Se porter garant pour un prêt – Mitsva ou  à éviter?

Se porter garant pour un prêt – Mitsva ou à éviter?

Car moi, ton serviteur, je me suis porté garant pour le garçon (Berechit 44, 32).

Nous vivons dans un monde où le prêt et le crédit font partie intégrante de la vie. Dans un tel monde, la question de cautionner le remboursement d’un prêt pour un proche ou autrui, est un dilemme auquel nous sommes confrontés assez souvent. La question se pose: se porter caution doit être considérée comme une Mitsva, ou au contraire, quelque chose à éviter?

La Guemara (Yebamot 109b) apporte un enseignement au nom de Bar Kapara, qu’une personne doit «s’éloigner» de trois choses, dont l’engagement de se porter garant sur la dette d’autrui. Comme preuve à l’appui, il cite un verset dans Michleï (Les Proverbes 11, 15): « Qui s’engage à payer les dettes d’étranger s’en trouvera mal ; refuser de le faire est plus sûr ». Il semble donc que, du moins en ce qui concerne un étranger, la garantie doit être évitée. La vérité, dans ce même livre nous trouvons des énonciations similaires condamnant l’ensemble des garanties, y compris pour un ami ou un proche. Par exemple, au début du sixième chapitre nous pouvons lire: « Mon fils, si tu as cautionné ton prochain, Si tu t’es engagé pour autrui, Tu es enlacé par les paroles de ta bouche ». Cette idée apparaît à nouveau dans le chapitre 22: « Ne te déclare pas responsable des dettes des autres. Si tu ne peux pas rembourser à leur place, on te prendra même ton lit quand tu seras couché dessus ».

Contrairement à l’octroi d’un prêt, considéré comme une grande Mitsva de la Torah, décrit dans le langage de Maimonide comme le plus grand et le plus important de tous les commandements concernant la charité, il apparaît à priori que le cautionnement de celui-ci est plutôt présenté comme chose à éviter. La différence entre ces deux-là est assez clair. Dans le cas d’un prêt, une personne est clairement consciente des risques liés à l’attribution du crédit: l’emprunteur peut avoir perdu ses actifs et son argent peut avoir été épuisé. En revanche, en ce qui concerne la garantie, le fait que le garant espère et suppose même qu’il n’aura jamais à payer, amène les gens à garantir des dettes au-delà de leurs capacités. L’expérience malheureuse montre que parfois cela entraîne des conséquences douloureuses.

Cependant, dans la Guemara mentionnée, on distingue entre différents types de prêts. En effet, l’avertissement de Bar Kapara contre le cautionnement n’est valable que par rapport à une garantie ‘ChelTsion’ (caution solidaire, également appelé ‘garant entrepreneur’), qui est une garantie donnant au prêteur le droit de facturer le garant sans même réclamer la dette de l’emprunteur. Par contre dans la garantie ordinaire, dans laquelle le prêteur doit en premier lieu poursuivre l’emprunteur, aucune réserve n’est faite quant à l’acceptation de cet engagement. Cependant, il est à noter que lorsque Maimonide énumère les conduites particulières du Talmid-Hacham (sage érudit), il évoque  le fait d’éviter toute forme de cautionnement, y compris dans sa forme ordinaire. Le Gaon de Vilna met également en garde contre toute garantie. Selon lui, les mots du verset cité plus haut «  Qui s’engage à payer les dettes d’étranger s’en trouvera mal » se réfèrent à un garant ordinaire, alors que la fin de ce même verset «  refuser de le faire est plus sûr » fait référence à un garant solidaire .

Cependant, on ne peut ignorer que, dans de nombreuses circonstances, le consentement d’une personne à se porter garant sera crucial pour l’obtention d’un prêt, comme est le cas dans la plupart des Gma’h (organisme de bienfaisance) où il n’est possible d’obtenir un crédit sans la couverture d’un garant de confiance. De ce fait, il existe des sources qui considèrent la notion de garantie de prêt comme annexée à la Mitsva fondamentale d’accorder un prêt (voir Mordechi Baba Kama 160). Certains commentateurs ont voulu faire dépendre cela de la discussion qu’on trouve entre le Nétivoth (72, 16) et le Toumim (72, 17) au sujet de quiconque qui prêterai un article à son prêteur pour mettre en gage son prêt, cet objet ferait il partie intégrante du prêt dans la mesure où celui-ci n’aurait pas été obtenu sans ce gage.

Pour essayer de donner une résolution à la subtilité qui réside entre l’approche négative du cautionnement d’une part, et celle positive le considérant même comme une Mitsva d’autre part, on peut évoquer les paroles du Hafets Haïm dans son livre Ahavat-Hessed (2, 21), où selon lui devenir garant peut être une Mitsva dans la mesure à ce que celui-ci soit en mesure de payer, et qu’il ait pleine conscience de sa responsabilité, qu’il sera peut être emmené un jour à payer la totalité du prêt. On retrouve déjà cette idée dans Rabénou Yona sur Michleï qui explique les paroles du roi Salomon comme quoi celui qui s’engage à payer les dettes d’étranger s’en trouvera mal, ne s’appliquant pas à un homme digne, qui se porterait garant avec toute l’intention de payer sans négociation ou rivalité…   

Le rav Mendel Shafran, parmi les grands Dayanims de la génération, a adopté des règles opérationnelles, qui dépendent des circonstances changeantes selon les cas. Pour une hypothèque sur un appartement on pourra signer tranquillement un contrat de cautionnement, car il existe plusieurs garants, et surtout, l’appartement lui-même, et en plus de cela la plupart des gens paient. Ce sera même une grande Mitsva de permettre par cela à son ami d’acheter un logement. Par contre, pour des affaires personnelles ou des investissements, il vaut mieux récuser de signer, car il est impossible d’évaluer les risques de l’investissement engagé par l’entreprise, et en cas de perte, le garant devra payer.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.