Parachat Bechalah – L’ouverture de la mer, une Porte vers la liberté

Parachat Bechalah – L’ouverture de la mer, une Porte vers la liberté

Le peuple d’Israël n’est pas soumis aux astres et aux forces supérieures

Malheureusement, ces temps-ci, la permission au fléau a été accordée sans faire de distinction entre le juste et l’impie. Tout comme lors de la Sortie d’Egypte où notre seul remède consistait à s’enfermer dans nos maisons et enduire les linteaux du sang du Korban Pessah. Sans cela, nous aurions subi le même sort que les égyptiens.

Mais rappelons-nous du septième jour suite à cette Sortie où tout a changé. C’est l’intégralité du peuple égyptien qui périt sous nos yeux, au moment même où Dieu transforma la nature pour nous prendre entre Ses mains et nous conduire vers la terre sainte.

A ce moment-là Hachem nous extirpa des Mazalot, des forces supérieures. Désormais Israël n’est plus soumis aux astres mais uniquement à la providence Divine.

Pour celui qui ne s’aveugle pas les yeux, même dans le monde d’aujourd’hui nous vivons sans cesse cette providence particulière en terre d’Israël. Même lorsque Dieu décide de nous réveiller par toutes sortes d’évènements certaines fois douloureux, cela n’atteint jamais la dimension des accidents qui arrivent en dehors de notre terre. Aussi bien en ce qui s’agit des catastrophes naturelles que des horreurs réalisées par toutes sortes de malfaiteurs ou de terroristes. Malgré les très nombreux attentats qui se produisirent malheureusement sur notre minuscule territoire, aucun d’eux s’est approché du nombre de morts des attentats à Paris, en Angleterre ou aux Etats Unis.

Dans notre réflexion, nous allons comprendre en quoi le passage entre les eaux nous extrait des astres et des lois de la nature. Mais cela, seulement pour celui qui intègre le message de cette traversée.

Une traversée indispensable à la création de notre peuple

On associe généralement l’Ouverture de la Mer à un simple sauvetage, à une onzième plaie permettant aux Hébreux de s’extirper du joug égyptien et d’atteindre enfin la liberté. Pourtant, de nombreux indices dans le Texte nous dévoilent la véritable fonction de cet événement exceptionnel.

Le refus divin d’écouter la prière de Moché, un refus apparemment contraire à notre perception de l’aide divine, semble indiquer une envie de bien montrer que la raison profonde de ce miracle n’est pas une réponse à un appel au secours, mais au contraire, cette traversée est indispensable à la création du peuple d’Israel.

Le terme employé par le Texte pour désigner cette Ouverture apporte cette même notion de faire apparaitre une réalité auparavant imperceptible. La racine “BeKA”, a contrario de la racine “PaTaH”, ne fait pas référence à une entrée permettant à des éléments extérieurs de la pénétrer, mais plutôt à un passage pour laisser au contenu de jaillir hors de son écrin. En d’autres termes, l’objectif divin s’exprime dans ceux qui vont s’extraire des eaux plus que dans ceux qui vont y perdre la vie.

Comment alors comprendre l’essence de cet épisode si important de notre Histoire ? En quoi la création du Peuple hébreu implique un miracle si prodigieux, au point d’assécher une mer de ses eaux ?

L’ouverture de la mer à l’image du retrait des Eaux lors de la Création du monde

La réponse réside dans l’œuvre de la Création elle-même. Le troisième jour de la création du monde, D.ieu dit : « Que les eaux répandues sous le ciel se réunissent sur un même point, et que le sol apparaisse » (Berechit 1, 9). C’est-à-dire que la terre résulte du retrait des eaux, qui cédèrent ainsi la place à l’homme pour le laisser s’y installer. Cette manière particulière de donner forme au sol terrestre renferme un message essentiel : elle prouve que la terre ferme n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen d’amener l’homme à reconnaître l’existence du Créateur. Soit dit au passage, c’est pour cette raison qu’à l’époque du déluge – pendant laquelle les hommes s’étaient totalement détournés de D.ieu –, les eaux reprirent leurs droits et envahirent la terre, car celle-ci n’avait désormais plus de raison d’être. Toujours est-il que le retrait des eaux, lors de la Création, fut le catalyseur qui permit la formation de l’être humain, de telle manière qu’il puisse remplir son rôle ici-bas.

Et tout comme pour la création de l’humanité, la naissance du peuple d’Israël requiert elle aussi un « passage » dans les eaux, afin qu’une nouvelle réalité terrestre puisse éclore. C’est pourquoi D.ieu dut assécher les eaux de la mer Rouge, afin de donner le jour à une réalité encore inexistante jusque-là et fonctionnant sous un mode surnaturel, une réalité appelée le « peuple juif ».

Une dimension supérieure à celle de la Création

Si l’on approfondit davantage ce point, on s’apercevra que le processus de « création », lors de l’ouverture de la mer Rouge, fut supérieur à celui de la Création du monde. En effet, selon les termes mêmes du verset : « Ils entrèrent au milieu de la mer, dans son lit desséché. » Il apparaît que la terre ferme se forma au sein même des profondeurs maritimes. Or, nous savons par ailleurs que la mer possède une dimension « hors du monde », c’est-à-dire qu’elle constitue une entité à part. On le voit notamment dans ce verset : « Les cieux et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent » (Exode 20, 12), lequel laisse entendre que la mer ne fait pas partie de la création du ciel et de la terre. Il apparaît donc qu’au moment de l’ouverture de la mer Rouge, les enfants d’Israël pénétrèrent sur une terre qui est « hors de la terre », ils entrèrent dans un monde nouveau qui n’est pas régi par les lois de la nature.

Créations de portes individuelles pour mériter à une Porte qui marquera l’histoire

Cet épisode fut ainsi la concrétisation collective des germes semés – dans une dimension individuelle – lors de la dixième plaie d’Égypte, lorsque chaque Juif enduit le sang du sacrifice pascal sur les poteaux de sa porte. Cela symbolisait le passage vers un nouveau monde, vers une réalité plus parfaite. En effet, Nos Sages comparent ce processus à celui d’un fœtus s’extrayant des entrailles de sa mère (Cho’her Tov Téhilim 107). Au moment de la naissance, les cavités du nourrisson qui étaient jusque-là ouvertes s’obstruent et les conduits fermés s’évasent (comme le souligne le Talmud Nida 30/b). Bien plus : de même qu’un fœtus ne peut venir au monde qu’en traversant ce difficile processus – qui bouleverse entièrement son métabolisme et sans lequel il ne pourrait vivre un seul instant –, ainsi les Hébreux ne purent être extirpés d’Égypte que par un processus d’annihilation de la matière. En ce sens, le nom « Mitsraïm » [Égypte] dérive de la racine « Métsar » [pression ou contrainte], car la nature interdit la séparation entre la matière et ses racines constitutives. Ce n’est donc que par une série de phénomènes surnaturels que l’extraction d’Égypte fut rendue possible, par l’annulation de la matière proprement dite.

Cette même porte enduite de sang symbolisait ainsi la sortie des « frontières » [Métsarim] fixées par les cultes idolâtres égyptiens, et l’entrée dans une liberté authentique, à savoir leur émancipation des forces de la nature. C’est à cette idée que font référence nos Sages lorsqu’ils écrivent : « “Vous teindrez le linteau…“ (Chemot 12, 22) – par le mérite d’Abraham ; “…et les deux poteaux“ – par le mérite d’Isaac et de Jacob. Et par votre mérite, “Il regardera le sang et ne permettra pas au fléau…“ ». En clair, le but de la servitude égyptienne fut de ramener les enfants d’Israël au niveau spirituel des trois Patriarches (cf. Ramban dans sa préface sur L’Exode).

Ce processus débuta au moment de la dixième plaie d’Égypte, avec le sacrifice de l’agneau pascal et la circoncision, qui leur permirent de pénétrer dans un monde nouveau, par une nouvelle porte marquée du sceau des Patriarches. Et se concrétisa sur le plan collectif par l’ouverture de la mer, où les eaux se dressèrent comme une muraille, formant ainsi une Porte qui marquera l’Histoire. Car ce phénomène ne s’arrêta pas avec leur sortie de la mer, au contraire, depuis ce jour, ils s’introduisirent dans une réalité nouvelle – radicalement différente de celle des nations du monde –, une réalité libérée des contraintes de la matière et entièrement gouvernée par le Créateur. C’est pourquoi ils proclamèrent dans le Chant de la mer : « Amène-nous, fixe-nous sur ce mont, Ton domaine, résidence que Tu t’es réservée » (Exode 15, 17) – c’est-à-dire qu’ils aspirèrent dès cet instant à pénétrer en Terre sainte, dans laquelle ils se dissocieraient totalement des nations du monde et entreraient sous l’administration exclusive de D.ieu.

L’ouverture de la Mer et la Mezouza

Ceci explique le lien étroit rattachant la Mézouza à la traversée de la mer Rouge, comme dit le Midrach “Les eaux se dressant en muraille à leur droite et à leur gauche“ (Exode 14, 22) – “à leur droite“ est une allusion à la Mézouza, que les enfants d’Israël viendront un jour à fixer à leurs portes » (Mékhilta Béchala’h, ch. 6). En effet, le principe de la Mézouza consiste lui aussi à extraire le peuple juif de l’emprise des lois de la nature, et à lui conférer une existence autre que celle dans laquelle évoluent les nations du monde. Maïmonide l’écrit explicitement : « En voyant la Mézouza, l’homme s’extirpera de sa torpeur et de ses égarements dans les futilités du temps » (Lois sur les Téfilines ch. 6, 13). C’est aussi le sens de la notion de protection que renferme cette Mitzva, par elle, nous nous extrayons de l’influence astrale et nous nous plaçons sous la domination exclusive du Créateur. De la sorte, il pénétrera dans une existence supérieure, exactement comme lors de la plaie d’Égypte et la traversée de la mer Rouge. À cet égard, nous fixons la Mézouza sur la porte d’entrée, car cette dernière symbolise notre transformation en une réalité différente. La porte marque de son empreinte celui qui y entre et qui en sort, et détermine ainsi son essence et son existence.

Il en résulte que la traversée de la mer Rouge représenta, pour le peuple juif, le franchissement d’un vaste passage, qui les conduisit vers une terre nouvelle et leur offrit une nature nouvelle.

C’est pourquoi les enfants d’Israël sont appelés des « Hébreux » [Ivrim], parce qu’ils « traversèrent » [avrou] la mer.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

Comments (2)

  • dm

    Merci pour la richesse de cette réflexion que vous nous faites partager et dont nous profitons ainsi que ces enseignements !
    Il me semblait que le mot Ivri, assigné à Israel, vienne de Avraham avinou, appelé “Ivri” car se présentant d’un autre bord, de l'”autre côté”, selon une approche différente du monde et surtout de D ieu par rapport aux nations. Par ailleurs, le mot “ivri” est utilisé dans le houmach à propos des Bnei Israel en Egypte, avant même la traversée de la mer. Comment expliquer que ce nom leur ait été attribué à postériori ?
    Je n’ai aucun doute sur le fait que dans ce contexte, l’explication donnée au mot “ivri” ait tout son sens et son fondement, je suis juste curieuse de savoir ce qu’elle apporte de plus à ce qui a déjà été mentionné par la Thora.
    Merci beaucoup
    Brakha vehatslakha !!

    • Rav A. Melka

      Merci. Très bonne remarque. En effet, cette appellation existe dans la Torah bien avant la sortie d’Egypte. Il est vrai que selon le Midrach cela fait référence à Avraham Avibou qui était de l’autre coté de la montagne (Ever Hanahar), mais selon le Couzari et le Iben Ezra ce terme provient de notre ancêtre Ever petit fils de Noah. L’interprétation que nous avons cité dans l’article se trouve également dans le Maaral (Gevourot Hachem, cependant il explique différemment le sens profond de cette traversée comme étant essentielle à la création de notre peuple). Probablement il considère que pour cette raison là uniquement, ce terme de “Ivri” ait été retenu pour designer notre peuple jusque aujourd’hui, bien qu’il était déjà existant. Ou alors Ever lui même a été nommé ainsi au nom du futur. Béatsla’ha.

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