Dans la situation actuelle, où le monde entier est bouleversé par cette pandémie du Coronavirus, de nombreuses questions sont posées dans diverse domaines.
Un des thèmes touché est celui concernant les sujets financiers et monétaires (dinei mamonot), comme le rapport employeur employé, les licenciements, les transactions annulées et autres.
L’une des question récurrentes dans notre Beit Horaa concerne le paiement des Ganim (jardins d’enfants) et des écoles, étant donné qu’ils ne proposent plus leur service, comme leur a été imposé par le gouvernement, il nous faut savoir qu’en est il du salaire ? Doit-on payer les Gananot et les enseignants bien qu’ils ne travaillent pas, ou alors nous sommes dispensés et ces derniers doivent même nous rendre les chèques avancés ?
Réponse
Pour tous cas de force majeure – la perte est à l’employé
En général, la règle que nous tenons dans les cas ou un employé n’a pas pu réaliser son travail, même dans un cas de force majeure, est que la perte est pour l’employé sauf si l’employeur est fautif. Ainsi tranche le Choul’han Arou’h (333,5 ; 334,1) que l’employeur sera dispensé de régulariser l’employé. Le cas de force majeure comprend aussi bien les cas impliquant l’employé (par exemple s’il est tombé malade) ou même les cas de l’employeur (par exemple dans le cas où il employa une personne pour arroser son champ et que la pluie tomba à ce moment, rendant cette tâche inutile. Même si dans l’absolu l’employé peut mettre sa disponibilité en avant, le fait qu’il n’a rien réalisé disculpe son employeur de le payer).
La généralité qui en ressort est que l’employé voit son salaire dépendre uniquement du travail effectué. S’il ne l’a pas fait, même à cause d’une bonne raison, il ne percevra pas de salaire. (Evidemment, tout ceci à la condition que l’employeur n’était pas au courant dudit cas de force majeure. Dans le cas contraire, il aurait dû l’expliciter).
Opinion du Maaram concernant les enseignants ne pouvant plus enseigner
Cependant, nous trouvons que le Rama (321,1) tranche au nom du Maaram, dans un cas où le gouverneur avait interdit aux enseignants d’enseigner, que la perte revient à l’employeur. Ainsi, même si le professeur n’exerce plus, il faudra le rétribuer intégralement.
La raison à cela est que c’est un cas de force majeure concernant toute la ville – Makat Medina (plaie nationale), et donc on ne peut pas remettre cette “mauvaise chance” – Mazal, sur le dos de l’enseignant.
Distinction entre un simple cas de force majeure et celui concernant le pays entier
Cette distinction entre un simple cas de force majeure, et celui concernant une ville entière, existe déjà dans le talmud (Baba Metsia 103b) au sujet du métayer, comme le rapporte le Choul’han Arou’h (321,1 ; 322,2). L’explication de cette différence est de savoir sur qui nous faisons porter la responsabilité de cette “mauvaise chance”- Mazal (voir Sema). Par exemple dans le cas d’une location, bien que dans un cas de force majeure classique nous remettons ce Mazal sur le locataire, malgré tout si cet empêchement concerne toute la ville, nous considérons que le Mazal est pour les deux, et le locataire sera dispensé.
Si c’est ainsi, les propos du Rama au nom du Maaram sont très étonnants, car bien que nous distinguions si l’empêchement concerne toute la ville ou pas, mais cela est dit uniquement pour dispenser, car le Mazal est pour les deux cotés et nous ne pouvons donc pas faire sortir d’argent, or le Rama utilise ce principe pour obliger les parents à payer toute la somme. Ainsi s’étonne le Gaon de Vilna et estime que les propos du Rama sont incompréhensibles.
Le Nétivoth (334,2) aussi s’oppose fermement au Rama. Ainsi il explique un autre enseignement du Rama (334) au nom du Maaril au sujet d’un père qui loua un enseignant pour son fils, et suite à un changement de climat, le père et son fils ont été contraint de s’enfuir. Le Maaril trancha que le père est dispensé de payer l’enseignant. Le Netivoth explique que le changement de climat est considéré comme Makat Medina (plaie nationale) , et malgré tout la perte est pour l’employé.
Cependant, le Taz (334,1 ; 321,1) est du même avis que le Rama au nom du Maaram, et explique que même dans Makat Medina (plaie nationale) nous considérons toujours que le Mazal est pour le propriétaire. Et donc tout dépend du cas de figure, s’il s’agit d’employeur employé, le propriétaire est l’employeur et la parte sera pour lui. Mais s’il s’agit d’un cas de location, le propriétaire ne pourra pas réclamer son loyer.
Ainsi est l’opinion du Cha’h (334) comme le Rama et le Taz. Pour lui le cas précité au nom du Maaril où il s’averra un changement de climat, n’est pas considéré comme Makat Medina (plaie nationale) non pas comme le Netivoth, et c’est pour cette raison seulement que le père est dispensé.
Synthèse des avis et conclusion
Il ressort une discussion entre les décisionnaires quelle est la Hala’ha dans un cas où l’employé n’a pas pu réaliser son travail à cause d’un cas de force majeure concernant toute la ville – Makat Medina. Alors que pour le Rama le Taz et le Cha’h l’employeur a le devoir de payer l’intégralité de la somme. Pour le Netivoth et le Gaon, il est totalement dispensé.
Il existe un avis intermédiaire, c’est celui du Sema (321) qui pense qu’il faut couper la poire en deux, étant donné que chacun des cotés est disposé à respecter son engagement si ce n’est à cause du Makat Medina (plaie nationale) .
A partir de cela nous pouvons arriver à la conclusion dans notre cas de coronavirus, qu’il s’agit bien d’une Makat Medina (plaie nationale) . Car bien que nous trouvons une discussion sur la définition même de Makat Medina, toutefois le Netivoth a déjà établie que si l’impossibilité de travailler provient d’une interdiction claire du gouvernement, il n’y a aucune discussion qu’il s’agit bien de Makat Medina.
Et donc dans notre cas, les parents pourraient dire Kim Li (je tiens) comme les avis qui dispensent l’employeur. Cependant il est cité au nom du Hatam Sofer (voir Pit’hei Hochen lois des locations 6,10,29) dans un cas similaire qu’il a fait une Pechara (concession) et demanda aux parents de payer la moitié de la somme (bien que pour lui-même il paya l’intégralité). Ainsi trancha le Rav Zaafrani Chlita (Chimrou michpat 4, 99) pour les gens du sud lors de la période de guerre à Gaza (Plomb Durci).
Y’a t-il une différence si les parents ont avancé des chèques ?
Mais tout cela n’est pas suffisant pour notre cas, car dans la plupart des cas les parents ont avancé des chèques aux Gananot et enseignants sur toute l’année, or nous savons que dans tout cas où l’argent a déjà été avancé par l’employeur, il ne pourra pas le récupérer même dans un cas de force majeure. Ainsi il ressort du Roch (6,3) qui explique la raison de la perte pour l’employé, par le fait qu’on ne peut faire sortir de l’argent de l’employeur (Hamotsi Me’havero ‘Alav Hareaya), et donc inversement aussi si l’argent est déjà entre les mains de l’employé, on ne pourra pas le récupérer. Nous trouvons un autre argument dans Tossefot (Baba Metsia 79b) qui prétend que par le fait que l’employeur a payer en avance, on estime qu’il a pris les risques sur lui. Quoi qu’il en soit, l’employé n’a pas le devoir de rendre l’argent, ainsi tranche le Cha’h (334,2).
Il nous reste juste à savoir si en donnant des chèques, on peut considérer comme si l’argent se trouve entre les mains de l’employé (Mou’hzak). Tout dépend du statut du chèque selon la Hala’ha. C’est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre chez les décisionnaires contemporains. Trois avis sont retenus, 1) le chèque est considéré comme de l’argent, 2) il est considéré comme un contrat sur une dette (Chtar ‘Hov) mais ne représente pas d’argent même, 3) il n’a même pas la valeur d’un contrat mais consite simplement à un ordre à la banque (Harchaa).
Le statut de l’employé possédant les chèques dépend donc de ces différents avis, selon le troisième avis on ne peut parler de Mou’hzak. Et même selon le deuxième avis, on pourrait faire dépendre cela de la discussion entre les décisionnaires (voir Chouk’han Arou’h 82,12 ; Sema et Cha’h) si la personne possédant un contrat est considérée comme si elle possède l’argent.
Bien que les chèques soient datés pour plus tard et ne sont pas encore encaissables, il n’y a pas de raison de différencier. Cependant, il faut ajouter que ces avis ont été dits pour des chèques classiques, mais pour des chèques non endossables il serait plus logique de les considérer comme une Harchaa (ordre).
Au niveau de la Hala’ha, étant donné que le fait même de considérer celui qui possède les chèques comme étant Mou’hzak, dépend des différentes opinions précitées. Et que pour les chèques non endossables il semble évident qu’il ne s’agit que d’un ordre à la banque. Il semblerait logique de conserver la Hala’ha que nous avons conclue précédemment, à savoir que les Gananot rendront la moitié de la somme.
Mais il est important de préciser que cela ne concerne que les mois où elles n’ont pas encore encaissé les chèques. Mais pour le mois où elles ont déjà encaissé le chèque, elles ne rendront pas la moitié même si elles n’ont pas travaillé.
Poel Batel – Combien un homme est prêt à payer pour ne pas travailler
Néanmoins, cette dernière précision n’est pas exacte, car il existe encore une Hala’ha pour tous les cas où l’employé recoit un salaire sans travailler, il devra déduire la somme de Poel Batel, c’est-à-dire combien un homme est prêt à payer pour ne pas travailler, comme tranche le Rama (333,1).
Cependant, cette règle ne s’applique pas dans tous les cas. Une des exceptions est bien l’enseignant comme précise le Rama (335,1), car nous considérons que ce dernier préfère travailler plutôt que de rester à l’arrêt afin de ne pas oublier ses connaissances, et également car il est bien plus difficile pour lui de recommancer l’enseignement suite à une longue interruption (voir Sema 335,4).
A partir de cela il se peut qu’il y ait une différence entre les enseignants et les Gananot. Pour ces dernières il nous faudra évaluer si leur préférence est d’exercer ou pas. Dans le cas où elles préfèrent le repos, elles devront rendre au parents la somme de Poel Batel même pour le mois où elles ont déjà encaissé le chèque. Cette somme sera évaluée par le Beit Din (car nous ne tenons pas comme le Taz qui propose de devoir rendre la moitié).
Conclusion
Pour le mois où les Gananot ont déjà encaissé le chèque, elles ne rendront que la somme de Poel Batel (combien un homme est prêt à payer pour ne pas travailler). Cette somme sera évaluée par le Beit Din.
Cette Hala’ha n’est juste seulement si nous considérons que ces Gananot préfèrent l’arrêt de travail. Par contre si elles préfèrent travailler, où alors dans le cas des enseignants (pour lesquels nous considérons de manière evidente qu’ils sont moins interressés par l’arrêt de travail), les parents ne pourront réclamer aucune somme.
Pour les autres mois où elles n’ont pas encore encaissé les chèques, on fera une Pechara et elles ne pourront encaisser que la moitié du salaire. Et même si les parents n’ont fait aucune avance, ils devront payer la moitié du salaire.
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