La valeur du contrat de vente

La valeur du contrat de vente

Questions

Réouven a signé un contrat de vente avec Chimon sur un bien immobilier. Lors de la signature, Chimon a versé une première somme correspondant à 10% du montant convenu, en attendant de compléter à la remise des clés.

Entre temps, Réouven a changé d’avis et n’est plus intéressé à vendre l’appartement à ce prix. Bien entendu il compte restituer à Chimon les 10%. Mais Chimon s’oppose fermement, sous prétexte qu’ils se sont engagés mutuellement et définitivement en signant le contrat de vente.

1. A qui la Hala’ha donne raison ?

2. Dans le cas où Réouven a trouvé entre temps un acquéreur pour un prix plus élevé, et s’est empressé de lui vendre l’appartement. Peut-on valider cette vente ?

3. Dans le cas où Réouven est décédé, les héritiers ont-ils l’obligation d’accomplir la vente ?

Réponses

1. Le vendeur peut-il se rétracter après avoir signé le contrat

Il est important de préciser qu’en général, un « contrat de vente » n’a pas la valeur d’un acte d’acquisition. Bien que la Hala’ha admette que toute acquisition puisse être établie par un contrat (chtar), ceci dépend de la formulation. Nous distinguons ainsi entre une formule de vente et une formule d’engagement. Dès lors que la formule habituellement utilisée dans les contrats de vente est celle de l’engagement, il ne s’agit donc pas d’une vente.

Néanmoins, nous trouvons que l’engagement a lui aussi une valeur selon la H’alaha (Choul’han Aroukh 40,1), au point où le Beth Din peut obliger la personne à l’accomplir, et a même une emprise sur ses biens.

Il existe toutefois une discussion entre les décisionnaires (Ktsot Hahochen 40,1 et Nétivoth 60,13), si pour cela il faut avoir fait un acte d’acquisition comme « soudar » (soulever un objet quelconque) au moment de l’engagement, ou bien nous nous suffisons du contrat.

D’autre part, le Ktsot Hahochen (203,2) prouve du Tchouvot Maarith que tout engagement ne peut avoir lieu sans que la personne qui s’engage prenne sur elle une responsabilité totale en cas de perte ou de vol (chiboud hagouf). Par conséquent, prétend le Ktsot (206,1), l’on ne peut pas s’engager sur un objet précis mais sur une valeur uniquement. L’engagement de vente selon le Ktsot n’a donc aucune valeur. Le Nétivoth (203,6) s’oppose à cela et prouve à partir de nombreuses sources que l’engagement fonctionne également sur un objet précis comme dans le cas d’une vente.

Cependant, dans certains Richonim tels que les Tchouvoth Rachba (citées dans le Beth Yossef 206) et autres, nous trouvons explicitement qu’un engagement de vente par contrat est valable, même sans kinyan soudar. Telle est l’opinion de la plupart des décisionnaires actuels. Et même selon le Ktsot, on pourrait différencier entre les cas où il n’y a eu aucun versement d’argent, contrairement à notre cas ou Chimon a versé 10% du montant. Il serait donc légitime de penser que le Ktsot valide aussi cet engagement par contrat. 

Conclusion

Réouven ne peut en aucun cas changer d’avis, et le Beth Din peut l’obliger à remplir son engagement. 

2. Dans le cas où Réouven a vendu le bien entre temps à Lévi à un prix plus élevé

C’est l’objet d’une discussion entre le Michné Léméle’h et le Maarah Sasson (citée dans le Ktsot 206,1). L’avis du Michné Léméle’h est que la vente est valable puisque jusqu’à présent, le bien n’était pas légalement vendu mais uniquement soumis à une promesse qui n’a aucune portée sur le bien lui-même mais seulement sur Réouven. Cela ne pouvant empêcher une vente. Au contraire de cela, le Maarah Sasson estime que l’engagement de vente a pour but d’empêcher une nouvelle vente éventuelle, et donc cette dernière n’est pas valide. Le Ktsot tient pour sa part une opinion intermédiaire, selon lui bien que la vente soit accomplie, Chimon peut récupérer le bien. Quant au Nétivoth, il est plutôt d’accord avec le Michné léméleh.

Il est vrai que la Guémara (Avoda Zara 72a) fait une distinction dans un cas où le bien a été vendu à un tiers à un prix plus élevé que celui auquel le premier s’est engagé, comme est le cas entre Chimon et Lévi. Cependant, dans cette Guémara il s’agit d’un cas où la promesse est formulée ainsi : « si je vends cette maison, ce sera à toi », ce qui ne ressemble pas à un engagement classique comme un contrat de vente, où le vendeur s’est clairement engagé quelles que soient les circonstances, comme propose le Maarah Sasson.

Conclusion

Etant donné qu’il y a une discussion entre les décisionnaires à ce sujet, cela dépend : si Lévi habite le bien (mouhzak), il peut prétendre qu’il pense (kim li) comme le Michné Lemeléh qui estime que la vente est accomplie, et par conséquent Chimon ne peux pas l’expulser. S’il n’habite pas encore le bien, on accordera probablement plus d’importance à l’engagement envers chimon.

3. Dans le cas où Réouven est décédé, les héritiers ont-ils l’obligation d’accomplir la vente ?

Le Beth Chémouel (Even Ahezer 51,10) s’interroge ainsi dans le cas où le contrat a été formulé sous forme de promesse accompagné d’un acte de soudar mais sans engagement explicite, selon les opinions qui valident cette promesse. Cependant, dans notre cas où il s’agit d’un engagement en bonne et due forme sur un bien existant, tous les décisionnaires admettent que cela implique les héritiers également (voire Ktsot et Nétivot 60), sauf le Pétah Habaït (lois des engagements ch. 38).

Conclusion

les héritiers ont l’obligation d’accomplir la vente dans le cas où le bien était déjà existant lors de l’engagement. S’il n’était pas existant, c’est un autre sujet.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.