Alors que la grève contre la réforme des retraites perturbe toujours les transports en commun franciliens, le conseil d’île de France a annoncé mercredi 8 janvier qu’un mois d’abonnement serait remboursé aux usagers de la RATP et SNCF. Ainsi, fin janvier, une plateforme de demande de remboursement sera mise en ligne. Une question se pose toutefois. Une fois le montant de l’abonnement mensuel récupéré, les salariés devront-ils reverser la moitié à leur employeur, qui prend chaque mois une partie en charge?
Cette question concernant le Navigo n’est pas vraiment de nature Halachique. La participation de l’employeur aux frais de transport public est obligatoire par la loi, il nous faudra donc simplement vérifier ce qui a été régi par celle-ci, ce que nous ferons dans un premier temps. Par la suite, nous essaierons de traiter plus généralement le cas d’un conférencier qui aurait convenu avec l’employeur de lui rémunérer les frais de taxi, mais finalement s’est débrouillé pour arriver en bus, en stop ou même à pied. Le conférencier pourrait-il garder la différence pour lui?
Les salariés devront ils rembourser une partie du Pass Navigo ?
Nombre d’experts ont affirmé qu’en pratique le salarié est libre de son choix, car l’entreprise ne peut imposer juridiquement aux salariés de solliciter le remboursement, et étant donné que l’employeur ne pourrait récupérer son dû qu’à partir du moment où le salarié aura prouvé qu’il a obtenu le remboursement, il est donc peu probable que les salariés se bousculeront pour prouver qu’ils ont bien été remboursés. Cependant il reste à savoir au niveau Halacha, le salarié aurait-il l’obligation de rembourser ou pas?
Le remboursement de frais de transport aux salariés CESU nécessite obligatoirement un élément justificatif de l’abonnement aux transports en commun (autrement cela pourrait être considéré par l’Urssaf comme du salaire déguisé, car le remboursement est non soumis à charges et cotisations). C’est pourquoi si votre salarié vient à pied ou en stop, vous ne devez le rembourser que s’il présente quand même chaque fin de mois un titre de transport à son nom. En raisonnant ainsi, on pourrait prétendre que l’employeur devrait récupérer sa part dans son remboursement indu.
Cependant, il semble plus juste de considérer ce versement de la part des services publics comme une indemnisation. C’est ainsi que confirme le ministère du Travail auprès de l’Express, qui précise que ce versement a une nature indemnitaire et qu’il s’agit là d’un geste commercial dont l’objet est de compenser les préjudices subis et également les frais supplémentaires engagés pour se déplacer : covoiturage, location de trottinette ou vélo, trajets en taxi etc.
Un conférencier reçoit des frais de taxi mais s’est débrouillé gratuitement
Ce sujet est à distinguer des frais de transport pour des salariés, qui sont inclus dans leur fiche de paye, où il est clair que c’est considéré comme un supplément de salaire, et l’intention de payer existe même si le salarié ne devra pas réellement dépenser de l’argent pour voyager. Notre sujet se réfère au cas où le paiement est explicitement convenu en tant que frais pour des transport réellement pratiqués.
Une femme qui s’est réduite aux frais qu’elle a reçus de son mari
D’après le Talmud, l’ensemble des revenus et des acquisitions de la femme appartiennent au mari, en contrepartie de son engagement à combler ses besoins. Malgré tout, si son mari lui a consacré une somme d’argent pour sa nourriture, et qu’elle s’est contentée de peu pour économiser et épargner de l’argent, dans ce cas l’argent restant lui appartient.
Et, bien qu’il soit indiqué ailleurs (Kétouvot 59a) que le surplus de la dotation alimentaire revient au mari, Tossefoth dans Nazir (24b) explique que cela n’est valable uniquement quand le mari lui donne une somme pour la pension alimentaire et qu’après peu de temps le prix des aliments baisse jusqu’à ce qui lui reste un solde, dans ce cas il a été dit que les excédents reviennent au mari; par contre dans un cas où elle s’est privée de nourriture, économisant ainsi de l’argent, elle pourra le garder pour elle-même. Tel est aussi l’opinion du Ran (Nédarim 59a). Cependant, le Rama (even haezer 70, 3) n’a pas tranché ainsi, mais s’est basé essentiellement sur l’enseignement dans Ketouvot que le supplément de l’allocation alimentaire revient au mari dans tous les cas.
Cependant, certains décisionnaires (voir Pithé Téchouva) ont estimé qu’il faut distinguer entre le cas de figure où la femme ne s’est pas abstenue de manger, mais simplement que dans sa nature elle ne consomme pas en proportion avec la quantité que les sages lui ont allouée, dans ce cas tout excédent revient au mari. Ce qui n’est pas le cas quand elle s’est affamée et a mangé moins qu’elle ne méritait, dans un tel cas on peut considérer qu’elle a acheté le solde au prix de son abstention alors qu’elle aurait pu tout utiliser, comme l’affirme le Noda Biyéouda.
Il est à noter que le Beit Meir ainsi que Beit yaakov ne sont pas de cet avis, mais pensent que même si la femme a jeûné, cela dépendra d’une discussion entre les Rif et le Roch d’un côté, qui ont tranché comme le Rama, et Rachi et Rambam de l’autre qui tiennent comme principe que dans un cas d’abstention, le solde appartient à la femme.
D’après cette logique-là, le conférencier qui s’est déplacé à pied ou d’une autre façon, économisant ainsi les frais de taxi, sera a priori jugé comme la femme qui a réduit sa pension alimentaire, et pour Tossefoth et le Ran, il pourra garder la rente pour lui-même.
Il sauve l’âne de son prochain au prix du sien
Toutefois il y aurait lieu de différencier entre l’engagement de nourrir sa femme, qui est une promesse d’ordre financier, de l’engagement à payer les déplacements d’un employé, qui est faite uniquement pour ne pas que son emploi ne lui cause de perte, et que donc s’il n’en a pas eu, l’employé n’a aucune raison de gagner plus. Malgré tout, il semble que même dans un cas où un homme a promis à son ami de compenser sa perte et qu’au final aucune perte n’a eu lieu, il ne sera pas exempt de son engagement. On peut prouver cela à partir du sujet traité dans Baba Kama (116&) où Reouven descend dans le fleuve pour sauver l’âne de son ami Chimon de la noyade, et son propre âne (qui était aussi en danger de noyade) sort tout seul, on considère son âne comme ‘un cadeau du ciel’, et ça ne dispensera pas Chimon de payer. Il ressort dans le Netivoth (264, 3) que même si Chimon n’avait l’intention de payer le sauveteur uniquement si cela lui causerait une perte, malgré tout il devra payer dans tous les cas, et même si l’âne du sauveteur sort du danger tout seul, on considère ça comme un ‘cadeau venant du ciel’.
D’après cela, dans notre sujet, même si on conçoit que l’obligation de verser au salarié une indemnité de déplacement est afin qu’il n’ait pas de perte, l’employeur devra de toute façon payer, même si le salarié n’aura rien perdu. Et même si on peut prétendre autrement concernant le devoir de payer en l’absence de perte (voir Rachi et Nimouké Yossef dans Baba Kama), il semble que dans notre cas tout le monde admettra que l’employeur devra financer le taxi, car le conférencier s’est efforcé lui-même pour gagner l’indemnité du voyage. Ainsi a conclu également le rav Ovadia Hadaya dans Yaskil Avdi (5, 29).