Question:
Il est de coutume dans la plupart des synagogues de vendre les mitsvot ainsi que les aliyah (montées) à la Torah, en particulier les jours comme Roch Hachana et Yom Kippour. Dans une quelconque synagogue, il était d’usage de procéder à la vente de l’ensemble des mitsvot de la journée de Kippour dès le début de la journée. Quand ils ont vendu le célèbre « Maftir-Yona », David a proposé de l’acheter pour 900 euros, mais finalement, c’est Raphael qui a mérité ce Maftir par son offre gagnante de 1000 euros.
Sauf que, pendant la pause entre Moussaf et Min’ha, Raphael s’est endormi chez lui, et n’est pas arrivé à l’heure pour la prière de Min’ha. Le Gabay (responsable) a attendu quelques minutes, puis s’est tourné vers David, qui avait fait une proposition de 900 euros avant de se faire devancer par Raphael, et l’a fait monter à la place de celui-ci pour la lecture du Maftir, sans lui préciser qu’il devra payer ce montant.
Lorsque le Gabay est venu récupérer le don de David après les fêtes, ce dernier refusa de payer en argumentant: “Désolé, ma proposition de 900 euros n’était qu’en cours de vente, et n’est pas arrivé à aboutissement. Et lorsque vous m’avez fait monter à la Torah pour Maftir Yona, c’était sans aucune condition financière préalable”. Raphael aussi pour sa part, a refusé de payer sa promesse étant donné qu’il n’a pas pu finalement exploiter son droit d’accomplir la mitsva.
Quelle est la loi? Et est-il possible de facturer David la totalité du montant qu’il a proposé pendant la vente?
Réponse:
Vente des Mitsvot – Véritable acquisition ou bien engagement en tant que vœu et charité
Concernant la vente des mitsvot d’usage dans la plupart des synagogues, les Posskim (décisionnaires) sont partagés sur la définition juridique de cette vente. S’agit-il d’une vente réelle et d’une transaction commerciale, ou bien nous ne pouvons définir cela que comme une sorte de vœu et d’un engagement de charité en contrepartie d’une mitsva ?
Cette question a plusieurs implications, comme par exemple, la question de savoir si une personne qui a acheté une mitsva peut la vendre ou même la donner en cadeau à quelqu’un d’autre. De cette question dépend également le sujet que les décisionnaires ont traité, de savoir s’il est permis de faire ces ventes le Chabat ou jour de Fête.
Le Ran s’est déjà interrogé sur ce qui est mentionné dans la Guémara Chabat (150a) comme quoi il est permis de faire des calculs relatifs à une mitsva le Chabat, et que l’on peut donc attribuer la charité pour les pauvres ce jour là. Cela semble contredire ce qui est explicite dans la Michna Bétsa (36b) comme quoi il nous est interdit de consacrer des objets à l’usage du Temple ni de faire un vœu d’évaluation (ara’khin) pendant Yom-Tov, et la Guémara explique ces interdictions en raison d’un décret du fait de leur similitude avec le commerce. Ces actes, qui impliquent tous le transfert de propriété au trésor du Temple, ressemblent au commerce, qui est interdit lors des jours de fêtes.
Et le Ran s’interroge alors, pourquoi la loi de Tsédaka est-elle différente des lois relatives aux consécrations? Comment se fait-il qu’en ce qui concerne la charité, il est permis de s’engager pendant Chabat à donner, alors qu’en ce qui concerne les consécrations au Hekdech, cela est interdit ?
Pour répondre à cette question, Le Maharchal (yam chel chelomo bétsa §5; 8) explique à partir de ce qui était d’usage en matière de vente de mitsvot parmi les Hassidim d’Autriche: Tout ce qui était proféré de la bouche d’une personne l’engageait à cent pour cent. Et même si elle n’avait pas pu finaliser son acte et qu’une autre personne avait surenchérit et finalement acheté la mitsva pour elle-même, malgré-tout la première personne devait accomplir sa promesse et donner la somme qu’elle avait proposée et qu’elle avait eut l’intention de donner. Si tel est le cas, on peut déduire, écrit le Maharchal, que les ventes de mitvot ou de aliyah à la Torah ne se définissent pas comme des acquisitions à proprement parlé mais plutôt comme des vœux et des contributions d’argent aux fins d’une mitsva.
En revanche, le Magen Avraham (orah hayim 306; 15) après avoir cité l’avis du Maharshal, note que le Shilteï-Guiborim a longuement débattu sur la question, et que dans le traité Baba Kama il conclut qu’il était possible de vendre ses propres mitsvot à quelqu’un d’autre. Il résulte à priori de ses propos que la vente des mitsvot est considérée comme une véritable transaction. La mitsva ou la Aliyah appartient à l’acheteur comme tout objet qu’une personne achète pour elle-même avec le meilleur de son argent, et peut en faire à sa guise, et l’offrir ou même la vendre à qui elle le veut.
Toutefois, en ce qui concerne la halakha, les Posskim (décisionnaires) ont tendance à autoriser la vente des mitsvot le jour de Chabat ou fête, comme l’écrit clairement le michna-béroura (306; 33): « Et quant à la proclamation des mitsvot dans la synagogue, il y a ceux qui interdisent et il y a ceux qui permettent… et là où il est d’usage de permettre permis, il n’y a pas lieu de protester. [En effet, comme il l’explique plus haut (27), le décret d’interdire des consécrations le Chabat par ressemblance à du commerce, ne concerne que des choses similaires à la négociation, comme le transfert d’objets d’une propriété à une autre. Mais donner une somme d’argent à une œuvre de bienfaisance, n’est pas si similaire à un marché, et pour cela, cela ne peut être pas interdit le jour du Chabat].
Quand la personne qui a acheté la Mitsva n’a pas pu finalement l’accomplir…
Dans un cas où un empêchement s’est produit pour la personne qui a acheté la mitsva, qui n’a alors pas pu l’accomplir, et qu’une autre personne a été honorée à sa place, cela dépend à priori de ce qui a été développé. Selon le premier point de vue, qui est l’avis du Maharchal, d’après lequel nous avons défini la vente des mitsvot comme une sorte de vœu, alors il semble que nous ne pourrons pas l’obliger à payer son engagement, puisqu’il pourra revendiquer qu’il ne l’a fait qu’à la condition de recevoir finalement son honneur, comme il est d’usage de statuer concernant les questions de vœux. Ainsi il a été rapporté au nom du Rav N. Karelitz z”l, et ainsi l’a écrit explicitement Rav Naftali Nousseboym (Hayachar Véatov). Mais toutefois, cela ne s’applique uniquement dans un cas où il a été empêché de venir par un cas de force majeure, par contre s’il pouvait se rendre à la synagogue et que de plein gré il s’est abstenu d’y aller, il semble que même selon cette approche, il devra payer l’intégralité de sa promesse.
En revanche, si nous considérons les ventes de Mitvot comme de véritables transactions commerciales, il semble alors évident que l’acheteur ne pourra pas s’exonérer du paiement au motif qu’il était contraint. Car puisque la mitsva lui a déjà été acquise, il s’est ainsi engager à la payer quoi qu’il en soit, comme c’est le cas pour tout acheteur de maison qui aurait été contraint de ne pas pouvoir utiliser cette maison pour diverses raisons.
Peut-on obliger l’enchérisseur précédent à acheter la mitsva ?
Une mitsva vendue aux enchères au prix le plus élevé possible, et que pour une raison quelconque, la vente a été annulée, la question se pose si les responsables peuvent-ils obliger l’enchérisseur précédent à acheter la mitsva ?
Le Tsémah Tsedek dans ses responsas (§72) traite d’une question qui lui a été posée concernant une synagogue où le Gabay voulait vendre un maftir, et que Réouven a proposé la somme total de 100 zéouvin, puis Chimon a renchéri et annoncé 150 zéouvin. Le Gabay qui savait que Chimon n’était pas très crédible et n’était donc pas sûr qu’il obtiendrait l’argent, ne voulant pas l’embarrasser et le froisser en l’empêchant d’acheter cette alyah, il a alors lui-même renchérit en déclarant la somme de 200 zéouvin. Son intention était de donner le maftir à Reouven pour le prix de 100 zéouvin qu’il avait lui-même proposé. Mais quand il s’est adressé à Réouven pour lui dire qu’il avait gagné le maftir pour cent zéouvin, ce dernier a revendiqué qu’étant donné qu’il n’avait pas gagné la vente lors de son déroulement, sa proposition avait été automatiquement annulée dans sa tête. Les responsables se sont alors demandé s’ils pouvaient le forcer à accomplir sa proposition, et à le faire monter en contrepartie de cent zéouvin.
La conclusion du Tsémah Tsedek est que nous pouvons obliger Réouven ou tout enchérisseur dans un cas où le gagnant aurait annulé sa vante, à accomplir la mitsva tout en payant la somme qu’il aurait proposée.
Il prouve cela à partir d’une Guémara dans Ara’khin concernant les lois relatives à la consécration de son champ ancestral:
Si l’un disait: Le champ est par la présente à moi pour dix Séla, et une autre personne a dit: Il est à moi pour vingt, et un a dit pour trente, et un a dit pour quarante, et un a dit pour cinquante; et alors celui qui en a offert cinquante a renié son offre, le trésorier reprend sa propriété jusqu’à dix Séla et le champ est racheté par celui qui en a offert quarante. Cela garantit que le trésor du Temple ne perd pas etc.
Ara’khin 27a
Cependant, il est intéressant de constater que le cas du Tsémah Tsedek n’est pas n’est pas tout à fait similaire au cas de la Guémara, car dans son cas, Chimon n’a pas annulé lui-même sa vente mais ceux sont les responsables qui l’en ont l’ont empêché. Et d’ailleurs, le Magen Avraham (orah ‘haïm 154; 23) a mentionné cette décision du Tsémah Tsedek, mais a un peu changé les détails de l’histoire, et a cité le cas d’une manière où c’est Chimon qui a changé d’avis et annulé la vente. Et le Magen Avraham conclut que les paroles du Tsémah Tsedek ne sont pas prouvées, et de plus la coutume n’est pas pratiquée de cette manière. Autrement dit, il n’est pas possible d’obliger Chimon à payer pour que le Hekdech n’ait aucune perte.
Le Panim Meirot(t2 §25) lui, a complètement repoussé les paroles du Tsémah Tsedek, car à son avis, la vente de mitsvos ne devrait pas être assimilée aux lois de la consécration. Il explique que même s’il existe un principe de “amirato lagavoha kimessirato lahedyot”, qui consiste à dire que lorsqu’on consacre un objet par la parole, cela équivaut à un transfert d’objet à une personne ordinaire, et l’objet est donc acquis par le trésor du Temple par son simple discours. Malgré-tout, il ressort des paroles de Tossefoth (baba batra 133a) que cette règle n’a été énoncée uniquement lorsque l’on voit que l’intention de l’acheteur est de dédié au Hekdech en payant même plus que la valeur de l’objer, et non lorsqu’il est évident qu’il veut acheter à sa juste valeur. D’après cela, il écrit au sujet de celui qui fait une offre pour acheter une mitsva, où la somme proposée représente ce que cette mitsva lui vaut dans cette configuration, et si c’est le cas, cette offre ne sera pas considérée comme déjà acquise au Hekdech.
En plus de cela, le Panim Méirot prétend que la charité ne devrait pas être comparée aux offrandes au Temple, car de nos jours, tous les types de consécrations prennent le statut de don profane car nous n’avons pas de Bedek Habaït (voir par exemple choul’han Arou’kh §85; 1 ou §212).
Sur la base de cette opinion du Panim Méirot, le Maguen Avaraham a conclu après avoir cité l’avis du Tsémah Tsedek, que nous ne pourrons pas faire sortir d’argent en raison de la similitude entre la Tsédaka et le Hekdech.
Conclusion
Dans notre cas où Raphael n’est pas arrivé à l’heure pour la prière de Min’ha, il est vrai que pour certaines opinions, les responsables peuvent obliger David, l’enchérisseur précédent, à monter à la place de Raphael en contrepartie des 900 euros qu’il a proposé, mais d’un point de vue hala’khique, il semble que nous ne pourrons pas l’obliger à cela, ainsi que l’a conclu le Maguen Avaraham.
Par contre, si les responsables l’ont effectivement fait monter pour le Maftir, même sans lui préciser qu’il devra payer, il se peut que dans ce cas il sera obligé de payer les 900 euros, car comme l’a expliqué le Panim Méiroth, tel est le prix que valait à ses yeux cette mitsva. Et ainsi j’ai vu rapporté au nom du Rav N. Karelitz qui a tranché comme ceci dans un cas semblable. Mais toutefois, cette décision ne semble pas si évidente que ca, et la question doit encore être clarifiée b.s.d.