Parachat Lekh Lekha – La Terre d’Israël : une destination et non une patrie

Parachat Lekh Lekha – La Terre d’Israël : une destination et non une patrie

Commençons par une question qui s’est souvent posée au début de la dernière guerre en Israël : la présence en Terre d’Israël constitue-t-elle une valeur intrinsèque, même au prix de la souffrance, du risque sécuritaire ou d’une atteinte à la vie religieuse ? Ou bien la priorité est-elle de mener une vie religieuse stable et exemplaire – même si cela nécessite de vivre ailleurs, où l’on peut étudier la Torah dans la tranquillité et la sécurité ?

Questions sur le commandement « Lekh Lekha »

Avant de répondre à cette question, interrogeons-nous sur le début de la paracha :

  1. Quelle est la signification du premier commandement fait à Avraham « Va-t’en de ton pays » ? Pourquoi Avraham devait-il émigrer de son lieu d’origine, alors qu’il aurait pu influencer le monde depuis là où il était ?

Le Kuzari (Livre I, 14) aborde cette question en comparant la migration d’Avraham vers la Terre d’Israël au transfert d’un arbre qui pousse dans un endroit inadapté vers une terre fertile, où il pourra se développer et atteindre sa plénitude spirituelle. Mais encore faut-il comprendre pourquoi.

  • Pourquoi le verset ne précise-t-il pas les lieux exacts de départ et d’arrivée, c’est-à-dire ‘Haran et Canaan, comme c’est le cas pour les voyages des enfants d’Israël dans le désert ?
  • Pourquoi D-ieu ne révèle-t-il pas à Avraham le lieu de destination, disant simplement « vers le pays que je te montrerai » ?
  • Pourquoi, dès son arrivée dans le pays, y a-t-il une famine qui le contraint à descendre en Égypte ?

Un changement de conception : de Patrie à Destination

Je souhaite proposer une nouvelle idée : l’exigence divine envers Avraham, qui reflète l’exigence envers tout le peuple d’Israël, n’est pas un simple déplacement physique d’un lieu à un autre, mais un appel à un changement de perspective : abandonner l’idée que nous sommes le produit d’un pays, d’une patrie et d’une maison paternelle, pour adopter la nouvelle conception d’une marche vers une destination. Sortir du « de » – de ton pays, de ta patrie, de la maison de ton père, pour entrer dans le « vers » – vers le pays.

C’est là notre relation avec la Terre d’Israël. Elle n’est pas une patrie, comme le sont les autres pays pour leurs peuples, mais une destination. Elle symbolise le jardin d’Éden dont Adam et ‘Hava ont été chassés, et le but est d’aspirer à retourner dans un monde réparé.

La déclaration d’indépendance d’Israël désigne la Terre d’Israël comme la patrie du peuple juif. Mais il semble que notre paracha nous enseigne exactement l’inverse : la Terre d’Israël est ici la terre pour laquelle on quitte sa maison et sa patrie. Nous rencontrons la Terre d’Israël pour la première fois comme l’opposé d’une patrie, comme un lieu vers lequel Avraham s’exile, qui n’est même pas nommé.

C’est ce que dit le premier commentaire de Rachi sur la Torah au nom de son père : « Si les nations du monde disent à Israël : ‘Vous êtes des voleurs car vous avez conquis les terres des sept peuples’, ils leur répondent : ‘Toute la terre appartient à D-ieu, Il l’a créée et l’a donnée à qui bon Lui semblait ; de Sa volonté Il la leur a donnée, et de Sa volonté Il la leur a reprise pour nous la donner’ ». La Terre d’Israël est une terre dont l’essence même est « Il la leur a reprise pour nous la donner » ; elle n’est pas notre patrie mais elle est prise aux nations pour le peuple d’Israël.

La différence entre Israël et les autres nations

Il y a là une différence fondamentale entre Israël et les autres nations. Les non-Juifs appartiennent à leur patrie et à leur culture – ils sont le produit de la terre et de l’histoire locale. Ils sont ancrés dans leur passé, leurs expériences et les conditions géographiques et historiques qui ont façonné la culture dans laquelle ils vivent. En revanche, le Juif appartient à l’avenir, non au passé. Il n’appartient pas à une seule patrie ou à un cadre géographique particulier, mais il est dans un processus constant de recherche, de développement et d’aspiration à une destination spirituelle plus élevée.

« Yéhoudi – Juif » commence par la lettre Yod, tout comme Yaacov et Israël, car la lettre Yod est utilisée pour indiquer le futur, elle porte en elle l’idée d’avenir. Le Juif marche vers l’avenir, vers le monde à venir, vers la rédemption, vers la réparation du monde, il est dans un état d’aspiration et de mouvement constant. Il n’est pas le produit du temps et ne vieillit pas comme les autres nations vieillissent, mais au contraire, il se renouvelle à chaque instant et s’élève ainsi vers l’avenir.

Le lien avec la Terre d’Israël tel une relation conjugale

Puisque la Terre d’Israël est notre terre de destination, elle n’est nôtre que lorsque nous remplissons nos missions spirituelles et réalisons notre destinée. C’est ce qui est écrit dans la Torah : la terre rejette aussi le peuple d’Israël si, à D-ieu ne plaise, il ne fait pas ce qui est attendu de lui et souille la terre.

Et puisque toute l’essence de la relation entre le peuple d’Israël et sa terre est qu’ « elle a été prise aux nations et nous a été donnée », nous devons lutter pour l’obtenir. C’est notre façon de nous lier à la terre, par un effort sans fin, et non de manière naturelle.

On peut comparer cette relation à celle d’un couple. Alors que le lien familial est un lien naturel, un lien de sang que l’on ne peut rompre, le lien entre époux n’est pas naturel et exige un effort, et peut être rompu. Cependant, l’union entre les époux est beaucoup plus profonde, et même si elle se rompt, elle peut être restaurée. Dans ce contexte, on peut dire que le lien des nations avec leur terre ressemble à un lien familial, c’est un lien naturel. En revanche, le lien entre Israël et sa terre est comme un lien conjugal : il exige un effort constant, il faut bien se comporter pour qu’il puisse durer. Comme dans un couple, sans un comportement adéquat, la relation peut mener au divorce.

Il se pourrait que l’erreur des Ma’apilim (ceux qui tentèrent de monter en Israël de force), mentionnés dans la parachat Chelah, fut de voir la Terre d’Israël comme une patrie, comme si la terre elle-même avait une valeur absolue. Ils voulaient réparer la faute des explorateurs et monter dans le pays alors même que Moché les avait avertis : « Ne montez pas, car l’Éternel n’est pas au milieu de vous, et ne vous faites pas battre par vos ennemis » (Bamidbar 14:42). Les Ma’apilim n’avaient pas compris que la valeur de l’installation dans le pays était conditionnée par la volonté divine, et que lorsque Dieu ordonne de ne pas monter dans le pays – cette montée devient alors une faute.

Un lien spirituel avec la Terre d’Israël, même depuis l’Exil

Le fait que la Terre d’Israël ne soit pas une patrie mais une destination nous procure un grand avantage : notre appartenance à la Terre d’Israël dépend principalement de notre aspiration à atteindre cette destination. Même lorsque le peuple d’Israël est en exil, il reste lié à la Terre d’Israël par l’aspiration à y parvenir. Ainsi, nos Sages ont dit que les synagogues et les maisons d’étude hors d’Israël sont considérées comme la Terre d’Israël elle-même. Nous savons combien nos maîtres avaient de désir et de nostalgie d’atteindre la Terre d’Israël, comme Rabbi Yehuda Halevi, le Ramban, le Maharal et le Hafetz Haïm. Ce désir était en soi un lien et une connexion avec la terre, car l’essence même de la terre d’Israël est l’aspiration vers un objectif.

Certains ont vu dans le lien entre le peuple d’Israël et la Terre d’Israël une connexion organique et naturelle, et certains ont même cherché s’il y avait quelque chose de spécial dans le sol même de la Terre d’Israël. Cependant, il semble plus juste de dire que la principale vertu de cette terre est qu’elle est la terre de destination et de rendez-vous entre l’homme et son Créateur. Comme l’écrit le Ramban, la Terre d’Israël, contrairement aux autres pays, n’est pas dirigée par des anges et des constellations, mais par le Saint-Béni-Soit-Il Lui-même. C’est une terre où il y a une providence particulière, comme il est dit dans le verset : « une terre sur laquelle l’Éternel, ton Dieu, a les yeux… » – une terre dont l’irrigation résulte de la connexion entre l’homme et son Créateur.

En bref, la Terre d’Israël est une terre de destination – une terre où D-ieu attend que l’homme vienne Le rencontrer. Cette aspiration explique pourquoi, même en exil, nous restons juifs, car pas un seul instant nous ne sommes déconnectés de cette destination. Il y a une formule bien connue : « Il vaut mieux être à l’étranger et penser à la Terre d’Israël, que d’être en Terre d’Israël et penser à l’étranger ».

Alors que l’homme est sujet au changement, « la terre demeure éternellement ». C’est la connexion entre l’homme et la terre, à travers l’aspiration vers elle, qui garantit la pérennité éternelle du peuple juif. Il existe un lien profond entre judaïsme et sionisme : un judaïsme sans terre de destination n’aurait pu subsister, et de même, un judaïsme construit uniquement sur la notion de patrie aurait lui aussi disparu. Le secret de la pérennité du peuple d’Israël réside dans le fait qu’il appartient à une destination et à un avenir – chose incessante et éternelle.

La Spiritualité, précisément dans un lieu d’Épreuve

Concernant la question posée au début, il est clair que c’est une erreur de penser qu’il faut être en Terre d’Israël à tout prix, même au détriment de la religion ou d’autres valeurs. Notre lien avec la Terre d’Israël n’est pas naturel ; il exige un effort et une vocation religieuse. Ce n’est que lorsque nous observons la Torah et les commandements que nous pouvons être ici. Sans cela, nous n’avons pas de réel droit d’être dans ce pays.

D’autre part, dire que la priorité est de mener une vie spirituelle stable et paisible dans un autre pays est aussi une erreur énorme. La spiritualité elle-même est l’aspiration vers la destination, vers la rencontre avec Dieu, et c’est principalement en Terre d’Israël que cette réalisation spirituelle s’accomplit. Donc, dire que dans un endroit plus tranquille nous pourrions être plus spirituels est une grande erreur.

Exactement comme Avraham Avinou, qui n’est pas resté sur place mais a répondu à la demande de D-ieu de venir dans le pays malgré les épreuves, et cela même l’a rendu plus spirituel – ainsi devons-nous intérioriser : la spiritualité ne se trouve pas là où tout s’arrange pour nous, bien au contraire. Elle se trouve dans une terre qui a été prise aux nations et nous a été donnée, dans une terre qui s’acquiert par les souffrances et exige un effort constant. C’est là le point de connexion et de rencontre véritable avec le Créateur.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.