Parachat Vayéra – Akédat Itshak ou quand l’amour ne suffit plus

Parachat Vayéra – Akédat Itshak ou quand l’amour ne suffit plus

La spécificité de l’épreuve de l‘Akéda

Le sacrifice de Ytshak fut l’ultime épreuve d’Avraham avinou. C’est la seule fois où la Thora atteste « Et Elokim éprouva Avraham » (22; 1). Et nos Sages de dire « HKBH dit Lui-Même à Avraham, Je t’ai éprouvé par combien d’épreuves que tu as toutes surmontées, maintenant, surmonte pour Moi celle-ci, pour que l’on n’en vienne pas à renier la valeur des premières… » (Sanhédrin 89; 2)

Ajoutons à cela que ce « test » valut à Avraham le qualificatif de « Yiré Elokim – craignant le Ciel », ainsi qu’il est écrit : « Maintenant Je sais que tu crains D-ieu » (22; 12). De même dans le Zohar Hakadoch est-il dit qu’à travers cette épreuve de la ‘Akéda, se mélangèrent l’eau et le feu, exprimant ainsi le fait que cette épreuve permit à l’attribut de justice – le feu symbolisant la rigueur – de prendre place en Avraham qui en était dépourvu jusqu’alors. (Et inversement pour ce qui concerne Ytshak…)

Il n’est pas difficile en soi de comprendre la particularité de cette épreuve de la ‘Akéda par rapport aux précédentes. Cette épreuve venait radicalement s’opposer au trait de caractère fondamental de Avraham, réputé pour son Hessed. Pour satisfaire l’ordre Divin, il lui est demandé d’utiliser un trait de caractère contraire à sa vertu par excellence – user de cruauté vis-à-vis de son propre fils Ytshak. Ce ne fut pas le cas des autres épreuves où Avraham déploya justement ses qualités intrinsèques de bonté et d’amour. Même l’épreuve de la fournaise de Our-Kasdim, où il se laissa jeter dans le feu pour ne pas renier D-ieu, faisait appel à cette mida de Hessed, dont tout le principe repose sur un renoncement personnel en faveur d’autrui. Par contre, concernant la ‘Akédat Ytshak, il s’agit de renoncer à l’autre, ce qui fait appel à la cruauté.

En plus de tout cela, cette épreuve se singularise par le fait que la requête de Hachem se trouve non seulement aux antipodes de toute logique, mais de plus, s’oppose à la promesse divine « Car par Ytshak sera appelée ta descendance » (21; 12) – il se peut d’ailleurs que ce soit là, la raison pour laquelle cette épreuve soit créditée au nom de Avraham et non pas de Ytshak.

La question que je voudrais élucider est la suivante – pour quelle raison est-ce précisément à cette occasion que Avraham avinou mérita le qualificatif de « Yiré Elokim » ? Que contient ce nissayon de plus que les autres qui prouve qu’il est désormais un homme qui craint D-ieu ? Pourquoi parle-t-on ici de Crainte d’Hachem, plutôt qu’évoquer ce sacrifice de Ytshak au nom de son amour pour Hachem justement ?

Hachem avait-Il vraiment besoin d’éprouver Avraham pour savoir qu’il était « Yiré Elokim » ? Pourquoi d’ailleurs, cette crainte ne s’est-elle pas révélée à l’occasion des autres épreuves ? L’amour pour Hachem est en soi une vertu suprême, pourquoi fallait-il prouver la Crainte d’Hachem ?

Et pour finir, pourquoi nos Sages affirment que sans cette épreuve, les précédentes auraient été dévalorisées ?

L’Amour face à la Crainte

Dans les Pirkei Avot (2; 4), il est écrit : « Fais de ta volonté Sa Volonté » et « Annule ta volonté face à Sa Volonté ».

Deux enseignements nous sont livrés ici. Le premier est de transformer notre volonté pour la mettre en accord avec celle d’Hachem. Le deuxième est d’annuler notre volonté face à celle d’Hachem, soit d’accomplir Sa volonté même dans les cas où notre propre volonté y est opposée.

Ces deux principes correspondent précisément aux définitions de « Ahava – Amour » et « Yira – Crainte ».

Le principe de l’amour consiste en une fusion avec l’autre. Le mot « Ahava » a la même valeur numérique que le mot « Ehad » = 13 ! Et pour aboutir à l’unité, les volontés doivent également s’unir, comme l’écrit le Meïri (Michlei 9; 8). La volonté de l’autre devient ma propre volonté, et ma volonté se fait sienne. Sans cette condition, il n’est pas possible de parler d’amour. Dans un couple par exemple, chaque conjoint détient sa volonté propre, elles ne sont pas toujours en phase, mais tant que le couple s’accommode avec des volontés contraires, il n’est pas question d’amour. L’amour commence lorsque chacun s’associe à la volonté de l’autre, les deux fusionnant en un seul cœur.

Par opposition, la crainte est l’annulation de sa volonté personnelle face à celle de l’autre. Ce qui signifie que même lorsque les volontés ne s’accordent pas, il est encore possible d’annuler sa volonté propre en faveur de l’autre.

Il faut comprendre en ce sens ce qu’écrit le Ramban (Chémot 20; 7) que les mitsvot positives émanent de la mida de Ahava, et les mitsvot négatives trouvent leur origine dans la mida de Yira. La Ahava est la fusion des volontés, et la production d’une volonté est forcément positive. Le mot « ratsonvolonté » provient du mot « ratscourir » – toute course se produit forcément en direction de quelque chose. C’est pourquoi, elle est liée avec les mitsvot positives, qui sont l’expression de la Volonté d’Hachem. En les accomplissant, nous transformons notre volonté en Ratson Hachem. La Yira quant à elle, est l’annulation des volontés négatives, c’est ce qui justifie les commandements négatifs à leur égard. Ces mitsvot ne viennent pas produire des volontés quelles qu’elles soient, elles viennent essentiellement pour casser nos volontés néfastes.

Soit dit en passant, ce principe trouve une application concrète en matière d’éducation. Certains ne transmettent à leurs enfants que ce qu’ils ne doivent pas devenir et leur inculquent essentiellement leur propre point de vue critique sur la vie. Malheureusement, cette manière de faire n’éveillera chez l’enfant aucun enthousiasme, au contraire, il leur sera ôtée toute forme de volonté. L’éducation des enfants doit être véhiculée sous forme positive et essentiellement dirigée sur ce que nous désirons être et aspirons à ce qu’ils soient. Cela exige une parfaite clarté sur l’orientation de nos aspirations et nos objectifs.

Avraham avinou s’est distingué dans sa mida de Ahava, comme il est écrit « descendance d’Avraham qui M’aimait » (Isaie 41; 8). Cela nous fait comprendre que Avraham s’est singularisé tout particulièrement par son aptitude à faire de sa volonté la Volonté d’Hachem, sans aucune trace de volonté contraire.

Malgré tout, notre question quant à la particularité de l’épreuve de la ‘Akéda reste entière ! Pourquoi Avraham ne l’a-t-il pas également accomplie comme toutes les autres, par Ahavat Hachem ?

L’ordre d’Hachem opposé à Sa véritable volonté

Il faut s’attarder sur ce qu’écrit Rachi (au nom de nos Sages) au sujet du verset « Et fais-le monter là-bas en holocauste » (22; 2) : Hachem n’a pas dit à Avraham, « immole-le », mais « fais-le monter », parce que Hakadoch Baroukh Hou ne désirait pas l’immoler mais le faire monter sur la montagne pour en faire un holocauste. Et une fois que Avraham l’a fait monter, Hachem lui a dit « fais-le descendre ».

Il y a là quelque chose de très profond. Il ne s’agit pas de laisser entendre que Avraham n’avait rien compris à l’ordre d’Hachem. HKBH a parlé à Avraham un langage volontairement ambigu, qui laissait présumer deux sens différents : le premier, de sacrifier Ytshak entièrement, comme on le ferait pour un korban; le second, de seulement le faire monter sur l’autel. Avraham a compris qu’il fallait sacrifier Ytshak, alors que la Volonté profonde d’Hachem n’était absolument pas que Ytshak soit tué. HKBH a volontairement utilisé un langage tel qu’Avraham le comprenne comme une injonction de sacrifier son fils, de sorte qu’en se mesurant à cette épreuve avec succès, Avraham révèle cette force d’être en mesure de concrétiser cet acte. Dès lors, le sens de l’Ordre Divin changea en signifiant « fais-le monter » uniquement, et maintenant « fais-le descendre ». Le sens de l’Ordre d’Hachem changea en vertu de la disposition d’Avraham à sacrifier son fils.

On comprend dès lors que la Volonté profonde d’Hachem n’était à aucun moment que Ytshak soit tué, mais uniquement d’éprouver Avraham.

A partir de là, nous pouvons aisément percevoir que cette épreuve n’ait pu se réaliser par le biais de l’amour de Avraham pour D-ieu, aussi fort soit-il. Car dans le cas de la ‘Akéda, la volonté intime du Maître du monde n’était pas que Ytshak soit sacrifié. L’ordre ne fut donné sous cette forme à Avraham que pour mesurer ce dernier à cette épreuve, et finalement faire en sorte que Ytshak ne soit pas tué.

Avraham avinou savait au fond de lui que telle n’était pas l’intention profonde d’Hachem, comme le racontent nos Sages (Yérouchalmi Taanit 10b) : « Avraham dit devant HKBH, Maître du monde, il est dévoilé et connu devant Toi qu’au moment où Tu m’as dit de faire monter mon fils Ytshak, j’avais de quoi Te répondre, hier Tu m’as dit que par Ytshak sera appelée ta descendance, et maintenant, Tu dis fais-le monter en holocauste, à D-ieu ne plaise je n’ai pas agi ainsi, je me suis maîtrisé et j’ai fait Sa Volonté ».

Sur le parcours d’Avraham, s’est trouvé une occasion extraordinaire d’ordre Divin parfaitement contraire à la Volonté Divine véritable !

Dans un tel cas, l’unique recours qui permette d’aller au bout de ce nissayon fut d’annuler sa propre volonté face à celle d’Hachem Ytbarakh, et c’est ce en quoi consiste justement la mida de Yira. Dans les autres épreuves, Avraham était parvenu à fusionner avec la Volonté Divine et à en faire sa propre volonté. Dans la ‘Akéda, ce n’était pas possible dans la mesure où Hachem Lui-Même n’était pas animé de cette Volonté de tuer Ytshak.

C’est ce qui fit dire à Hachem « maintenant Je sais que Tu crains Elokim ». Jusqu’à la ‘Akéda, Avraham n’avait pas eu l’occasion d’annuler sa volonté propre face à Hachem. Au contraire, animé par son amour, il faisait de sa volonté celle d’Hachem. Sa volonté personnelle ne fut contraire à celle d’HKBH qu’à l’occasion de la ‘Akédat Ytshak, parce que Hachem Lui-Même désirait la chose autrement. Avraham trouva là, l’unique occasion dans sa vie de prouver sa mida de Yira.

Ahava et Yira deux midot complémentaires

« Est plus grand celui qui agit par amour, que celui qui accomplit une action animée par la crainte », c’est ce que nous apprennent nos Sages dans Sota (31a). De cette manière, l’on se rapproche et l’on s’unit parfaitement à Hachem. C’est là, le niveau suprême où je fais mienne Sa Volonté. Il existe cependant une chose qui existe dans la Yira et ne se trouve pas dans la Ahava, le fait d’agir selon la Volonté de Hachem même lorsque ce n’est pas la mienne, même lorsque c’est contraire à ma logique et ma compréhension !

Toutes deux sont nécessaires. Le Zohar Hakadoch décrit la Ahava et la Yira comme deux ailes sans lesquelles on ne peut s’envoler. L’amour sans limites est susceptible de tout détruire et conduire celui qui se laisse emporter par le feu de l’enthousiasme à une extase débridée et dangereuse. Une Ahava sans limites peut conduire à égarer l’homme, lui faisant perdre toute perception du bien et du mal. La Yira détient ce potentiel de limite, cette force de contrôle.

Ainsi le séfer « Beer Mayim Haim » explique la faute de Nadav et Avihou. Dans l’attribut de Ahava, Nadav et Avihou étaient plus grands que Moché et Aharon. Malgré tout, ils fautèrent pour avoir outrepassé le niveau de Yira. Par excès d’amour incontrôlé, ils apportèrent un feu étranger qui n’avait pas été ordonné par Hachem. Cet enthousiasme non cadré est dangereux, même si son intention est au nom du Ciel – Léchem Chamayim.

Ces deux midot de ahava et yira sont des fondements essentiels sur lesquels repose l’éducation des enfants. D’un côté, il nous appartient d’ancrer et développer chez l’enfant une volonté positive, et cela à l’aide de « mitsvot positives » – à l’aide d’un programme clair de ce que nous attendons de lui. Il incombe dans cet esprit, de le lui transmettre avec chaleur et amour. A côté de cela, nous devons également implanter chez les enfants la notion de limite, tout comme leur faire accepter qu’ils ne doivent pas forcément tout comprendre.

Avraham avinou lui-même ne se contenta pas de la mida de ahava, et son parcours ne fut pas parfait tant qu’il n’avait pas exprimé la mida de yira. Ajoutons à cela, que nos Sages affirment que sans le dernier nissayon, les précédents n’auraient pas eu de valeur. N’hésitons pas à placer les limites nécessaires au bon développement de nos enfants car finalement, comme pour Avraham, la mida de Yira est venue légitimer celle de Ahava.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.