Un acheteur fait tomber un Etrog en chemin pour le montrer au Rav – doit-il payer sa valeur intégrale ?

Un acheteur fait tomber un Etrog en chemin pour le montrer au Rav – doit-il payer sa valeur intégrale ?

Question:

Chimon cherchait à acheter un Etrog à la veille de Soucot, et un vendeur à un stand lui a recommandé une certaine pièce, affirmant qu’elle était particulièrement belle. Chimon s’est intéressé par cette proposition mais a demandé au vendeur s’il pouvait d’abord montrer l’étrog à un Rav avant de décider de l’achat. Le vendeur a accepté et l’a même accompagné pour lui montrer où se trouvait le Rav. Sauf que, sur son chemin, Chimon s’est fait bousculé par un passant qui courait, entrainant la chute du Etrog qui aussitôt fut rendu invalide à la Mitsva. Le vendeur qui a vu la scène de ses propres yeux, réclame malgré-tout le paiement intégral du Etrog, soit la somme de 100 euros. Quelle est la loi halachique?

Réponse:

La Guémara dans baba batra (89a) cite l’enseignement de Chemouel en ce qui concerne celui qui prend un objet du vendeur afin de le tester et vérifier sa qualité avant l’achat, et qu’un accident se produit alors qu’il était dans sa main et qu’il se casse ou s’abime. Chemouel affirme que l’acheteur potentiel est tenu de payer les dommages.

Cependant, la Guémara  ajoute que cette déclaration ne s’applique que dans un cas où la valeur monétaire de l’outil est fixe, car dans un tel cas nous considérons que la personne en question a effectivement acheté cet outil, à la simple condition qu’il n’y trouve pas de défaut. Par contre si la valeur monétaire de l’objet n’est pas fixe, ce dernier reste sous la juridiction de son propriétaire, le vendeur.

Pour illustrer cette loi, la Gémara raconte un incident qui s’était produit dans la ville de Pum Nahara: Un homme avait apporté des citrouilles dans cette ville, et tout le monde est venu et s’est jeté sur celles-ci avec l’intention de les acheter, mais sans avoir encore payé. Le vendeur qui était en colère, ne sachant pas à qui exiger le paiement, s’exclama ainsi: “Les citrouilles sont par la présente consacrées au ciel!”. Les acheteurs se sont alors présentés devant Rav Kahana pour s’enquérir du statut halakhique des citrouilles. Rav Kahana leur dit: “Cette déclaration n’a aucun effet, car une personne ne peut pas consacrer un objet qui n’est pas le sien, et puisque les acheteurs ont soulevé les citrouilles, elles n’appartiennent plus au vendeur”. Une fois de plus, la Guémara souligne que cette loi ne s’applique que dans un endroit où la valeur monétaire de l’article est fixe, et donc la prise de l’objet par l’acheteur équivaut à finaliser la vente.

Cette Halac’ha a été rapporté dans le Rambam (lois relatives à  la vente 4; 14) ainsi que le Choul’han Arou’kh (200; 11).

Zévina ‘Harifa – L’offre inférieur à la demande

Ailleurs, la Guémara nédarim (31a) ajoute une autre condition à l’enseignement de Chemouel, et établit cette loi dans un cas de zévina ‘harifa, c’est-à-dire dans un cas de vente ‘vive’, dans laquelle la marchandise suscite un vif intérêt pour les acheteurs potentiels. Par contre dans un cas contraire, où l’objet ne suscite aucun intérêt aux acheteurs, on considère que c’est le vendeur qui bénéficie de la vente, cherchant une opportunité de vendre son objet. Dans un tel cas, l’objet reste dans le domaine du vendeur même si l’article est vendu à la valeur marchande.

Le Rambam et le Choul’han Arou’kh ont également mentionné cette condition, mais en ajoutant qu’elle n’était nécessaire uniquement si le prix n’avait pas été établi clairement entre eux (à distinguer de la condition évoqué dans la Guémara comme quoi  la valeur monétaire de l’outil est fixe, qui ne s’explique pas comme le fait d’avoir fixé et régi un prix entre eux, mais simplement qu’il y avait un prix du marché fixe de manière général. Voir Maguid Michné).

Cependant, il est intéressant de constater que le Rambam a transcrit l’enseignement de Chemouel ailleurs, mais sans préciser cette condition de zévina ‘harifa (ni même la condition d’une valeur monétaire fixe). Dans les lois relatives aux émissaires (2; 8) le Rambam cite le cas énoncé dans la beraïta dans nédarim (31a) où quelqu’un prend des ustensiles d’un commerçant pour les envoyer à la maison de son beau-père en cadeau et dit au commerçant: “S’ils me les acceptent, je vous donnerai leur valeur, et s’ils le refusent, je paierai quelque chose pour l’avantage que j’ai reçu en montrant à mon beau-père que je veux l’honorer”. Alors si un accident survient aux ustensiles sur le chemin de la maison du beau-père et qu’ils se brisent, l’acheteur est tenu de payer car il a le statut d’emprunteur. Mais si le beau-père n’en a pas voulu et les a rendus au vendeur, et qu’un accident est survenu au retour, l’acheteur est exonéré, car il est comme un Chomer Sa’har (gardien rémunéré).  Et la question se pose de savoir pourquoi le Rambam a ici ignoré ces conditions de zévina ‘harifa et de valeur fixe alors qu’il les a lui-même mentionné ailleurs. Ainsi s’est déjà étonné le Michné Lemélech.

Choel ou Lokéa’h – Emprunteur ou Acquéreur

Afin de répondre à cette question il est d’abord important d’introduire qu’il existe deux approches différentes dans les Richonim en ce qui concerne la logique de cette Hala’cha:

Le Ran et le Roch (nédarim) ainsi que Tossefoth (baba batra) expliquent que prendre un objet du vendeur pour l’inspecter avant l’achat est considéré comme un emprunt, car le statut de Choel (emprunteur) se définie par le fait que tout le bénéfice lui appartient. C’est pourquoi, il se trouve responsable même des infractions complètement indépendantes de sa volonté comme en est  le Din pour tout Choel.

Rachi lui, explique (baba métsia 81a) que nous considérons que la personne qui tient en main l’objet du vendeur avec l’intention de l’acquérir s’il n’a pas de défaut, a effectivement déjà acquis l’outil et pris le statut de Lokéa’h, car le vendeur ne peut plus changer d’avis.

D’après cela, le Netivot (186; 1) explique que le Rambam tient que ces deux raisonnements coexistent, mais que dans certains cas, il ne peut être rendu responsable que selon l’une des deux explications.

C’est ainsi qu’il explique que la condition de zévina ‘harifa (affaire rentable pour l’acheteur plus que pour le vendeur) mentionnée dans la Guémara, n’est requise que vis-à-vis de la logique le responsabilisant comme un emprunteur. En effet, si la nature de l’achat était telle que le vendeur en jouissait également, l’acheteur n’aurait pas été considéré comme un Choel, qui se définie généralement par le fait que “tout le bénéfice lui appartient”. Par contre en ce qui concerne la logique de Rachi, qui le rend responsable comme celui qui aurait déjà acquis l’objet, la nuance de zévina ‘harifa ne trouve pas de sens.

Cependant le Netivot ajoute que bien que la condition de zévina ‘harifa n’est pas nécessaire pour statuer l’acheteur comme Lokéa’h, mais il faut malgré tout qu’il s’agisse d’une zévina métsia (vente moyenne) c’est-à-dire un objet qui n’est ni difficile à vendre ni en forte demande, mais dans un cas de zévina déramei al apéh, c’est à dire une vente ne suscitant aucun intérêt parmi les acheteurs, dans ce cas l’acheteur ne sera pas considéré comme Lokéa’h.

Accident qui survient au retour du Rav

L’implication halachique de cela sera dans le cas où l’accident est survenu au retour de chez le Rav, après avoir décidé de ne pas acheter cet Etrog. A partir du moment où il révèle qu’il n’est pas intéressé par l’objet, il ne peut alors plus être considéré comme un Lokéa’h. Par contre il continue d’être considéré comme Choel, car comme tout chomer (gardien), un choel ne peux se défaire de sa responsabilité qu’à partir du moment où il restitue l’objet au déposant. Mais toutefois, comme expliqué précédemment, ce statut de Choel n’existe que dans un cas de zévina ‘harifa.

A partir de cela le Netivot résout la difficulté dans le Rambam. Concernant celui qui prend des ustensiles d’un commerçant pour les envoyer à la maison de son beau-père en cadeau, où la Beraïta a précisé que si l’accident est survenu au retour, l’acheteur est exonéré de paiement, il n’était possible d’interpréter cela dans un cas de zévina ‘harifa. Car dans une telle configuration, il devient alors Choel, et ne peux se défaire de sa responsabilité qu’à partir de la restitution de l’objet.

Chééla bibéalim

Il existe d’autres implications halakhiques entre ces deux approches: Choel ou Lokéa’h, nous n’en citerons ici qu’une seul, qui apparaît explicitement dans le Yad Rama: le cas de Chééla Bibéalim. C’est-à-dire que lorsqu’une personne emprunte un article pendant que le propriétaire travaille avec lui, elle n’est pas responsable même si l’article emprunté est volé ou perdu par négligence, comme tranché dans le Choul’han Arou’kh (§346). Bien entendu, en ce qui nous concerne, cette exonération n’est applicable que d’après la logique de Choel et non d’après la logique de Lokéa’h.

Un Etrog – Zévina ‘Harifa ?!

La définition de Zévina ‘harifa est comme l’exprime clairement le Ran, un type de marché dans lequel il n’y a un véritable profit que pour l’acheteur, mais le vendeur lui ne profite pas absolument   de la vente, car il pourrait le vendre facilement quand il le voudrait.

D’après cela, il semble que la vente des quatre espèces ne peut être incluse dans cette définition. Après tout, le vendeur détient généralement de nombreux Etrogim, et sans avoir suffisamment de temps pour les vendre. Si c’est le cas, ce dernier est certainement heureux de se débarrasser de chacun d’eux le plus tôt possible, sinon, sa marchandise aura perdu toute sa valeur à la fin de Soucot. Par conséquent, il semble que les quatre espèces soient définies comme «Zvina Métsia», et dans un tel cas, il ne peut pas être considéré comme un Choel mais uniquement comme un Lokéa’h.

Cependant, dans le cas d’un Etrog qui se démarquait par son élégance et était le meilleur étrog en possession du vendeur, il sera alors possible de considérer cette affaire en tant que «Zévina ”harifa». Car cet Etrog, le vendeur sait pertinemment qu’il est en mesure de le vendre à coup sûr.

Comment évaluer le dommage?

Et en ce qui concerne la question de la détermination du prix qu’il devrait payer, nous devons nous interroger comment l’évaluation des dommages est faite concernant les quatre espèces. Ceux-ci ont un tarif spécial en cette saison de Soucot, et la valeur d’un étrog qui n’est qu’apte à la mitsva n’équivaut certainement pas à la valeur d’un étrog beau et sophistiqué.

Le Michné Lemélekh (Maaseh Hakorbanot 15; 7) s’est déjà interrogé concernant une personne qui endommage un étrog méhoudar, s’il peut payer et restituer un simple étrog, car finalement, la valeur principale de l’étrog réside dans la mitsva qu’il nous permet d’accomplir. Ainsi a effectivement tranché le Maharam Mints (§113) à partir de la Guémara dans baba kama (78b) comme quoi si une personne vole un taureau qu’une autre personne avait mis de côté pour une offrande au temple, le voleur peut indemniser le propriétaire avec un mouton ou un oiseau, car le propriétaire pourrait sacrifier cet animal en offrande.

En revanche, le Hacham Tsvi (§120) estime qu’il devrait lui payer la valeur d’un étrog méhoudar, et surtout  s’il s’agit d’un vendeur de étrog, car la définition du dommage doit tenir compte du fait que les étrogim sont mis en vente, différemment du taureau consacré à être une offrande. Il convient de noter que la plupart des décisionnaires partagent l’avis du HachamTsvi (voir Sdei Hémed Maaréchèt Lamed 141; 28.

Et quoi qu’il en soit, dans notre cas où dans la plupart des configurations l’acheteur est considéré comme Lokéa’h, il n’y a pas de doute qu’il devra payer le prix intégral du étrog, surtout lorsque le prix a déjà été convenu entre eux.

Conclusion

En ce qui concerne notre cas, cela dépend tout d’abord du moment où le dommage est survenu.

Si le Etrog est tombé et s’est abimé sur le chemin de Chimon pour aller le montrer au Rav afin de savoir s’il vaut la peine de l’acheter, l’acheteur sera tenu de payer les dommages, sauf s’il s’agit d’une vente qui satisfait plus le vendeur que l’acheteur (une pièce plutôt difficile à vendre), dans laquelle l’acheteur ne pourra être considéré ni comme Lokéa’h (acquéreur) ni comme Choel (emprunteur), et sera alors exempt de remboursement.

Par contre dans un cas de figure où l’étrog tombe sur le chemin du retour, après avoir décidé de ne pas l’acheter, Chimon ne devra dédommager le vendeur uniquement s’il s’agit d’une zévina ‘harifa, c’est-à-dire une vente plus avantageuse pour l’acheteur que pour le vendeur (un Etrog suffisamment beau qu’il se serait vendu facilement), auquel cas celui-ci sera considéré comme Choel (emprunteur)  jusqu’à ce qu’il le rende au vendeur, et sera alors tenu de payer. Mais dans une zévina métsia (vente autant avantageuse pour le vendeur que pour l’acheteur), on ne pourra pas le facturer. Toutefois, dans notre cas précis où le vendeur l’a accompagné pour lui montrer l’emplacement du Rav, il semble que cette affaire sera considérée comme un cas de Chééla Bibéalim (emprunter un article pendant que le propriétaire de l’article travaille pour lui), dans lequel la Torah l’a exempté de toute responsabilité, et donc il sera dispensé de paiement.

Il est à souligner que dans un cas où le prix a déjà été convenu clairement entre eux et que Chimon a soulevé l’étrog avec l’intention de l’acheter, ce dernier sera tenu dans tous les cas de payer les dommages, comme l’a précisé le Rambam ainsi que Choul’han Arou’kh.

Quant à la question du prix à payer, il semble que dans tous les cas, chimon devra rembourser la valeur intégrale de cet étrog, c’est-à-dire, le prix sur lequel ils se sont mis d’accord, ou celui auquel il le vendrait dans un cas où ils n’ont rien fixé.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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