Les trompettes du désert résonneront pour les générations à venir
Dans notre paracha, le Créateur du monde s’adresse à Moché, lui ordonnant de façonner deux trompettes d’argent. Ces instruments avaient des usages variés, que l’on peut répartir en deux catégories :
La première comprend les sonneries pratiquées à l’époque où les enfants d’Israël erraient dans le désert. Elles servaient à convoquer l’assemblée, c’est-à-dire à réunir les princes ou le peuple à l’entrée du Michkan. Elles signalaient également le départ des campements.
La seconde catégorie englobe les sonneries destinées aux générations futures : en temps de guerre et de détresse, ou lors des jours de réjouissance comme les fêtes et les premiers jours du mois.
Il convient de s’interroger sur le lien entre le commandement ponctuel et celui pour les générations à venir. À première vue, les circonstances dans lesquelles on sonnait de la trompette dans le désert diffèrent totalement de celles où l’on en jouait pour les générations futures.
Notons également un point commun aux deux usages pérennes : le souvenir. Tant dans le contexte de la sonnerie en temps de guerre que lors de l’offrande des sacrifices, la Torah souligne que les trompettes rappellent Israël devant l’Éternel. Pour la sonnerie en temps de guerre, il est dit : « vous vous recommanderez ainsi au souvenir de l’Éternel votre D-ieu, et vous recevrez assistance contre vos ennemis » (Bamidbar 10:9), et pour la sonnerie lors des sacrifices : « elles vous serviront de mémorial devant votre D-ieu » (Ibid 10).
Il est peu probable que ce dénominateur commun soit fortuit. Ainsi, le sens profond de ce passage concernant les générations futures serait l’utilisation des trompettes comme rappel devant l’Éternel.
Les trompettes de nos jours !?
Les commentateurs se sont déjà demandé (Magen Avraham, §576) pourquoi nous n’avons pas coutume, de nos jours, de sonner des trompettes en temps de détresse, alors qu’il s’agit d’un commandement de la Torah, même en l’absence de jeûne.
Le Rav Moshe Feinstein (Igrot Moshe, Orah Haïm 1:169) répond à cette interrogation en se basant sur les termes du Rambam qui a regroupé en un seul précepte la sonnerie lors des sacrifices et celle en temps de détresse, suggérant ainsi leur interdépendance. En d’autres termes, en l’absence de trompettes dans le Temple, on ne sonne pas non plus des trompettes en temps de guerre ou d’autres calamités.
Il nous reste à comprendre le lien entre ces deux usages : pourquoi la sonnerie en temps de guerre dépend-elle de celle accompagnant les sacrifices dans le Temple ?
Le rassemblement au son de la trompette
Pour comprendre cela, nous évoquerons ici les propos du Ramban (Roch Hachana 27a), qui considère que les trompettes sont liées au rassemblement et à la réunion de tout le peuple d’Israël. Sur cette base, il propose un point de vue novateur selon lequel on ne sonnait des trompettes que dans le Temple, et non en dehors, même pas lors des jeûnes publics. Il fonde cette idée sur le fait que le principal objectif du son des trompettes décrit dans la Torah à l’époque où cela fut ordonné à Moché était de “convoquer l’assemblée”, c’est-à-dire de rassembler le peuple, ce qui semble donc être leur fonction essentielle. Bien que l’on sonne également des trompettes en temps de guerre en dehors du Temple, le Ramban explique cela par le fait que la guerre concerne tout le peuple.
A première vue, ces propos ne sont pas totalement clairs. Pourquoi le Temple est-il considéré comme un lieu de rassemblement de tout le peuple, alors que tout Israël n’y était pas forcément réuni ? De même, en ce qui concerne la guerre, il faut comprendre pourquoi on considère que tout Israël est nécessairement concerné, alors que Hachem a dispersé le peuple parmi les nations. De plus, le Netsiv (arhev davar bamidbar §10) s’interroge sur la réponse que pourrait donner le Ramban concernant la guerre d’Aviya contre Yérovam, où l’on a sonné des trompettes comme décrit dans le verset (Divrei Hayamim II 13:12), alors qu’il n’y avait pas de rassemblement de tout le peuple, puisqu’il ne s’agissait que des tribus de Yéhouda et de Binyamin.
Un instrument pour créer une “cour”
La clé pour comprendre tout ceci est que les trompettes sont liées à l’unité d’Israël, qui se manifeste précisément dans le Temple. Le Temple est le centre de la nation. Toutes les tribus résident autour de Jérusalem et du Temple, s’y tournant comme vers un point d’unification (sefer ‘harédim). Tout comme le cœur distribue l’oxygène à tous les organes du corps, le Beth Hamikdach fonctionnait comme un point central autour duquel les gens se rassemblaient et se connectaient, parvenant ainsi à combler les fossés et à unir les différentes couches du peuple.
Rabbi Chimchon Raphael Hirsch écrit que la racine du mot “hatzotzerah” (trompette) est “hatzer” (cour) car c’est un instrument pour créer une « cour ». La cour est l’environnement qui entoure le centre et sert ses besoins. C’est là le sens du son de la trompette : il appelle les autres à diriger leur attention vers celui qui émet le son. Les trompettes n’étaient pas seulement des instruments de musique à des fins pratiques, mais elles portaient une signification plus profonde d’unité et de cohésion au sein de la communauté, soulignant l’importance du rassemblement autour d’un point central.
L’essence même de cette unité, établie initialement dans le Temple, trouve son origine dans la période où les enfants d’Israël campaient autour du Michkan, ce qui s’exprimait par la sonnerie des trompettes pour convoquer l’assemblée, c’est-à-dire pour rassembler tous les dirigeants ou toute la communauté.
On pourrait en effet douter de la nécessité d’utiliser des trompettes à cette fin. Pourquoi ne pas convoquer personnellement les douze chefs de tribu pour qu’ils se réunissent, plutôt que de sonner des trompettes ? De plus, l’utilisation des trompettes pour annoncer le mouvement des camps et mobiliser le peuple semble étrange, comme le souligne le Or HaHaïm HaKadosh. Après tout, le peuple d’Israël suivait de près la nuée, et quand ils voyaient la nuée se déplacer, ils partaient tous.
Il semble donc que les trompettes n’étaient pas vraiment nécessaires d’un point de vue technique, mais servaient plutôt de symboles d’unité. Elles renforçaient la signification du maintien de la structure sacrée avec le Michkan en son centre, et symbolisaient l’équilibre harmonieux atteint par l’effort collectif de la communauté.
La représentation du Temple dans la guerre
Il semble que l’on puisse ajouter que pendant la guerre, cette unité particulière s’exprimait également, et cela se réalisait par la “représentation du Temple” qui accompagnait le peuple en guerre : les trompettes. La garantie de la victoire résidait principalement dans la reconnaissance de la conception de l’unité particulière du Temple. Cette conviction est clairement illustrée dans le récit biblique (sefer dévarim) détaillant la manière dont les enfants d’Israël avançaient dans la bataille : « Car l’Éternel, ton Dieu, marche au centre de ton camp pour te protéger et pour te livrer tes ennemis » (Devarim 23:15).
Cela résout la question du Netsiv concernant l’utilisation des trompettes dans la guerre d’Aviya, roi de Yéhouda, contre Yérovam, roi d’Israël. Aviya prononce là un discours du haut du mont Cemaraïm dans le but d’éviter la guerre. Il accuse Yérovam et les hommes d’Israël d’avoir abandonné D-ieu et son sanctuaire, et dit des enfants de Yéhouda : « Tandis que nous, l’Éternel est notre D-ieu, nous ne l’avons pas trahi. Les prêtres au service de l’Éternel sont fils d’Aaron, et les Lévites remplissent leur tâche… Car nous, nous veillons aux observances de l’Éternel, alors que vous les délaissez » (Divrei Hayamim II 13:10). De là, Aviya passe dans son discours au champ de bataille : « Et voyez, nous avons à notre tête D-ieu et ses prêtres, et les trompettes retentissantes pour en faire éclater les fanfares contre vous. Fils d’Israël, ne combattez pas contre l’Éternel… car vous ne triompherez pas ! » Le message est clair : notre engagement à maintenir la présence de Dieu dans le Temple va au-delà de la simple loyauté. C’est en raison de cette fidélité qu’une représentation du Temple est avec nous ici sur le champ de bataille, et que D-ieu marche au milieu de notre camp, tandis que vous ne réussirez pas dans votre guerre contre l’Éternel.
Vous serez ainsi rappelés au souvenir de l’Éternel
À la lumière de cela, nous pouvons comprendre la notion de « souvenir » mentionnée dans le commandement des trompettes. Le Rabbi de Kotzk a un jour demandé pourquoi, dans notre paracha, la Torah écrit qu’en temps de guerre il faut sonner des trompettes pour être rappelé devant l’Éternel et seulement alors nous pourrons être sauvés de nos ennemis, alors que dans la paracha Ki-Tetsé, la Torah dit : « Quand tu iras en guerre contre tes ennemis, et que l’Éternel, ton Dieu, les livrera en ton pouvoir » (Devarim 21:10) – ce qui suggère que dès que nous partirons en guerre, nous vaincrons, sans besoin de sonner des trompettes ?
Le Chem MiChmouel répond à cela en relevant une autre nuance présente ici. Dans notre paracha, il est écrit « quand vous viendrez » au pluriel, tandis que dans la paracha Ki-Tetsé, c’est écrit au singulier. Il explique que si le peuple d’Israël est uni comme un seul homme avec un seul cœur, alors il gagne immédiatement la guerre, mais si le peuple d’Israël est dispersé et divisé, et qu’on ne peut pas s’y référer au singulier mais seulement au pluriel, alors il est nécessaire de sonner des trompettes et d’être rappelé devant l’Éternel.
Les trompettes sont destinées à nous rappeler que notre force ne réside pas dans notre individualité, mais que notre vertu est dans notre unité. Ce n’est qu’après nous en être souvenus et être redevenus unis que nous méritons ce qui est dit dans le verset : « Vous serez ainsi rappelés au souvenir de l’Éternel votre Dieu, et vous serez délivrés de vos ennemis. »
Jumeaux siamois
Le Rav Yossef B. Soloveitchik, dans son livre “Kol Dodi Dofek”, écrit qu’une question halakhique a été posée au Beth Hamidrach – comment des jumeaux siamois héritent-ils lorsqu’ils ont un autre frère ? Sont-ils considérés comme un seul fils, auquel cas leur héritage serait conjoint et ils prendraient la moitié des biens du père, ou sont-ils considérés comme deux fils distincts héritant séparément, auquel cas ils prendraient deux tiers des biens – un tiers pour chacun d’eux ?
La réponse donnée fut de verser de l’eau brûlante sur la tête de l’un d’eux. Si l’autre crie de douleur – c’est la preuve qu’ils sont une seule personne et ils hériteront ensemble de la moitié des biens, mais si la seconde tête n’est pas affectée par la douleur de la première – c’est la preuve qu’ils sont des corps séparés – et ils recevront l’héritage séparément – un tiers pour chacun.
Le peuple d’Israël, dit le Rav Soloveitchik, est comparable à ces jumeaux siamois. Pour examiner si le peuple d’Israël est uni ou non, nous devrons vérifier si l’un souffre de la douleur de l’autre.
Mais l’unité n’est pas une vertu réservée uniquement aux périodes de troubles et de discorde ; au contraire, la Torah vante également sa signification lors des moments de jubilation et de gaieté. Le fait de sonner des trompettes pendant les périodes de célébration, tel qu’expliqué dans le verset, constitue un témoignage poignant de l’importance cruciale de l’unité dans les moments de joie et de conflit. Cette pratique, garantit que l’unité reste un mémorial durable devant Hachem, comme mentionné dans le verset. Que ce soit en temps de guerre ou de joie, la véritable force du peuple d’Israël réside dans son unité en tant que peuple plutôt que dans les capacités de ses individus.
redevenus unis que nous méritons ce qui est dit dans le verset : « Vous serez ainsi rappelés au souvenir de l’Éternel votre Dieu, et vous serez délivrés de vos ennemis. »
Pour conclure
En période de conflit, alors que les nuages sombres de la guerre projettent leurs ombres sur notre pays, tenons fermement compte du fait que notre unité en tant que peuple transcende toutes les frontières et toutes les affiliations politiques. Même si la décision de s’engager dans une guerre ou de s’en abstenir ne repose peut-être pas entre les mains de la majorité, le pouvoir de rester unis dans les deux moments de conflit et de célébration reste fermement à notre portée. Ne négligeons pas les héros méconnus qui empruntent courageusement le chemin du courage, souvent dans l’ombre de la reconnaissance.
Il est cependant crucial de reconnaître que l’unité n’est pas un concept réservé uniquement aux temps de guerre. Tout comme la Torah fait allusion « au jour de votre réjouissance » et comme l’explique Ibn Ezra dans son interprétation de la joie après des batailles victorieuses, nous sommes appelés à nous rassembler continuellement autour de la bannière de l’unité. Sonnons les trompettes de la solidarité, réunis autour du noyau sacré du Mikdash, où la sainteté nous unit à jamais.