Nuit du Seder au milieu des ruines de Babylone
Un rabbin militaire américain, Marvin Lang, raconte l’inoubliable Seder de Pessa’h qu’il a passé à l’ombre des ruines du Royaume de Babylone, et des conversations intimes sur les rives de l’Euphrate qui durèrent jusqu’aux premières heures du matin…
Imaginez la sensation de celui, secrètement tapi en territoire ennemi, pleinement conscient qu’à tout moment, un obus de mortier peut s’abattre sur lui et le galvaniser, ou qu’un engin miné risque d’exploser à ses côtés… Autant d’émotions, au beau milieu d’un décor impressionnant, enveloppé des vestiges des plus grands empires qui autrefois, gouvernèrent le monde !
Et là, au cœur du désert irakien, se regrouper avec dix autres soldats sous une tente militaire, alors que souffle la tempête, un ouragan de sable déchaîné…, et verser un verre de vin pour d’une voix forte proclamer : Véhi Chéhamda Lavotéinou…
Il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’il s’agit là, une expérience unique en son genre. Le genre d’expérience que Marvin Lang, rabbin militaire dans l’armée américaine, n’est pas prêt d’oublier et restera gravée en lui, à tout jamais.
L’histoire se passe durant la Seconde Guerre du Golfe, après le renversement du régime de Saddam Hussein. Les forces américaines avaient alors pris le contrôle du pays mais celui-ci était plutôt léger. En de nombreux endroits, des échanges sporadiques de coups de feu allaient bon train, et les incidents de sabotage et autres terrorisme étaient monnaie courante.
Malgré les conditions et la poursuite des hostilités, Lang s’était néanmoins engagé dans les préparatifs de la fête de Pessa’h. « Nous savions à l’avance qu’à Pessa’h, les soldats seraient alors profondément avancés dans le territoire. Nous avons alors préparé de la Matza, du vin, du ‘Haroset et du Maror. Obtenir de la viande Cacher n’était pas chose facile, c’est pourquoi je demandai à un colonel américain d’essayer de nous obtenir du poisson casher. De manière extraordinaire et tout à fait improbable, il revint vers nous avec 60 kilos de saumon surgelé !! ».
Compte tenu de la situation sécuritaire, il fut décidé de véhiculer tout ce matériel dans la zone à l’aide d’un hélicoptère utilitaire. À la veille de Pessa’h 2003, Lang se retrouvait sur une base militaire américaine dans le nord de l’Irak, non loin de la ville d’Irbil. « Nous avons atterri sous une énorme tempête de sable. Tout alentour, n’était que brume et brouillard. A travers le vent et le grondement des hélicoptères, nous fumes forcés de crier pour être entendus ».
Il ne fallut pas longtemps à Lang pour comprendre que s’il voulait organiser une soirée du Seder, il lui faudrait « réquisitionner » les soldats par lui-même.
« L’armée américaine définit les soldats juifs comme étant de ‘faible densité’. Il faut comprendre par-là, qu’ils sont très dispersés. Il est possible de recenser un soldat juif, voire deux…, dans chaque bataillon. La grande majorité de ces soldats ignoraient tout de l’organisation en vue de Pessa’h ! Je pris donc le parti de les rassembler moi-même ».
Quand cette difficulté fut exposée au commandant de la base, ce dernier réalisa aussitôt la problématique, et fournit à Lang un véhicule «Homeway» pour lui permettre de gagner les bases avoisinantes de sorte à pouvoir annoncer l’organisation du Séder de Pessa’h.
Vers le soir, une foule de soldats commença à affluer. Ils arrivèrent, qui en hélicoptère, qui en SUV, d’autres à pied. La plupart d’entre eux étaient des soldats américains, mais il y avait aussi des Juifs qui avaient servi dans d’autres armées et faisaient partie de la coalition internationale : Néerlandais, Russes, Français. Il s’avéra aussitôt que la petite tente désignée pour l’événement n’était absolument pas suffisante pour tout le monde !! Le Seder fut alors transféré dans un lieu beaucoup plus spacieux. Quand Lang se leva et commença à réciter le Kidouch sur la première coupe, l’endroit était bondé.
« Je ressentis à cet instant une sensation fantastique, difficile à décrire », dit-il.
« Près d’Irbil se trouvent les ruines de la ville de Ninive, qui était la capitale de l’empire assyrien qui régnait autrefois sur le monde. Ces vestiges sont particulièrement impressionnants et à ce jour, des milliers de touristes les visitent.
Et voilà que tout près des ruines de ce puissant empire qui, depuis bien longtemps fut anéanti et a disparu de la scène de l’histoire, des dizaines de Juifs du monde entier se rassemblent… Des Juifs anglophones, hébreux, néerlandais et ukrainiens dont le dénominateur commun n’est autre que cet événement extraordinaire à l’origine de la genèse du peuple d’Israël – La sortie d’Egypte !
Quand nous avons commencé à chanter « Véhi Chéhamda » l’électricité dans l’air était palpable. Nous n’avions jamais ressenti avec autant de puissance, l’émerveillement de l’existence juive ».
Pour de nombreux soldats, cette soirée du Seder réveillait des souvenirs endormis. « Parmi nous, se trouvait un combattant coriace qui avait pris part aux combats les plus difficiles… Quand je lui demandai de chanter « Ma Nichtana », il fondit en larmes. Il me révéla alors : « Je me suis battu en Afghanistan pendant neuf mois, mais je t’avoue que c’est la première fois que je pleure ».
Pour d’autres, le Seder leur offrit leur première occasion de faire connaissance avec leur héritage juif. « Nous restâmes éveillés jusqu’à deux heures du matin. Les soldats posèrent des questions sur D.ieu, sur la signification de la Torah, sur le sens d’une identité juive… Soudain, toutes ces questions enfouies en nous firent surface et ressurgirent. Tel est le but de cette soirée prodigieuse – soulever des questions, enseigner les bases de la Foi, renouer avec notre véritable identité et sa Loi ».
Tu raconteras à ton fils…
La mitsva principale de cette nuit du Seder est le récit de la Haggadah, dans laquelle la Torah met l’accent sur la transmission de la Emouna de père en fils et même jusqu’au petit-fils, ainsi que la Torah le décrit : « afin que tu racontes aux oreilles de ton fils et du fils de ton fils, ce que J’ai fait aux Égyptiens et les merveilles que J’ai opérées contre eux ».
Il est intéressant de constater que la Torah mentionne ici, en plus des enfants, les petits-enfants. Il semble que la Torah vienne souligner par-là, que l’essence de cette mitsva n’est pas comparable à la notion d’éducation classique, repérable dans toutes les mitsvot. Le récit de la Hagada est une mitsva particulièrement centrale dans la transmission de la Emouna, de génération en génération, créant une chaîne de générations. La conscience centrale de cette nuit consiste en une expérience d’éducation de nos enfants, une connexion dans la pratique, à la chaîne des générations du peuple d’Israël.
Ne commettons pas l’erreur de croire que l’expérience éducative va de soi. Le simple fait que l’enfant naisse et grandisse dans une maison de tradition et de Torah ne garantit pas que celui-ci saura vivre les expériences du judaïsme et de la religion dans toute leur essence. Si la maison ne remplit pas l’enfant d’expériences vécues de Torah, le Monde se chargera de le remplir par le biais d’autres vaines expériences.
La merveilleuse expérience de l’Exode d’Égypte, des miracles et des prodiges par l’intermédiaire desquels Hachem a fait sortir Israël d’Égypte, est une expérience qui ne se contente pas d’une unique connaissance intellectuelle. Ce n’est en aucun cas suffisant !
Parler dans l’oreille !
La manière dont la Torah a formulé cette mitsva éveille une certaine curiosité. « afin que tu racontes aux oreilles de ton fils… » – l’accent que met le verset sur le sujet de «l’oreille» est plutôt surprenant, et même sans précédent dans les textes. Pourquoi insister sur un fait tellement évident, celui si flagrant que la parole s’entend par l’oreille?!! S’agirait-il ici, d’un secret qui se transmet de bouche à oreille?
En fait, la Torah nous enseigne ainsi, que le père ou même l’enseignant, doivent adapter leur discours aux oreilles de chacun, individuellement. Les oreilles du fils n’étant pas identiques à celles du petit-fils. A chaque génération ses épreuves, à chaque génération son langage.
La Haggadah ne se contente pas seulement de mettre l’accent sur l’importance de l’éducation. Elle nous indique également la manière d’éduquer. Elle décrit quatre fils, et il nous appartient de donner une réponse à chacun d’eux. Chacun selon sa vertu et son rang. À la fois au sage, qui aspire à connaître les lois, et à l’impie qui vient nous défier. Aussi bien aux innocents qui se demandent «qu’est-ce que c’est ?», qu’à ceux qui ne savent pas comment demander.
L’éducateur doit tous les inclure dans son éducation. Un enseignant ne doit pas se contenter d’établir un contact éducatif uniquement avec l’enfant intelligent qui coopère, et ignorer les autres enfants qui ont besoin de plus d’investissement éducatif et de créativité.
L’éducation à la tradition juive fait place à de multiples facettes. Il semble cependant que l’un des points cruciaux consiste dans le fait de suivre les chemins tracés par nos pères.
A notre tour de transmettre cet héritage glorieux à nos fils, afin qu’à leur tour, ils s’accrochent à la Source de vie, pour pouvoir transmettre de même, aux générations futures.