Tandis que l’épidémie de coronavirus (covid-19) continue à se répandre dans le monde, il est intéressant de se pencher sur une question concernant la contamination:
Un patient atteint d’une maladie contagieuse, s’est rendu dans des lieux publics sans tenir compte des avertissements du médecin de ne pas sortir. Suite à cela, des personnes ont été infectées, et à leur tour ont dû rester isolées chez elles, perdant ainsi des jours de travail. Une question se pose: le patient en question est il responsable de la contagion? Doit-il rembourser les heures de travail perdues?
Il convient de souligner que de manière générale, cette question a peu d’application pratique, car il est difficile de connaitre et d’identifier la personne par qui on a été contaminé, or on ne peut faire débourser de l’argent sans preuve. Toutefois, on peut toujours imaginer une situation où le préjudice est démontrable, comme par exemple dans le cas du coronavirus où ce patient serait le seul à venir de Chine…
De quel type de dommage s’agit il?
Dans les lois relatives aux dommages, il existe une distinction fondamentale entre ceux entraînés par une personne elle-même ‘Adam hamazik’, de ceux causés par ses biens ‘Mamon hamazik’, eux même divisés en plusieurs groupes répondant chacun à une législation spécifique (la corne, l’obstacle, le feu, la dent et le pied). Au sein même du premier groupe de ‘Adam hamazik’, des lois particulières existent concernant les dégâts corporels d’un homme envers son prochain, qui sera alors redevable de quatre remboursements supplémentaires – mis à part le coût du dommage même – qui sont: la douleur – ‘Tzaar’, les soins médicaux – ‘Ripouy’, le chômage – ‘Shevet’, et la honte infligée – ‘Boshet’. A notre époque, aucun tribunal ne peut facturer dommage, douleur et honte, mais il fera payer uniquement les frais médicaux ainsi que le chômage.
Dans notre cas, où la présence d’une personne à proximité d’une autre entraîne sa contamination, il nous faut donc déjà définir de quel type de dégât s’agit il?
A priori cette configuration appartient au groupe ‘Adam hamazik’, étant donné que ce patient porte en lui un virus nuisible qui va se répandre naturellement à son entourage. On peut donc considérer cela comme ses propres “flèches” (le prolongement de son action directe), car même les dommages causés par le souffle de sa bouche ou sa salive sont considérés comme sa force (voir choul’han arouk’h 418).
Cependant, il se peut que dans notre cas de figure, on ne puisse pas considérer son acte comme “sa flèche”, car finalement aucune action n’est exercée sur le corps infecté, et le dégât n’est pas certain. Et même en envisageant que le patient se tenait proche de son ami, il n’est pas sûr et certain à ce moment que ce dernier sera affecté par sa maladie. Or, nous savons que dans le cas d’un dommage indirect, appelé “Grama”, il n’y a pas d’obligation de remboursement, sauf si on veut être acquitté par le Tribunal céleste. On pourrait alors comparer notre cas à celui d’un homme qui incite un chien ou un serpent contre autrui (baba kama 24b), qui est exempt de remboursement (Choulh’an Aruch 395), la raison étant que le dommage n’étant pas sûr, cela est statué comme un Grama (S’ma). C’est aussi la raison pour laquelle celui qui place un poison mortel devant l’animal d’autrui (baba kama 47b) est aussi exempt de responsabilité, toujours selon le principe de Grama.
Toutefois, certains cas de dommage indirect ne sont pas considérés comme Grama mais comme Garmi (presque indirect), et ne sont pas exempts de remboursement. Le Rosh (baba kama 9, 13) définit que dans un cas où un homme cause lui-même un dommage à son prochain et que le dégât est certain (‘bari hézéka’), cela sera déterminé comme ‘Dina Dégarmi’, et il devra payer. D’après cela, il se peut que dans un cas où la contamination est évidente, ce sera au moins considéré comme Garmi ou peut être même comme “sa force”.
D’autre part, il semblerait que l’on doive considérer notre cas non pas comme ‘Adam hamazik’, mais comme étant inclus dans la catégorie de ‘Esh’ (dégât occasionné par un feu non surveillé qui se propage sur la récolte d’autrui), qui se distingue de ‘Adam hamazik’ par le fait qu’une force extérieure lui est associée. C’est ainsi qu’une personne qui pose une pierre, un couteau ou une charge sur son toit, qui sont ensuite projetés par un vent ordinaire et causent un dommage en tombant, sera tenue de payer en vertu du principe de ‘Esh’ (baba kama 3b). Pareil pour la contamination, l’action du virus associé à la propagation par l’air peut être défini comme ‘Esh’.
Et même si l’on considère l’action du virus comme indépendante, cela ressemblera à l’enseignement dans Baba Kama (56b): celui qui expose la bête d’autrui devant la récolte d’une autre personne, devra payer les dommages qu’elle y fait. D’après le Rashba, il ne s’agit pas ici d’un dommage engendré par ses biens, mais plutôt de ‘Adam hamazik’, c’est-à-dire d’un dommage causé par la personne elle-même. Et le Hazon Ich (baba kama 1,7) explique l’intention du Rashba dans ‘Adam hamazik’ comme se référant à la catégorie de ‘Esh’ (feu). Il semble d’ailleurs que même d’après les Tossafot, qui ne partagent pas l’avis du Rashba mais justifient le devoir de payer en fonction des lois relatives à la catégorie de Shen (‘la dent’, qui fait référence à la consommation indue, occasionnée lors du passage de la bête dans le champ du voisin), malgré tout, dans notre cas où le virus n’a pas de volonté indépendante, ils seront d’accord avec le Rashba.
A la réflexion, le cas le plus comparable au notre est celui cité par le Rambam dans les lois de voisins (11), où celui qui s’installe pour accomplir un travail qui génère de la poussière qui sera amenée par le vent à endommager son voisin, doit se placer à une certaine distance, car ce cas est comparable à celui qui cause un dommage avec ses flèches. Cependant, s’il a causé un dommage, il n’est pas tenu de payer, car c’est l’influence du vent qui a causé le dommage et non la force de la personne. A ce sujet, les Rishonim (Ramban dina dégarmi, Rashba, Tossafot) ont cherché à comprendre pourquoi ne pas considérer cela comme Esh? Quelle différence en effet avec celui qui pose une pierre sur son toit, et qui est renversé par le vent etc.? Et la réponse donnée est rattachée au fait que la poussière n’est pas un nuisible en soi, si ce n’est par l’action du vent, contrairement au feu ou à la pierre. Ainsi, il semble que la contagion par un virus appartient à la classe de Esh.
Si notre cas est bien rattaché à la catégorie de ‘Esh‘, il est important de savoir qu’à propos d’un dégât occasionné par le feu, il existe une discussion talmudique entre Rabi Yohanan et Reich Lakich si on peut le considérer comme ses « flèches » et donc comme ‘Adam hamazik’, ou bien comme ‘Mamon hamazik’. De cela dépendra si les dommages du Esh sont inclus dans les lois relatives à celui qui occasionne une blessure corporelle à son prochain, qui est redevable de cinq choses dont le chômage et les soins médicaux (les seuls parmi les cinq dont on peut exiger le remboursement de nos jours), comme explicité dans le Choul’han Arouk’h 418, 17). Au niveau de la Halac’ha, on considère les dégâts de Esh comme “ses flèches” (Rabi Yohanan), toutefois il existe certains cas que l’on fera appartenir à la catégorie de ‘Mamon hamazik’ (par exemple dans ‘kalou ‘Hitsav’). En ce sens, le Hazon Ich écrit dans le cas où l’on expose l’animal d’un ami sur les denrées d’autrui, ce que le Rashba considère comme un dommage de Esh, ce sera défini comme “ses flèches” uniquement s’il place la bête sur la récolte, par contre dans une situation où il fait face à la bête et la dirige en bloquant son chemin, ce sera considéré comme ‘Mamon hamazik’.
Conclusion
Concernant l’indemnisation de la perte d’emploi subie ainsi que des frais de soins médicaux, dans un cas de contamination consciente et certaine d’une maladie contagieuse, cela dépendra de notre développement. Dans un cas où le patient se positionne devant une autre personne et respire face à lui, cela pourrait être défini comme ‘Adam hamazik’ ou en tout cas comme un Esh considéré comme ses flèches, et il sera tenu rembourser frais médicaux et chômage. Par contre, dans une situation où il se tient simplement dans sa proximité et que la contagion se fait par la propagation du virus, il semble qu’on puisse considérer cela comme un Grama (dommage indirect), dans lequel on est dispensé de remboursement (même du chômage et des soins, voir Choul’han Arouk’h 420,11). Et même si on peut considérer cela comme un Garmi (dommage presque indirect) si la contagion est certaine, on ne pourra pas exiger de paiement, d’après le Ktsot Ha’hochen (308,2; 333,2) ainsi que le Shaar Hamishpat (61,2) qui ont tranché que Garmi est exempt de remboursement des 4 dommages (douleur, soin, chômage, honte).