« Tu parleras aux enfants d’Israël, et tu diras : Lorsqu’un homme mourra sans laisser de fils, vous ferez passer son héritage à sa fille…»
Bamidbar 27;8
Selon la Torah, les filles n’ont pas de part d’héritage lorsque le défunt avait des garçons. Seul dans le cas où la personne n’a pas laissé de fils, les filles auront droit à l’héritage (voir traité baba batra 110a; Choul’han Arou’h 178,1). Il ne s’agit pas ici d’une prérogative pour les garçons, car la fille aussi bénéficie de cet avantage à travers son mari. La Torah a une vision plutôt patriarcale de la famille, et considère que la fille non pas comme le garçon qui est la continuité du père, se rattache à la famille du mari.
Cependant, selon les lois en vigueurs dans la majorité des pays de notre époque, les filles héritent à part égale avec leurs frères.
Il est vrai qu’il existe une règle de dina-démal’houta-dina qui consiste à dire que l’obéissance au droit civil du pays dans lequel nous vivons est considérée comme une obligation religieuse, et doit être préféré à la loi juive. Mais comme dit le Beit Yossef au nom du Rachba, cette règle n’est pas appliquée concernant les lois de l’héritage. Nous trouvons une explication à cela dans le Rema (369) qui estime que cette formule n’est valable uniquement concernant les sujets qui ont un intérêt pour le pays ou le roi.
Dans beaucoup de pays l’héritage est immédiatement réparti entre les héritiers conformément à leurs lois, mais les héritiers doivent signés afin de réaliser l’héritage.
La question est de savoir si afin de ne pas enfreindre la loi de la Torah, les garçons peuvent-ils imposer à leurs sœurs de signer un document dans lequel elles déclarent renoncer à l’héritage, ou alors les filles peuvent refuser bien que ça aille à l’encontre de la Hala’ha ?
Développement
Le Pnei Moché (2;15) apporte deux avis à cela:
1. Selon le Maharit, la fille a l’obligation de signer le document de renoncement à sa part, en faveur de ses frères, afin d’accomplir la mitsva de hachavat aveida (restitution d’un objet égaré). Nous considérons l’héritage comme une perte qui doit-être rendu à son propriétaire, les héritiers. Telle est l’opinion de nombreux d’autres décisionnaires.
Nous trouvons une autre raison, qui consiste à dire que le fait de ne pas signer est comparable à midat Sedom (comportement propre à la population de Sedom qui consiste à s’opposer fermement à rendre des services même sans raison), comme nous le verrons.
2. Le Mahari Bassan quant à lui, tranche qu’il n’y a aucune obligation pour les filles de signer un renoncement, et par conséquent il est en droit pour les filles de réclamer de leurs frères, une compensation en échange de la signature de ce document.
Une des sources de ce débat se trouve dans le traité baba kama (102b), où le talmud traite le cas de l’acheteur d’un terrain qui a fait écrire le contrat de vente au nom de son ami, et ensuite il s’est adressé de nouveau au vendeur pour lui faire écrire un nouveau contrat en son nom. La guemara tranche que bien que ce terrain appartienne à cet acheteur, on ne peut imposer au vendeur d’écrire un nouveau contrat. Ainsi tranche le Choulhan Arou’h (60;9) dans un cas similaire où Réouven a prêté une somme d’argent à Levy, en lui disant d’écrire un contrat au nom de Chimon. Réouven ne pourra pas imposé ensuite à Chimon de lui ventre ce contrat, bien que ce soit lui le véritable préteur.
On pourrait déduire de ce principe pour le sujet de l’héritage également, qu’on ne pourra pas imposer aux filles de signer le contrat de renoncement. Mais cela n’est pas exact, car le Maarchal (cité dans le Cha’h 60;34) ajoute que tout cela est dit uniquement si la personne a une raison valable pour ce refut de donner un contrat, mais sans cela on l’obligera à le faire par le principe de kofin al midat Sedom (obliger une personne de rendre un service qui ne cause aucun désagrément). Ainsi tranche le Na’halat Tsvi (276) à partir de ce Maarchal, à savoir que les filles ne pourront pas s’opposer à la demande des frères. Le Ba’h (responsa 34) quant à lui, ne fait pas cette distinction, pour lui dans aucun cas on pourra obliger une personne à réécrire un contrat. On pourrait donc dire que la question de savoir si nous pouvons obliger les filles de signer le contrat de renoncement, dépend de la discussion entre le Maarchal et le Ba’h.
Mais le Ben Ich ‘Haï (dans sa responsa Rav Péalim) estime qu’étant donné que la signature des filles leur cause un tort pour leur renommée, tous les avis seront d’accord qu’on ne pourra rien leur imposer.
Hala’ha
Au niveau de la hala’ha, la plupart des décisionnaires s’appuient sur l’avis du Mahari Bassan pour ne pas imposer aux filles de signer à un renoncement sans recevoir de compensation. Même les opinions qui ne tranchent pas explicitement comme le Mahari Bassan, s’appuient quand même sur sa décision puisque la fille représente la personne qui « détient » d’une certaine manière l’argent de l’héritage (sans sa signature, le partage ne se fera pas selon les règles de la Torah), elle a donc l’avantage.
Mais il n’est pas mentionné dans ses propos comment estimons nous cette compensation. Le Mahara Alfandari écrit que la fille peut réclamer jusqu’à 10% de l’héritage, en rétribution à la signature du document. C’est ce que rapporte Rav ‘Haïm Fallag’i que l’usage est d’imposer aux frères de payer à leurs sœurs, 10% de l’héritage, afin qu’elles acceptent de signer le document de renoncement à l’héritage.
Conclusion
La plupart des Dayanim n’imposent pas aux filles de signer un renoncement. Le rav ‘Haïm Fallag’i ajoute qu’on évite ainsi de les inciter à se retourner vers les tribunaux civils, ce qui est interdit selon la hala’ha. Il sera toutefois conseillé d’arriver à un compromis d’environ 10 % de la part accordée à la fille selon la loi, en contrepartie de leurs signatures. Bien entendu, tout dépendra du jugement du Beit Din en fonction de la situation financière de la fille.
Il est important de préciser que ce tout qui a été dit ne concerne uniquement l’héritage, c’est à dire le patrimoine de la personne suite à sa mort. Mais toute personne peut anticiper et faire des donations de son vivant à ses filles, et celles-ci resteront en leur possession même après sa mort. On retrouve également dans certains pays il y’a quelque siècles, une pratique nommée chtar ‘hatsi za’har qui est cité dans le Rema (257;7). Il s’agit d’une dette que la personne prend sur elle envers ses filles d’un montant de la moitié d’une part d’héritage (le Ktsot propose même chalem za’har – une part complète), par cela les fils n’auront droit à leur héritage à condition de payer d’abord cette dette aux filles. La loi de la Torah qui exclut les filles de l’héritage ne viendra pas à l’encontre de cette dette, car cette dernière était déjà existante de son vivant.
Il existe également une exception dans la guemara ketouvot (68a) qui donne un droit aux filles non-mariées de prendre une certaine somme (issour ne’hassim) de l’héritage pour la dot lors du mariage.