Vayé’hi – Yaacov: Vérité Mensongère?

Vayé’hi – Yaacov: Vérité Mensongère?

Avertissement au lecteur :

Cette semaine notre réflexion restera inachevée.  Par manque de temps et surtout par souci de rigueur intellectuelle, cet article restera à l’état d’ébauche, esquisse artificielle d’un sujet ô combien authentique. N’ayant pas la prétention de posséder une vision absolue, j’invite ainsi le lecteur soucieux de partager ses conclusions personnelles de le faire à travers la plateforme des commentaires.

Voir le Vrai ou Faire la Vérité

Notre Paracha conclut le premier Livre de la Torah. Il est nommé chez nos Maîtres (cf. Nahmanide) comme étant « le Livre des Pères ». La vie des patriarches y est contée avec moults détails et, à travers leurs faits se façonne leur personnalité unique, transcendante, à inspiration divine.

Il est devenu évident dans la conscience collective de notre peuple qu’à chacun de nos Pères, Avraham, Yts’hak et Yaacov, une Middah est attribuée. Même si ce mot est généralement traduit par ‘trait de caractère’, je préfère pour ma part parler de ‘tempérament’. En effet, ce mot désigne un fondement de personnalité, une base unique d’où divers traits de la personnalité puisent leur source. Cette constitution de l’individu détermine les traits de caractère résultant de cette dernière. Ainsi, toute la vie du patriarche est censée provenir de son tempérament, tous ses projets, ses aspirations, ses actes, ses différentes relations (avec son Créateur, sa femme, ses enfants, les autres individus) doivent suivre une logique basée sur sa nature profonde.

C’est ainsi que la plupart de nos exégèses bibliques confronteront la nature du patriarche en question à l’œuvre de sa vie.

Mais la plupart du temps, les actions eux-mêmes témoignent de l’intériorité de l’homme. Ainsi, l’hospitalité d’Avraham, son dévouement pour les membres de sa famille, sa fidélité à son D.ieu, son empathie pour l’humanité sont les ambassadeurs de sa Middah de ‘Hessed, son tempérament bienveillant.

Si Avraham incarne le ‘Hessed, Yts’hak est celui qui évoque le Din (le jugement) et Yaacov personnifie le Emet (ou la vérité). Tout membre quelque peu cultivé de notre religion énumère ces notions presque rituellement. De plus, la composition du Emet est connue de tous : c’est la fusion entre le ‘Hessed et le Din. (La source de ces deux postulats semble être le Zohar ‘Hadach 33a.)

Cependant, il suffit de s’attarder sur ces notions en toute objectivité pour faire ressortir des incohérences. (Nous nous attarderons plutôt sur le personnage de Yaacov, même si la plupart de nos interrogations s’appliquent également à Yts’hak. Ce dernier fera l’objet d’un autre article.)

Tout d’abord, d’où savons-nous que le tempérament de Yaacov est d’être Vrai ? Quels épisodes de sa vie montrent une nature authentique ? Au contraire, si l’on s’intéresse de près à sa biographie, nous voyons plutôt un homme qui acquit le droit d’aînesse en profitant de la faiblesse physique de son grand frère, qui subtilisa les bénédictions patriarcales en se faisant passer pour un autre, qui usa de subterfuges pour s’enrichir chez son oncle…

Même si une lecture superficielle de cette Torah écrite ne peut qu’être trompeuse et mensongère, car seul l’apport de la Torah orale garantit son sens profond, nous devons trouver d’où nos Sages virent chez Yaacov cette aptitude à la Vérité. C’est seulement dans un second temps que nous pourrons concilier ces oppositions apparentes à son essence. Mais on ne peut pas attester d’un axiome qui contredit tout le récit de sa vie sans preuves ?

De plus, cette notion de Vérité est incompréhensible. Si toute la valeur de ce tempérament n’est qu’une absence de mensonge, de se référer à une réalité existante et claire, quel est ce mérite ? Autant pour la bonté, cette qualité n’est pas juste l’opposé de l’égoïsme et de la mesquinerie. Elle implique une nature nouvelle, constructrice, fruit d’un effort constant pour détruire cette aptitude à recevoir et apprendre à donner. Mais dans le système binaire d’une réalité manifeste, où mensonge et vérité s’affrontent, que signifie d’être Vrai ? De ne pas être un vil menteur ? A priori il ne s’agit que d’être normal et commun ? Depuis quand glorifions-nous la banalité ? Ne pas être retors et aveugle d’une certitude simple justifierait-il une nomination éternelle de Père fondateur ?

Nous pourrons ajouter à ces interrogations la combinaison établie entre Bonté et Justice qui amène à la Vérité. Comment percevoir ce raisonnement ? Il semblerait que Justice et Vérité se chevauchent, les deux s’appliquant à se réduire aux faits réels. On ne juge que sur ce qui est vrai, que vient donc faire l’association avec la Bonté ?             

En guise d’introduction, j’aimerais rapporter les propos de Nahmanide commentant une certaine redondance dans la bénédiction que Yaacov fera à son fils (bénédiction absente du Texte…) Il est dit :

« Que la Divinité dont mes pères, Avraham et Yts’hak, ont suivi les voies. Que la Divinité qui a veillé sur moi depuis ma naissance jusqu’à ce jour. »

(Genèse 48, 15)

Il expliquera la double mention de HaElokim ainsi :

« Le prophète invoquera la Divinité de ses Pères, qui possède la Grandeur et la Rigueur et qui fit avec eux des choses Grandes et Puissantes. Il invoqua ensuite la Divinité de la Vérité qui veilla sur lui. Il est probable que la racine du terme ‘veilla’ (HaRo’é) vient de « N’abandonne ni ton ami (Ré’akha) ni l’ami (Re’a) de ton père » car ce tempérament amène l’Harmonie (Chalom) et l’Amitié (Re’out). […]

Ne sois pas perturbé par l’expression « depuis ma naissance jusqu’à ce jour » avec ce que nous avons écrit sur le verset « Il immola des sacrifices au D.ieu de son père Yts’hak » (ibid. 46,1) [où il ramène un Midrach qui affirme que lorsque Yaacov fit le serment à Lavane, il jura par le D.ieu révéré de son père Yts’hak et non par son propre D.ieu car à ce moment Il ne lui avait pas encore octroyé cette force, il utilisa donc la force qui fut donné à son père]. La différence est que depuis sa naissance il se trouvait sur le sentier de la Vérité, sans pour autant que ce tempérament lui soit destiné. Il le sera lors de son arrivée à la Terre de ses ancêtres, mais à ce moment il se trouvait en dehors d’Israël. Une autre raison à cela était sa conduite avec Lavane, une conduite tortueuse, incompatible au sentier de la Vérité. »

(Ramban Genèse 48, 15)

De ces propos nous pouvons déduire plusieurs choses : Tout d’abord, le tempérament de nos patriarches n’est en réalité que la projection d’une conduite divine. D.ieu fut Grand avec Avraham, grandeur que lui-même utilisa pour la bonté. Il se comporta avec Rigueur à l’encontre d’Yts’hak, elle fut la source de sa crainte révérencielle. Avec Yaacov, il se dévoila comme étant le D.ieu de Vérité, d’où la Middah de celui-ci. Il nous suffira donc de définir le Emet vis-à-vis du Créateur pour le concevoir chez l’Homme.

Ensuite, le fait qu’uniquement en Terre d’Israël cette nature deviendra son essence indique une dimension inconnue de la Vérité. Elle n’est pas le reflet d’une réalité, car sinon le lieu géographique importerait peu. (Même selon sa seconde réponse, il faudra comprendre comment un tempérament censé être intrinsèque peut s’annuler durant de longues années… Quitter le sentier de la Vérité devrait en soi être révélateur d’une carence dans l’authentique ?)    

Afin d’apporter un semblant d’éclairage sur l’opacité profonde de ces sujets, il faudra analyser une expression utilisée par Yaacov lui-même lors de sa requête envers son fils Yossef.

« Tu agiras envers moi avec Bonté et Vérité (‘Hessed VeEmet), en ne m’ensevelissant point en Egypte. »

(Genèse 47, 29)

Ces termes seront expliqués par Rachi comme étant ‘une bonté authentique’, un bienfait accordé à un mort, sans aucun espoir de retour. Le contexte contribua fortement à cette explication, malgré tout, cette expression existe ailleurs dans le récit biblique. En effet, Eliezer l’utilisera pour convaincre Bétouel et Lavane d’accorder la main de Rivka au fils de son maître. (Cf. Genèse 24,49) Dans ce contexte, comment comprendre l’utilisation de ces deux attributs ?

Le Ibn Ezra (Ibid.) définit ses deux qualités ainsi : La Bonté représente un acte dont aucune obligation n’enjoint son exécution, la Vérité quant à elle s’utilise pour décrire l’accomplissement de cet acte.

Une nouvelle définition de la Vérité émerge : c’est la capacité à concrétiser.

De nombreuses preuves viennent étayer cette vision de la Vérité.

L’un des treize Attributs de miséricorde est justement la Vérité (elle suit d’ailleurs l’attribut de Bonté…). Rachi l’expliquera comme une honnêteté d’octroyer un bon salaire aux réalisateurs de Sa Volonté. Appliquer le jugement et attribuer la récompense à qui de droit, telle est le sens de cette vertu.

Pareillement, le Texte (Jérémie 10,10) définit notre Créateur comme étant « l’Eternel, Dieu, est Vérité ; lui seul est un Dieu vivant et un Roi éternel ».

A cela, Rachi expliquera que Son éternité est la cause de Sa vérité : grâce à elle, Sa parole pourra se réaliser (contrairement à l’Homme, fini et mortel, qui projette sans arriver à amener à terme).

En approfondissant, cette qualité de concrétiser un verdict ou un projet s’étend même sur le fait de réaliser une promesse. Avec cette approche, la source de plusieurs sources s’éclaire. L’une d’elles est le Midrach Tan’houma (Réé 14) :

« Yaacov préleva le Premier Ma’asser (un dixième) comme il est dit « Tous les biens que tu m’accorderas, je veux t’en offrir la dîme » (ibid. 28,22). Un Koutti (faux converti) vint un jour interroger Rabbi Méir. Il lui demanda : ‘N’est-ce-pas que selon vous, Yaacov votre père est Vrai ?’ Il lui répondit : ‘Oui, ainsi qu’il est dit « Tu donneras la Vérité à Yaacov, la Bienveillance à Avraham » (Michée 7,20). Il lui rétorqua : ‘Il a prélevé la tribu de Lévi sur dix tribus, pourtant il lui resta deux tribus restantes ?’ Rabbi Méir lui dit alors : ‘Tu affirmes qu’ils étaient douze, quant à moi, je dis qu’ils étaient quatorze.’ (Avec Ephraim et Ménaché) […] Tu m’accordes qu’il y avait quatre matriarches. Il en sort qu’il y avait quatre aînés, et un aîné n’a pas besoin d’être pris en compte pour la dîme… »  

Midrach Tan’houma (Réé 14) 

Nous voyons ainsi que ce qui dérangea le Koutti ne fut pas la fourberie de Yaacov pour arriver à ses fins, mais plutôt son manque d’intégrité et d’honnêteté. Une promesse doit être accomplie, dans son exactitude.

De plus, le verset ramené dans ce Midrach, tiré du livre de Michée, ramène à cette idée. Les commentateurs sur place (voir Targoum, Rachi, Malbim, Radak) expliquent cette requête faite à D.ieu en disant que nous implorons notre Créateur de réaliser les bénédictions faites à Yaacov à Beth El. Encore une fois cette notion de respecter son engagement.

A présent, les dires de Nahmanide peuvent se comprendre à notre niveau.

Ce tempérament de Vérité, c’est la capacité à avoir réaliser un potentiel, une mission, un rôle. Contrairement aux autres patriarches qui participèrent à la création de notre peuple, Yaacov fut le fondateur par excellence. Il réussit à mener à bien le projet divin, à s’accomplir. Mais ce n’est qu’en Terre d’Israël, ce territoire particulier où la Volonté divine trouve un espace de réalisation, que Yaacov trouvera la Vérité qu’il fera sienne. A la fin de sa vie, un peuple descendra de ses entrailles.

(Selon se seconde réponse, le fait que l’arrangement avec Lavane se soit concrétisé avec l’aide des bâtons de Yaacov dénatureront son accomplissement. Il restera fidèle à sa parole, certes, mais avec des moyens tortueux. La Middah de Vérité se verra donc étiolée.)

Nous pouvons donc affirmer que la combinaison compositrice de cette Vérité est bien le ‘Hessed avec le Din. Après avoir établi la Bonté et la Justice, le Verdict se doit d’être accompli. C’est la mise en place de la Rétribution et le Châtiment.

Un nouveau sens peut être donné à la citation du Talmud (Chabbat 55a) : ‘Le Sceau du Saint-béni-soit-Il est la Vérité’. Marquer du sceau implique la fin du procès et le début de la sentence. C’est donc le Sceau lui-même qui est une garantie de cette Vérité…

Pour conclure cette esquisse, nous pouvons méditer sur cette nouvelle approche de la Vérité, qui n’est pas une simple fidélité à une Réalité mais plutôt une droiture intérieure entre ce qui se dit et ce qui se fait. Cette cohérence entre le projet et sa concrétisation, la bénédiction et sa réalisation, la promesse et son application, le verdict et son exécution, est bien le tempérament de Yaacov, cet homme qui devint peuple, fidèle à son D.ieu et à sa parole…  

About The Author

Ancien élève de Gateshead et de la Yéchivat 'Hevron, il est l'auteur entres autres d'un essai sur l'adolescence à travers le prisme de la Torah. Etudiant à plein temps du Kollel, il se spécialise dans 'Hochen Michpat.