Ki-Tavo – Les juifs ont-ils un air de famille ?

Ki-Tavo – Les juifs ont-ils un air de famille ?

Dans les guerres de propagande où tous les coups sont permis, la caricature a toujours été une arme de choix. Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer les désormais célèbres caricatures publiées par Charlie Hebdo en 2006, qui avaient valu au journal les foudres des islamistes, avec le tragique dénouement que l’on connaît. Cette semaine s’est ouvert à Paris le procès de cet attentat terroriste.

Malheureusement, les « images de presse » ont aussi joué un rôle majeur dans la diffusion de l’antisémitisme du 19ème siècle à nos jours. L’utilisation des préjugés esthétiques servant alors comme un redoutable outil de stigmatisation. C’est ainsi qu’il y a un an, la une d’un journal d’extrême droite Polonais (Tylko Polska), prétendait expliquer à ses lecteurs « Comment reconnaître un juif ? » à partir de son nom, de sa personnalité ou encore de son apparence. Ce texte entraîna finalement l’interdiction à la vente de cet hebdomadaire.

Mais malgré-tout, nous verrons dans le cadre de cet article, que le Juif doit pouvoir être repérable. L’image de Dieu doit se refléter tant dans son apparence que dans son comportement quotidien. Or, des enfants ressemblants à leur père, sont inévitablement semblables les uns aux autres.

Mont Gerizim et Mont Eibal – bénédiction et malédiction

L’un des événements les plus importants que le Peuple Juif ait connu au moment de son entrée en terre d’Israël fut l’épisode des monts Gerizim et Eibal. A cette occasion, le peuple d’Israël a conclu une alliance avec D-ieu, fondée sur le respect de tous les commandements de la Torah. Ce pacte fut scellé par la lecture aux oreilles du peuple des paroles de bénédiction et de malédiction décrites dans notre Paracha.

הר עיבל (מימין) והר גריזים (משמאל) במבט מהר כביר | מאגר תמונות ירושלים  הגדול ברשת - AAJ
Mont Eibal (droite) et Mont Gerizim (gauche)

Le peuple d’Israël fut divisé en deux groupes : six tribus se tenaient sur le mont Gerizim – place des bénédictions, et six tribus se dressaient sur le mont Eibal – lieu des malédictions. A noter que ces montagnes, Gerizim et Eibal, se situent toutes deux, au cœur de la Samarie, dans la chaîne de montagnes d’Ephraim, où l’on peut voir encore aujourd’hui le contraste de leur configuration. Le mont Gerizim, situé au sud de la vallée de She’hem est verdoyant et les jardins couvrent ses pentes. Le mont Eibal côté nord, est abrupt, aride et désolé.

Les pierres de Torah, sur le mont Eibal ?!

Comme en témoigne notre Paracha, une partie du rituel consista à écrire la Torah sur de grosses pierres et les ériger sur le mont Eibal, comme il est dit :

Lorsque vous aurez passé le Jourdain, vous élèverez ces pierres, comme je vous l’ordonne aujourd’hui, sur le mont Eibal.

Devarim 27; 4
המזבח בהר עיבל – ויקישיבה
L’autel du mont Eibal

Curieusement, les pierres sur lesquelles fut écrite la Thora furent donc dressées sur le Mont Eibal, symbole des malédictions. Comment faut-il interpréter un tel choix ?! Sauf à y voir un certain type de consolation vis-à-vis des six tribus restées sur cette montagne (Hizkouni).

Une difficulté supplémentaire apparait. Ces endroits sont considérés comme lieux de bénédiction et de malédiction. Or, la Thora ne mentionne rien d’autre que onze énoncés de malédiction, alors qu’aucune bénédiction n’est exprimée en contrepartie. Nos Sages nous apprennent dans Sota (37b), que chaque parole de malédiction était forcément précédée de la bénédiction réciproque. Pour quelle raison la Thora n’a-t-elle pas respecté ce principe et détaillé de la même manière les bénédictions ?! Le Malbim lui-même, relève qu’il s’agit là d’une réelle interrogation, car nul n’ignore que la mesure de récompense du Maitre du monde est bien supérieure à la mesure de punition.

« HéemartaHéemirécka » – même racine que « Émir » ?

Pour mieux appréhender ces données, penchons-nous tout d’abord sur ce que nous délivre notre Paracha. Moché conclut son propos par un verset édifiant quant à la relation établie entre Israel et le Maître du monde:

C’est l’Eternel que tu as distingué/héemarta aujourd’hui pour être ton D-ieu, pour marcher dans Ses voies… et l’Eternel t’a distingué/héemirécka aujourd’hui pour être pour Lui un peuple d’élection (Dévarim 26; 17-18).

Les expressions ‘héemarta – héemirécka’ ont fait couler beaucoup d’encre, poussant les commentateurs à chercher une juste définition à ces termes qui, comme le souligne Rachi, ne trouvent ‘aucun témoin convaincant’ dans toute la Thora.

Malgré tout, le Hizkouni propose une interprétation intéressante. Il rapporte que ces termes trouvent leur racine dans le mot ‘Émir’ – formulation utilisée dans le monde musulman pour designer un titre de noblesse. Ils viennent ainsi définir la domination et la supériorité du peuple d’Israël.

Dans le cadre de notre propos, nous tâcherons d’interpréter ces expressions selon un autre regard. Il n’est nullement nécessaire d’aller chercher trop loin en l’occurrence, et pourquoi nous priverions-nous de comprendre ces mots comme étant dérivés de Amir’a – Parole, ainsi que nous le verrons !

Pourquoi dupliquer l’Alliance du Sinaï ?

L’insistance du mot hayomaujourd’hui’, mentionné dans le verset en liaison avec l’acceptation de l’Eternel par Israel pour en faire son Dieu, requiert approfondissement. Que s’est-il passé en ‘ce jour’ précisément ?! Ne sommes-nous pas déjà entrés dans l’alliance avec Hachem quarante années auparavant au Mont Horev ?! N’avons-nous pas également reçu la Thora et les Mitsvot à cette époque ?! Pour quelle raison ce niveau spécial de proximité entre Hakadoch Baroukh Hou et Israel est-il relevé dans ce verset, à l’occasion précisément de son entrée en Terre Sainte, à travers les mots ‘héemarta – héemirécka’ ?!

Nouveau type d’engagement, fondé sur la malédiction !

Comme réponse à ces interrogations, il nous est donné de poser qu’au-delà de l’alliance qui fut contractée au Sinaï lors des dix commandements, notre Paracha vient réitérer ce lien sous un tout nouvel aspect – l’alliance des malédictions ! C’est ainsi qu’il est possible d’expliquer l’insistance du nom Elokim dans le passouk : ‘pour être pour toi Elokim’. Le Or HaHaim Hakadoch nous livre ici un message inédit : les Bnei Israel sont désormais disposés à accepter la Royauté du Ciel en dépit d’une conduite selon l’attribut de Justice Divine la plus stricte – la Midat Hadin !

En effet, jusqu’alors, l’alliance n’avait été conclue que sous l’attribut Divin de miséricorde, à travers le tétragramme Youd-Ké-Vav-Ké ! Jamais sous celui de la rigueur, que réclame le nom Elokim. Et ainsi que nous l’apprend le Ramban à partir de la Parachat Yitro (Chémot 19; 20), chaque commandement dans cette section des « dix commandements » est exprimé avec le Nom spécifique du Maître du monde, Youd-Ké-Vav-Ké, symbole de Son attribut de Miséricorde. Ce n’est que dans la Paracha de cette semaine, au moment de l’accès des Bnei Israel en Terre Sainte, que se renouvelle leur alliance avec Dieu selon une nouvelle formule fondée sur l’Attribut Divin de rigueur. Il nous reste à comprendre comment aborder le sens d’une telle alliance qui s’appuie désormais sur les malédictions ?

La douleur d’une absence – Preuve d’un attachement

קשר טורוס גדול - כסף

Lorsqu’on désire savoir si on est lié à une chose ou à une personne, il suffit de sonder la douleur éprouvée par son absence. De même, l’affaiblissement d’un corps amputé d’un membre vient témoigner de la nécessité de cette partie désormais absente.

Ces malédictions viennent conférer à l’alliance un nouveau caractère et une dimension plus profonde. Elles permettent de transformer les préceptes de la Thora en ordonnances absolues. Car une fois qu’il en est dépouillé, un homme astreint par l’accomplissement des Mitsvot, développe maladie et perturbation. Par leur intermédiaire, il intègre ces commandements comme faisant partie de sa propre personne. La Thora est alors plus proche de son cœur et de son âme.

Par exemple, si nous imaginons que les poissons aient pu un jour vivre sur terre, et qu’à partir d’un certain jour ils soient informés d’accepter la mer comme nouveau lieu de vie, hors de quoi ils périront. Cela signifiera que dès lors, l’eau devient pour eux un élément constitutif, un poisson n’étant plus apte à vivre s’il en est dépourvu.

Entre ‘Tokha’haréprimandes’ et ‘Hokha’ha – preuve’

Les malédictions sont également appelées ‘tokha’haréprimandes’, de la racine ‘hokha’ha preuve’. Le rapport entre réprimande et preuve nous est fourni par la situation de l’homme qui réprimande son prochain. Il le place face à la réalité, prouvant par là l’incohérence de son comportement. Le sens à donner à une alliance qui comporte des anathèmes est de nous enseigner que tout celui qui prend sur lui le joug des Mitsvot y gagne. Par contre, celui qui cherche à s’en défaire deviendra, en étant maudit, une preuve vivante du devoir inéluctable qui nous incombe de garder la Torah.

A la lumière de ces éléments, il est désormais permis de comprendre la raison pour laquelle ces pierres sur lesquelles fut écrite la Thora furent précisément déposées sur le mont Eibal. Le choix de cette montagne comme endroit où déposer notre Thora, vient accentuer le fait que la Thora est devenue une réalité inhérente au yéhoudi, et que sans elle, il est voué à la malédiction.

Hachem et Israel : Un air de famille

Il nous est du même coup possible de donner un nouveau sens au verset ‘héemarta – héemirécka’.

Rav Ch. R. Hirsch rapporte que la racine de ce mot ne peut se comprendre que dans le sens du mot amira – parole à la forme active – à saisir dans le sens de ‘leur faire dire’. Cela revient à dire que chacun d’Israël doit faire dire au sujet d’Hachem « qu’il est pour toi Elokim ». Parallèlement, et dans le même ordre d’idée, le mot ‘héemirécka’ véhicule l’idée que Hachem fera en sorte que l’on dise au sujet d’Israel qu’il est le peuple élu.

Cette nouvelle alliance fait ainsi apparaître une conception inédite jusqu’alors : pour le Peuple Juif collectivement, ainsi que pour chaque Israel en particulier, incombe cette nécessité d’être réputé, être ce Peuple qui se distingue parmi tous, preuve flagrante et incontestable de l’Existence d’Hakadoch Baroukh Hou dans ce monde.

De même que lorsque l’on observe un enfant, nous pouvons identifier la famille à laquelle il appartient, en vertu du « cachet familial » qui se lit sur son visage; de même, par ses traits révélateurs, est-il possible de dire qu’Israel est en famille avec Hakadoch Baroukh Hou. Ainsi, il lui incombe de préserver l’image de son lien avec le Maître du monde.

Le Peuple Juif est dénommé par Hakadoch Baroukh Hou « chéérit nahalato – le restant de Son héritage » (Mikha 7; 18), le mot « chéérit » a pour étymologie le mot ‘chéer – famille proche’. Cette proximité est l’un des fondements des treize Attributs de miséricorde divine, qui s’appuie sur ce verset, comme nous le livre Rabbi Moché Cordovéro dans son livre ‘Tomer Déborah’.

Pour conclure…

En entrant dans la terre d’Israël, nous – peuple d’Israël – avons acquis une nouvelle essence. La Torah qui nous accompagnait déjà depuis quelques années est alors devenue pour nous un organe vital, un membre dont dépend notre âme. Ainsi, nous nous sommes distingués des autres peuples qui parviennent à vivre sans cet organe-là. A partir de là, il n’est peut-être pas illusoire de prétendre que les Juifs ont un air de famille.

https://www.allodons.fr/michne-torah

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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