Parachat Ki Tetsté – Quelles stratégies pour maîtriser les flammes du désir ?

Parachat Ki Tetsté – Quelles stratégies pour maîtriser les flammes du désir ?

La Torah autorise-t-elle une déchéance morale ?!

Notre paracha s’ouvre sur un passage singulier – celui de la « belle captive », où la Torah permet à un soldat de désirer une femme non juive pendant la guerre et de l’épouser. C’est un cas exceptionnel, où la Torah choisit de s’écarter du cadre halakhique habituel. De nombreux commentateurs, au fil des générations, se sont interrogés sur la façon dont la Torah peut autoriser une action si éloignée du mode de vie attendu de nous, en particulier lorsqu’il s’agit d’interdictions relatives aux relations prohibées.

Mais nos Sages nous ont déjà révélé que « la Torah ne parle qu’en considération du mauvais penchant, car si HKBH ne l’autorisait pas, l’homme l’épouserait de manière illicite ». Rachi va même plus loin en soulignant la valeur négative et en indiquant que l’issue de cette union est connue d’avance – l’homme finira par haïr cette femme et engendrer un fils rebelle et indiscipliné, ce qui explique la juxtaposition des passages concernant la belle captive, la femme haïe et le fils rebelle.

En d’autres termes, l’acte est en soi négatif et mérite condamnation, ses conséquences sont également néfastes, mais nous ne pouvons-nous y opposer car « le cœur de l’homme est mauvais dès sa jeunesse ».

Cependant, cette autorisation amplifie la difficulté ; depuis quand la Torah cède-t-elle au penchant de l’homme ? Ce n’est pas habituel, et nous ne trouvons pas une telle permission pour aucune autre transgression dans la Torah ! De plus, pourquoi la Torah ne nous guide-t-elle pas ici aussi sur la façon de surmonter le penchant et de faire face à la tentation ?

À la guerre, impossible de fuir

Il n’en est ainsi que parce qu’en général, le penchant est plus fort que l’homme, et la façon de le surmonter est que l’homme évite de le rencontrer. L’homme ne contrôle ses pulsions qu’en leur fermant la porte. Sur le champ de bataille, cela n’est pas possible. Dans une situation de guerre, le penchant surmonte toutes les inhibitions, et l’homme se retrouve dans des circonstances qui ne lui donnent aucune possibilité d’échapper à ses pulsions.

Le combattant canalise toutes ses forces, physiques et mentales, pour lutter et défendre sa vie et celle de son peuple. Lorsqu’on part en guerre, la chose la plus importante est de gagner la bataille, et les combattants doivent mettre tous leurs désirs au service de la réussite de la guerre. C’est la raison pour laquelle il est dit dans la Michna (Sota) qu’un soldat sur le front n’a aucune possibilité de se retirer ou de fuir, car « le début de la chute, c’est le recul » (Sota 44b) et quiconque cherche à revenir de la guerre, on a le droit de lui couper les jambes.

C’est probablement aussi la raison pour laquelle il est permis aux combattants de manger des aliments interdits en temps de guerre, s’ils n’ont pas d’aliment permis accessible, comme l’a statué le Rambam (Lois des Rois), même lorsqu’il ne s’agit pas d’une situation de danger de mort.

Ainsi, il est inévitable que le combattant rencontre le mauvais penchant de manière frontale. Il est également important de préciser que, dans le cadre de la guerre, les femmes non juives qui se faisaient belles dans le but de séduire et de débaucher les combattants, comme nos Sages ont interprété le verset « elle ôtera le vêtement de sa captivité ». Dans une telle situation, l’homme perd son jugement, car il se trouve dans un état de survie où il mène une réflexion instinctive, rapide et émotionnelle, contrairement à une réflexion lente, rationnelle et calculée.

C’est pourquoi, la seule façon d’ôter l’aiguillon de l’obstacle est d’affaiblir le goût du péché. C’est ce que fait la Torah par le biais d’instructions et de restrictions qui guident sur la manière d’institutionnaliser la relation avec cette femme, combien de temps il faut attendre et comment l’approcher. En d’autres termes : différer la satisfaction de son désir.

Essayons d’approfondir davantage ces points.

La motivation psychologique de la faute

La cause du péché provient de la puissance du mauvais penchant. L’homme étant fait de matière, i]l est très difficile de faire régner l’esprit sur lui. Son désir qui bout dans son corps matériel, qui cherche des satisfactions immédiates, ne cède pas devant l’esprit qui promet une grande lumière dans l’avenir. Cependant, il existe un autre facteur du péché qui est plus profond : la force psychique. L’âme cherche à atteindre les domaines du bonheur, et il semble à l’homme que s’il réalise ses désirs, il atteindra ce bonheur. Le penchant traduit l’aspiration spirituelle de l’homme à franchir les limites et à atteindre des réalisations dans les domaines du plaisir physique.

C’est pourquoi, on peut constater que lorsque la force physique de l’homme diminue, la force de la tentation du péché s’estompe également. Parallèlement, lorsque le facteur psychologique du péché s’éteint et que l’homme se trouve dans un état de tristesse et de dépression, la force physique du péché est également ôtée. Les deux forces, physique et psychique, agissent l’une sur l’autre et s’unissent pour créer un facteur motivant.

Le penchant est la source de la créativité de l’homme

Le penchant est le combustible de l’homme et la source de sa créativité ; c’est une partie de l’âme qui découle de la volonté de conquérir des réalisations et de s’étendre au-delà des limites du présent.

À partir de cette compréhension, on peut déduire que la solution pour faire face à la force pulsionnelle ne réside pas dans une lutte directe contre elle dans une tentative de la réprimer, mais dans la compréhension profonde que son fondement se trouve dans des aspirations spirituelles élevées. Le penchant, en fait, porte en lui un potentiel immense, mais parfois il traduit ces aspirations de manières inappropriées.

Dans le Zohar, il est dit que lorsque Dieu déracinera le mauvais penchant dans le futur, il ne sera pas complètement annulé mais réparé, et il servira à des fins spirituelles. Pourquoi ne sera-t-il pas totalement supprimé ? Le Zohar répond qu’en l’absence du mauvais penchant, il ne peut y avoir de joie dans l’étude de la Torah.

Rabbi Tzadok HaCohen interprète dans ce sens les paroles de la Guemara (Kiddoushin 30b) qui dit : « Si ce vil te rencontre, entraîne-le à la maison d’étude ». À première vue, pourquoi l’introduire dans la maison d’étude et porter atteinte au sacré ? En réalité, nos Sages ont suggéré qu’un homme dépourvu de penchants risque de perdre sa créativité. Par conséquent, il n’est pas juste de réprimer les penchants, mais il faut les exploiter et les canaliser comme combustible qui l’amènera à des réalisations positives dans la maison d’étude.

Une stratégie audacieuse pour dominer nos penchants 

On constate donc que si l’on examine le passage de la belle captive, on découvre que la nature de cette permission n’est pas en fait un consentement à un relâchement moral, mais une liste d’instructions et de restrictions destinées à canaliser l’énergie du penchant de la manière la plus correcte possible.

On pourrait demander : un homme qui désire prendre une femme de manière totalement interdite écoutera-t-il vraiment ces instructions ? Acceptera-t-il d’attendre un mois, ou de se priver de ses cheveux ? S’il est prêt à transgresser une interdiction grave, il n’y a aucun doute qu’il pourrait aussi transgresser des restrictions plus légères.

Mais c’est bien ainsi ! C’est la façon de faire face au mauvais penchant. Venir frontalement face au mauvais penchant et lui dire que c’est ‘interdit’ ne sera pas efficace. Tout comme lorsqu’on s’approche d’un petit enfant et qu’on veut lui prendre un jouet dangereux, on n’agit pas avec violence mais on lui propose avec sensibilité un substitut approprié qui attirera son attention. Il en va de même avec le mauvais penchant – il faut lui parler dans un langage sophistiqué et adapté. Au lieu de répondre « interdit », il faut diriger le regard vers ce qui est permis et concentrer l’attention sur d’autres possibilités positives. On peut réfléchir à d’autres options qui peuvent satisfaire la personne à ce moment-là, ou utiliser la technique du principe de report : prendre un moment, respirer profondément, réfléchir aux conséquences de l’action, ou simplement laisser le penchant se calmer.

À ce sujet, la Guemara (Houllin 109b) rapporte les paroles de Yalta qui a dit à son mari Rav Nahman que pour chaque chose que D-ieu a interdit, Il a donné en contrepartie une permission similaire : Il a autorisé la consommation du foie en contrepartie de l’interdiction de consommer du sang, le gras (‘helev) d’animal sauvage en contrepartie de celui de bétail, la cervelle de poisson Shibuta en contrepartie du porc, et la belle captive en contrepartie de la non-juive.

La question de la belle captive est donc l’un des exemples dans la Guemara où la Torah utilise cette approche pour réparer le mauvais penchant au moyen du « permis ». La façon de faire face au penchant est de différer la satisfaction. L’homme ne dit pas « non ! » à son penchant, mais « oui, mais dans un moment ». Ainsi, la femme captive est permise, mais dans un moment. Il faut attendre trente jours.

Et si tu demandes, peut-être que pendant ce temps le feu du mauvais penchant s’enflammera sept fois plus et créera une plus grande soif de fauter. C’est pour cela que la Torah a donné un conseil supplémentaire en disant : « elle se fera les ongles », afin qu’elle devienne repoussante, « elle s’assiéra dans ta maison » pour qu’il la voie dans ses pleurs, tout ceci dans le but qu’elle devienne répugnante à ses yeux (Rachi).

C’est à dire que si nous prenons un instant pour faire un pas en arrière avant de réagir à nos impulsions, nous serons en mesure d’observer la situation de manière plus authentique, sans les distorsions générées par notre imagination. Cela nous permettra de modérer notre enthousiasme et notre excitation, réduisant ainsi la pression que nos réactions immédiates pourraient engendrer. Au lieu de nous laisser emporter par des émotions intenses, nous pourrons prendre des décisions plus réfléchies et éclairées.

L’éducation par la sublimation 

L’éducation est également au cœur de cette réflexion. Comme le souligne le rav Chlomo Hoffman, il n’existe pas de mitzvah d’éducation qui se manifeste par ‘ce qui est interdit’. Dans un contexte normal, il est impossible d’imposer des restrictions absolues à un adolescent, par exemple en disant : « Tu ne peux pas posséder cet appareil ! » sans offrir une solution alternative adéquate à la racine de son problème, souvent l’ennui.

Cette idée rejoint les enseignements du Rachba (Yevamot 114) et du Yerei’m (voir tossefoth yoma 82a), qui affirment que la loi de ‘Hinoukh (éducation) concerne principalement l’encouragement à agir et à respecter, et non l’interdiction de transgresser. Le véritable secret de l’éducation, selon le rav Hoffman, consiste à canaliser les énergies naturelles de l’individu vers un but positif, en les orientant vers des actions constructives. Ce n’est qu’en procédant ainsi que l’énergie, qui doit inévitablement se libérer, le fera de manière bénéfique, plutôt que de s’exprimer négativement.

Dans la Guemara, on raconte qu’un Amora achetait des ustensiles défectueux chez un potier pour les donner à son enfant afin qu’il puisse les casser. Pour lui, cela n’était pas un acte de dégradation, mais bien un moyen de ‘réparation’ – l’enfant y trouvait du plaisir, et c’était sa façon de libérer son énergie de manière utile, plutôt que de la laisser s’exprimer de façon néfaste, Dieu nous en préserve.

Au mois de la techouva, ces principes peuvent nous guider dans notre cheminement vers le progrès et l’amélioration personnelle. Il est essentiel d’apprendre à avancer avec prudence, même si nous ne triomphons pas dans chaque bataille. Prendre le temps de réfléchir, de faire preuve de patience et de différer nos actions tout en gardant à l’esprit une vision à long terme sont des éléments précieux. Tous ces principes peuvent nous accompagner dans notre retour vers Hachem.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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