Parachat Vayikra – Une approche du Korban: lier l’Idée à Sa Volonté

Parachat Vayikra – Une approche du Korban: lier l’Idée à Sa Volonté

Notre Parasha traite des korbanot, des sacrifices. A leur propos est écrit “והקטירו הכהן את הכל המזבחה עולה אשה ריח ניחוח לה”

Et Rashi d’expliquer “”שאמרתי ונעשה רצוני, en d’autres mots, si le sacrifice dégage une odeur agréable pour Dieu, c’est en cela qu’il est l’expression de la volonté divine ainsi accomplie. Des lors, il ne nous reste plus qu’à nous demander quelle est donc cette volonté pour saisir le sens des sacrifices.

A première vue, les korbanot semblent archaïques, on égorge une bête qu’on brûle ensuite espérant par cela s’offrir la faveur des dieux. N’est-ce pas là un comportement idolâtre qu’on ne s’étonnerait guère de retrouver chez diverses civilisations païennes, mais dans le judaïsme ?!

Maimonide[1], partageant notre interrogation, la résout de manière radicale. Oui, le culte sacrificiel est essentiellement idolâtre. Mais s’en débarrasser est impossible, la nature humaine est ainsi faite, elle déteste le changement, il faut donc rediriger les sacrifices vers le Dieu unique.

Nombre de rishonim s’opposent avec véhémence a cette explication. Le Ramban[2] argue que Noah, lui-même, en sortant de l’arche, apporta des sacrifices, alors qu’il n’y avait pas encore d’idolâtrie dans le monde. Il avance donc une autre interprétation. L’action humaine s’accomplissant par la pensée, la parole ainsi que l’acte, le korban symbolise l’anéantissement de ces trois composantes du péché. Le feu consumera les intestins, siège du désir et de la pensée, ainsi que les membres, représentant les mains et pieds du pécheur. Enfin, le sang de la bête, figurant l’âme coupable, sera jeté sur l’autel. De cette manière, le fauteur internalisant la gravite de sa faute, est conduit au repentir.

Cette explication parait insatisfaisante, elle ne s’applique qu’au seul sacrifice expiatoire, et repose sur l’invocation d’une image qui risque d’être noyé par le bruit constant du cérémoniel.

Dans le traité Avot[3], on trouve cet enseignement “Shimon Hatzadik, dernier survivant de la grande assemblée, avait pour coutume de parler ainsi : le monde repose sur trois piliers, la Torah, le service et la bienfaisance.” Si la Torah et la bienfaisance ne requièrent aucune explication, on ne sait pas ce que signifie ‘le service’. Les commentateurs dans leur quasi-totalité l’interprète comme faisant référence au culte sacrificiel sans lequel, nous dit le Talmud, le monde ne pourrait subsister. Le Maharal, dans son Derekh Haïm[4], se penchant sur cet enseignement, s’interroge sur la spécificité de ces trois concepts. Pourquoi, demande-t-il, la circoncision ne serait-elle pas aussi un pilier ?

Le Maharal fait précéder sa réponse d’une introduction. L’homme et le monde ne se justifient qu’en tant que porteurs du Bien, et ce même si l’homme est capable de mal. En effet, dans le récit de la création du monde, on trouve répété à chaque nouvelle création “Ki Tov”.

Or, le monde n’existe que par l’homme. Pourtant, au sujet de l’homme, on ne trouve qu’une allusion au Bien dont il est porteur : “”והנה טוב מאד, מאד זה אותיות אדם. Ainsi l’homme porte en lui, tel un code, secret même pour lui, la capacite du Bien, mais cela ne va pas de soi, il lui faut se réaliser. Ce devenir s’accomplit selon trois axes ; l’homme en tant qu’homme, l’homme face à Dieu, et enfin l’homme envers le monde. Soit la Torah, le sacrifice, la bienfaisance.

Nous délaisserons la Torah et la bienfaisance pour nous concentrer sur le service, c’est-à-dire le sacrifice. Le sacrifice est le service premier, fondamental. Tout autre commandement n’est que dérive de ce dernier. Toute relation à Dieu est donc, par essence, sacrificielle.

Il se trouve que l’archétype du sacrifice est Itshak, qualifié d’holocauste parfait[5]Olah temima. De fait, il est bien connu que Itshak représente le Din, la Justice, c’est-à-dire la Causalité en tant que concept a priori. C’est donc le rapport à Dieu en tant que causalité de l’existence qui est engagé par le sacrifice. C’est en cela que le sacrifice est service.

Jusqu’à maintenant, nous avons systématiquement traduit korban par sacrifice, mais rien ne prouve que cette transposition soit correcte. Ainsi, le Shaarei Ora[6] explique qu’étymologiquement, korban vient de Kirouv, rapprochement. Rapprochement des forces divines entre elles, rapprochement du monde à Dieu. Mais comment, par quel biais ?

Si, comme nous l’avons dit, Itshak incarne le sacrifice, c’est donc que le sacrifice est avant tout l’anéantissement de l’homme, cet homme fondamentalement impossible, injustifiable, ou pour utiliser une expression qui a eu son heure de gloire, absurde. Cet homme qui fait de l’ombre à Dieu. Sa seule justification tiendrait à reconnaitre la vacuité de l’humain face à l’absolu divin, à s’annihiler. Le sacrifice animal ne serait qu’une sorte de substitution, un simulacre de suicide. A fortiori, celui qui faute n’a en lui-même plus le droit à l’existence.

Mais ça, Dieu ne le veut pas. Car si le monde ne peut exister par la Justice seule, Dieu lui a mêlé la miséricorde. De même, Dieu ne désire pas la mort du pécheur, ne serait-ce que par procuration. Mais comment résoudre un tel paradoxe ?

Dans le Yalkout Shimeoni se trouve un enseignement qui semble détenir la clé du problème. Y est envisagée la situation du pécheur selon quatre points de vue, celui de la sagesse, de la prophétie, de la Torah, et finalement de Dieu. Les deux premiers nient jusqu’à l’existence du repentir, la seule solution au problème posé par la faute est l’anéantissement. La Torah, elle, introduit l’éventualité du retour par le sacrifice. La Techouvah elle n’est possible que par Dieu seul, elle reste incompréhensible de tout autre.

Cette leçon introduit une dimension nouvelle du korban, une dimension supérieure à la faute, supérieure à la mort. Loin de n’être qu’un acte de mort, le sacrifice serait aussi un acte de vie, un acte paradoxal en somme, ou peut être un acte de synthèse.

Nous avons déjà déterminé que le korban est rapprochement. En se basant sur ce Yalkout Shimeoni, le Maharal[7] explique que le sacrifice permet aussi un retour, une Techouvah, vers Dieu.

Du point de vue de l’homme, le monde, la matière existent à part Dieu. Celui qui faute vit dans un monde désenchanté, vide de sens, de divin, un monde négatif c’est-à-dire un non-monde. Il lui faut donc réenchanter le monde, sublimer le réel en sublimant la matière. En déconstruisant la matière, en la consumant, il découvre que loin de l’avoir anéanti, il a libéré une odeur, une idée, l’idée du monde. Car qu’est-ce que le monde si ce n’est la volonté divine cristallisée, prenant forme.

Or le sacrifice accomplit le processus inverse, on se saisit d’une bête, on la sanctifie, on lui donne un sens. De vulgaires amas de cellules, l’animal devient sacré, porteur d’une idée qui s’exprime justement par la destruction de la matière, l’idée que la matière est porteuse de sens. Ainsi le korban symbolise non pas une idée, mais bien l’Idée. Dans cette optique, le monde n’est que l’expression de la volonté divine, celle-là même qui désire l’existence, חסד absolu, et cela, en ramenant tout à Dieu comme causalité de l’existence, en d’autres mots, dans une démarche de Din, de causalité.

Cette synthèse nous la connaissons sous le nom de רחמים, de miséricorde. Des lors, le fauteur, ou tout celui qui amène un sacrifice, accède à une dimension inédite. Il ne vit plus dans le monde matériel, siège du péché, mais dans le Tout-Divin, ontologiquement pur. Ainsi, sa transgression est comme oubliée, sa Techouva réalisée. Par extension, le korban est le service par excellence en cela même qu’il introduit la divin dans le matériel.

Ainsi, le korban par son odeur, de par son aspect immatériel, ramène le monde à Dieu, rapproche les attributs de justice et de bonté, accomplissant ainsi la volonté Divine, la volonté du monde.

Ne serait-ce pas ça, en définitive, le ריח ניחוח, l’accomplissement de la volonté divine ?



[1] מורה נבוכים ח”ג פרק ל’.

[2] ויקרא פ”א פסוק ט’

[3] פרק א’ משנה ב’

[4] שם

[5] מדרש רבה בראשית פרק ס”ד ג’.

[6] סוף שער ב’ “ולפי דרך זה התבונן כי התפילות עומדות במקום הקרבנות, וכבר ידעת כי סוד הקרבנות הוא סוד קירוב הספירות…ולפיכך נקראים קרבן מלשון קירוב”.ב

[7] נתיבות עולם נתיב התשובה פרק א’.