoret, dégageant une senteur puissante, agréable au créateur.

Étant accompli sur le Mizbéa’h, ce culte apparaît comme une forme de sacrifice, traduction même du terme zéva’h. Or, si l’on peut comprendre le rôle expiatoire que jouait l’autel extérieur, où à travers l’aspersion du sang d’une bête immolée, c’est toute la dimension bestiale de l’homme approchant son sacrifice qui doit être repensée, on peut se poser la question sur le sens sacrificiel de l’autel de l’encens, sur lequel, a priori, rien n’était sacrifié.

Pourtant, les textes nous révèlent la grandeur de ce service comme étant le plus estimé de tous, et renfermant en lui des secrets et des pouvoirs très particuliers. On peut lire dans le midrash : «De tous les sacrifices offerts à Hachem, aucun ne lui est plus cher que celui de l’encens. D’ailleurs, l’autel des sacrifices était situé à l’extérieur de la Tente d’Assignation, alors que celui de l’encens se tenait à l’intérieur même de la Tente » (Tanhouma).

Selon le Ramban, seule la réalisation de l’autel de l’encens avait la capacité de finaliser la construction du sanctuaire, permettant ainsi de faire résider la présence divine. C’est ainsi qu’il explique la place insolite de la prescription de “l’autel d’encens” en fin de parachat Tétsavé, curieusement éloigné des autres ustensiles du Mishkan décrits dans la Paracha de Térouma. De plus, on sait que seul le service de la Ketoret était pratiqué dans la pièce la plus intérieure du Temple, le « Saint des Saints », une fois par an à Yom Kippour, permettant au Cohen Gadol (Grand Prêtre) d’y pénétrer.

On découvre aussi un pouvoir formidable à l’encens, capable d’endiguer l’action de l’Ange de la mort. C’est ainsi que Aharon put mettre un terme au fléau qui sévissait dans le peuple suite à la révolte de Kora’h. C’est d’ailleurs ce même ange qui avait dévoilé à Moché le secret de la Ketoret lorsqu’il était monté recevoir la Torah au mont Sinaï.

Plusieurs questions se posent ici: En quoi l’autel de l’encens était si particulier, responsable de la présence divine, plus encore que d’autres ustensiles non moins indispensables? Quel est le secret de cette énigmatique fumigation, capable de stopper même la mort? Et enfin, quel est le sens d’un sacrifice tenant entièrement sur la fumée et l’odeur.

Le mot Ketoret, de la racine de Katar – fumée, fait référence essentiellement à l’odeur exhalée par celle-ci. Ainsi, le terme “Haktara, forme conjuguée de Ketoret, mentionné dans la torah à plusieurs reprises concernant les sacrifices animaux, est toujours rattaché à réa’h ni’hoa’h – les bonnes senteurs. Mais sur ce point, la Ketoret se distingue des autres sacrifices, dans la mesure où son unique action était de produire des odeurs agréables, et hormis cela, il n’en restait rien. Il nous faut donc analyser le sens de l’odorat, un sens parfois négligé, et qui semble être peu sollicité dans nos sociétés de l’audiovisuel et du goût.

Le Gaon de Vilna explique que depuis la chute d’Adam, deux parmi les quatre sens principaux de l’être humain (qui correspondent à un organe du visage) ont été altérés: la vue et l’ouïe. Ces derniers ont alors été vidés de leur vigueur, désormais incapables de procurer un plaisir tangible à l’homme. Seul le sens du goût a maintenu sa plénitude, et reste capable de procurer une réelle jouissance au corps. Quant à l’odorat, qui nous paraît être un sens presque immatériel, il a toutefois partiellement résisté et conservé une dimension physique. Ceci explique l’obligation de prononcer une bénédiction avant de profiter d’une bonne odeur, contrairement aux sons ou images qui en sont dispensés. En effet, L’homme est bien plus dérangé par une odeur désagréable que par une mauvaise image.

Cela ne défait cependant pas la dimension spirituelle de ce sens, appelé Réah – odeur en parenté avec Rouah – esprit. C’est ce qui ressort explicitement du Talmud (Berakhot 43b) qui apprend l’obligation de Bra’ha sur un parfum à partir d’un verset des Téhilim (150) « Toute l’âme glorifiera Hachem » – quelle est la chose qui profite à l’âme et non au corps ? C’est l’odeur. C’est ainsi également qu’à la fin du Chabat, lors de la havdala, on hume l’odeur délicate de Bessamim – aromates, afin de supporter sereinement la séparation du supplément d’âme introduit en nous à l’entrée du Chabat.

On pourra à partir de là expliquer la dimension sacrificielle exposé par le culte de la Ketoret, rattaché à l’odeur. La notion de sacrifice dans la torah consiste à mettre en évidence la victoire de l’esprit sur la matière. La chair succombe mais le souffle de vie s’élève et dégage une odeur agréable au créateur. Cette conception est incarnée par excellence au travers du sens olfactif, qui se situe au cœur même de la confrontation entre Gouf et Néchama, matière et esprit. Portée par des gouttelettes impalpables, l’odeur va stimuler nos cellules sensorielles, pour nous faire sentir ce qu’il y a au-delà du visible et des apparences.

C’est peut être un éclairage sur la manière dont Hachem s’adresse à Avraham au moment de la Akeidat Itshak, le plus grand sacrifice de l’histoire biblique, où il lui dit : pars vers la terre de Moriah, du nom de Mor, qui rappelle l’encens (Myrrhe) offert sur l’autel intérieur [Onkelos]. Alors qu’Avraham est en voie d’approcher une ‘Ola (holocauste), Hachem lui fait écho du service de l’encens, qui est associé conceptuellement à la dimension sacrificatoire.

L’odorat est un sens qui touche notre inconscient au plus profond, et nous aide à franchir la barrière du monde et de la matière dense. Ainsi peut-on expliquer que lors d’un évanouissement où la plupart des sens sont inactifs, l’odorat est capable de réveiller l’homme. De même dans une phase de sommeil, il est prouvé que notre cerveau continue à réagir à certains stimuli olfactifs, d’où l’idée du réveil olfactif.

Nous pouvons à présent mieux comprendre ce pouvoir extraordinaire contenu dans cet encens sacré, capable de stopper même la mort. Quand l’odorat est mis en évidence, c’est le sens même de la vie qui est manifesté. Hachem insuffle l’âme par le nez. De même, notre respiration, indispensable à la vie, d’ailleurs appelée néchima en similitude avec néchama – âme, passe par le nez. En fait, par l’odorat nous pouvons distinguer la vie de la mort. Ce n’est pas un hasard si une odeur répugnante provient d’un cadavre.

Le Arizal nous enseigne que chaque mois est relié à une partie de notre anatomie : le mois d’Adar, au nez et à l’odorat. Par ailleurs, le Talmud (Houlin 139b) nous dévoile que l’allusion à Mordekhaï dans la Thora se trouve dans la Myrrhe, cette plante odoriférante dont la traduction en araméen donne Marédakhyia, qui ressemble phonétiquement à Mordekhaï. Le Maharal de Prague explique qu’à l’époque du royaume d’Assuérus, Mordekhaï est la seule personne qui semble comprendre pleinement le danger de la situation. Qu’est-ce qui a permis à Mordekhaï d’être clairvoyant là où d’autres se sont laissés piéger par les promesses d’une sécurité illusoire? Son sens aiguisé de l’odorat, qui lui permit de flairer une odeur si faible que personne d’autre n’était à même de détecter.

Les odeurs et autres parfums, volatiles, impalpables, difficiles à mettre en image, manquants même de mots pour les décrire, nous permettent pourtant d’entrer en contact avec la subtilité de notre être, créant un pont vers notre âme, vers une réalité qui dépasse les limites matérielles et temporelles de notre existence, celle de la dimension infinie.

En ces mois d’Adar, essayons d’aiguiser notre sens de l’odorat, le plus affiné des sens, tentons de maîtriser nos instincts naturels pour dissiper les mauvaises odeurs de notre « âme animale », et ressembler ainsi aux jeunes gens d’Israël qui n’ont pas connu le goût du péché, de qui exhale une odeur de parfums comme ceux de l’encens (Berakhot 43b), et sur qui s’applique le verset de Chir Hachirim (7, 14) Les mandragores répandent leur parfum (Erouvin 21a).

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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