Doit-on accomplir toutes les volontés du défunt ?

Doit-on accomplir toutes les volontés du défunt ?

Les jours d’Israël approchant de leur terme, il manda son fils Yossef et lui dit : « Si tu as quelque affection pour moi, mets, je te prie, ta main sous ma hanche pour attester que tu agiras envers moi avec bonté et fidélité, en ne m’ensevelissant point en Egypte. Quand je m’allongerai avec mes pères, tu me transporteras hors de l’Egypte et tu m’enseveliras dans leur sépulcre. » Il répondit : « Je ferai selon ta parole. » Il reprit : « Jure-le-moi » et il le lui jura ; alors Israël s’inclina sur le chevet du lit. (Béréchit 47, 29-31)

Ses fils agirent à son égard, ponctuellement comme il leur avait enjoint. Ils le transportèrent au pays de Canaan et l’inhumèrent dans le Caveau du champ de Makhpela, ce champ qu’Abraham avait acheté comme possession tumulaire à ‘Efron le Héthéen, en face de Mammré. (Béréchit 50, 12-13)

De ce verset, le Midrach apprend que l’on possède l’obligation (‘Mitsva’) d’accomplir les paroles du défunt.

Cette loi est mentionnée dans le Talmud (Guittine 14a) au sujet d’un homme qui dit « Voici un Maneh (une somme d’argent) pour Untel » et qui est mort juste après. Selon l’avis de Rabbi Meir, nous avons l’obligation de réaliser la volonté du mort. Ainsi le Choul’han ‘Aroukh (‘Hochen Michpat §250) tranchera.

Dans cette synthèse, nous essaierons de définir cette notion et de déterminer la nature de cette Mitsva.

[Il y a lieu de souligner que notre sujet est complètement distinct de la loi traitant du « Respect dû au père (même) après son décès » qui est un sujet en soi et qui fera l’objet d’une autre intervention. Notre sujet, quant à lui, porte surtout sur la définition précise de cette obligation de concrétiser une volonté testamentaire.]

A première vue, la raison de cette obligation serait l’honneur que l’on doit au mort.

Cependant, nous trouvons chez nos Maîtres deux opinions sur la question :

1. L’avis du Tachbets (2. 53) qui précise que cette loi s’applique uniquement aux sujets d’ordre financier et non aux autres domaines. Ainsi écrit-il : « Ce n’est pas pour toute chose qu’il y a une injonction à accomplir les paroles du défunt. En effet, l’homme, au moment de sa mort, ne devient aucunement prophète ou roi, ni même un dirigeant, pour qu’il puisse forcer les vivants à l’écouter. […] Cela n’a été dit que lors d’un ordre impliquant ses biens propres […] et découle des lois concernant l’héritage ». Le Chevout Yaacov (1. 168) partage cet avis.

En réalité, Rabeinou Tam (cf. Tossefot Guittine 13) avait déjà postulé que cette loi ne peut s’appliquer chez un converti sans héritiers, étant donné que seul les héritiers sont concernés par cette obligation. Le rapport entre l’obligation de réaliser les dernières volontés d’une personne et sa propriété sur ses biens est donc établi.

[Un cas intéressant (ramené par le Tachbets) illustre parfaitement ce point de vue : un homme avait ordonné à l’un de ses fils de se marier avec une femme précise, en stipulant que s’il accomplissait sa volonté, il lui donnerait une certaine somme d’argent. Concernant le fait de se marier, le fils n’aura aucune obligation, se marier n’étant pas un sujet pécunier. Mais dans le cas où il déciderait de le faire, ses frères se verront dans l’obligation de lui céder cette somme d’argent, car pour eux il y aura une obligation d’accomplir le souhait de leur père, de l’argent étant en jeu…]

2. Cependant, le Choel OuMéchiv (2. 1) s’oppose à l’avis du Tachbets et de Rabeinou Tam. Il tranche que cette loi est incluse dans l’obligation qui nous incombe de prodiguer des bienfaits aux morts (qui est une injonction rabbinique). En effet, le mort ressent une certaine satisfaction quand ses volontés sont exaucées.

Comment concilier le Midrach avec l’avis du Tachbets ?

Il y a lieu de s’interroger sur l’avis du Tachbets, à partir du Midrach précité affirmant que la source de l’accomplissement de la dernière volonté de Yaacov par ses enfants, fut l’obligation de réaliser les volontés du mort. Pourtant, nous ne parlons aucunement ici de volonté pécuniaire ?

On peut répondre à cette interrogation de deux facons:

1. Le Divrei Yatsiv (§28) propose de partager cette Mitsva en deux catégories. D’une part, l’obligation de suivre le testament d’une personne, du fait de son emprise sur ses possessions. Ainsi, cette dernière ne concerne que les domaines liés à l’argent.

D’autre part, il existe une autre obligation de suivre les ordres du mort, due au respect du défunt, quel que soit le domaine concerné. (Ces deux types d’obligation sont intrinsèquement liés : c’est par respect pour le défunt qu’un certain pouvoir sur ses biens est maintenu même après sa mort.)

La différence entre ces deux obligations est dans la possibilité d’imposer à autrui la réalisation d’une volonté testamentaire. (Ce sujet fait l’objet d’une divergence d’opinions chez nos Richonim, mais le Divrei Yatsiv le fait dépendre de ces deux catégories.) Pour les sujets financiers, on pourra donc imposer l’accomplissement de sa volonté, mais pas pour les autres sujets.

La réponse à notre question est donc évidente. Les enfants de Yaacov se devaient en effet d’accomplir la volonté de leur père, mais n’auraient pas pu faire l’objet d’une exigence extérieure. Tandis que le Talmud (Guittine ibid.) traite d’un cas où l’on pouvait imposer aux héritiers de donner cette somme à Untel. (Nous comprenons ainsi pour quelle raison le Talmud lui-même ne ramène pas une preuve de cette loi des enfants de Yaacov, car il voulait pouvoir imposer cette obligation.)

2. Le Min’hat Acher (du Rav Ocher Weiss sur la Paracha de Vayé’hi) explique l’intention du Tachbets de distinguer entre les sujets financiers et les autres. Selon lui, il est évident que cette distinction ne s’applique uniquement qu’aux sujets extérieurs au mort. En revanche, pour tous les sujets concernant le défunt lui-même (comme les funérailles, la sépulture, l’éloge funèbre…), il faudra écouter et réaliser sa volonté. En effet, il ne pourrait être lui même moins important que ses biens.

Le Midrach est donc compréhensible même d’après le Tachbets, puisque s’agissant des domaines en rapport au mort, l’obligation sera de vigueur.

Nous pouvons conclure en expliquant l’initiative de Yaacov de faire prêter serment à ses enfants. Pourquoi fallait-il ajouter une autre raison d’accomplir sa volonté par un serment, l’obligation d’accomplir les dires d’un mort aurait dû suffire ?

A cela le Ramban commentera que ce serment n’était en réalité qu’un moyen de pression sur Parô, pour permettre à Yossef de lui soutirer une permission de sortir la sépulture d’Egypte. Sans cela, il n’aurait pas laissé cette source de bénédiction divine quitter le territoire, fût-ce pour réaliser les dernières volontés d’un défunt…

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.