Au cœur d’un évènement qui nous dépasse totalement, en dépit des tentatives d’explications, des encouragements répétés de toutes parts, des mesures prises de tous ordres, nous sommes encore loin d’avoir la moindre idée de ce qui se trame…
Dans une telle perspective, nous intériorisons plus que jamais, notre petitesse et nos si modestes limites face à l’Infinie Grandeur Divine de laquelle nous dépendons intégralement à tous points de vue.
Le Maître du monde, a perturbé notre quotidien à tous les niveaux. Il a déstabilisé notre rythme de vie, nos routines, nos émotions. Il a annulé nos résolutions, nos projets, nos programmes… Et non seulement cela, Il a même exclu toute éventualité de pouvoir planifier quoi que ce soit. Il a tiré un trait sur nos « plans sur la comète » Il a forcé le monde entier à tout stopper (peut-être en guise de réparation sur la profanation du Chabbat, comme lors de l’exil de babylone qui répara les années de Chemita non respectées). Il a même fermé les frontières et dans Sa rigoureuse Volonté, il nous a tous séparés.
Nous sommes tous aujourd’hui confinés à l’intérieur de nos maisons, ainsi que l’exprime le passouk « לך עמי בוא בחדריך וגר דלתיך בעדך חבי כמעט רגע עד יעבור זעם – va mon peuple, rentre dans tes appartements, ferme tes portes, cache-toi le temps d’un instant jusqu’à ce que passe la colère » (Yéchayahou 26 ;20)
Et c’est précisément en cette période où nous sommes « incarcérés » dans nos maisons, que s’éclaircissent nos esprits, à un moment tellement confus et tellement loin de la compréhension humaine, que j’ai pensé profiter du message de la Paracha de cette semaine, sur le sens profond à donner à la Maison.
Le Michkan et ses ustensiles : A quoi accorder la préséance ?
Les sages nous enseignent (Brakhot 52, Rachi Chemot 38 ;22) que : Moché Rabénou ordonna à Betsalel de confectionner d’abord les ustensiles du Michkan et ensuite seulement, de procéder à la fabrication de celui-ci. En réponse Betsalel dit à Moché que l’habitude du monde est de faire d’abord la maison, pour ensuite y installer ses meubles. Moché lui répondit, c’est ainsi en effet que j’ai entendu de la Bouche de Dieu. Moché dit à Betsalel, tu étais à « l’ombre d’Hachem » (ce qui est le sens de ton nom) car il est certain que c’est ainsi que Hachem me l’a ordonné. Et c’est ce qu’il fit. Il construisit d’abord le Michkan puis en confectionna les ustensiles.
Quel est le sens de cette discussion entre Moché Rabénou et Betsalel et dont l’enjeu est de savoir lequel, du Michkan et de ses instruments, a préséance sur l’autre ?
De plus, une fois que Moché transmit à Betsalel que l’ordre venait d’Hachem, pourquoi Moché admit-il le propos de Betsalel ?
Par ailleurs, quand on sait que le Michkan ne fut pas érigé aussitôt après sa fabrication, pour quelle raison attacher tant d’importance à l’ordre dans lequel les choses se devaient d’être réalisées ?
Je voudrait proposer une explication à cela à partir de l’enseignement suivant:
Le Mirach relate une discussion intéressante entre Dieu et Moché:
Lorsque Dieu demanda à Moché Rabénou de construire un Michkan, une demeure pour y résider, Moché s’étonna et dit « la Gloire du Maître du monde remplit le Ciel et la Terre, et Il me demande d’établir pour Lui une demeure… quel sens cela a-t-il ? » Suite à cela, Moché récita le téhilim (91) « יושב בסתר עליון – Celui qui demeure sous le secret du Très Haut », et Rabbi Y. bar Simon explique que celui qui réside en secret, se situe au-dessus de toutes Ses créatures. Le verset se poursuit en ces termes : בצל שקי – à l’Ombre du Tout-Puissant ! Que signifie être à l’ombre du Tout-Puissant… ? C’est être à l’ombre qu’a créé Betsalel…
Et Dieu dit à Moché : « Ta façon de penser ne correspond pas à la Mienne…il y a 20 poutres au nord et 20 au sud du Michkan… et plus encore lorsque Je descendrai, je réduirai ma Chekhina encore davantage, elle sera contenue dans un espace de forme carrée, dont la dimension du côté sera celle d’une coudée. »
Chémot Raba 34 ;1
On comprend l’étonnement de Moché Rabénou. Il a déjà du mal à concevoir que les Cieux soient suffisants pour contenir la présence du Maître du monde. Comment dans ce cas à ses yeux, le Michkan ici sur terre, puisse prétendre Le recevoir et L’y faire résider ?
C’est à cette interrogation que Moché Rabénou répond lui-même à travers les mots du téhilim : « יושב בסתר עליון בצל שקי יתלונן – Celui qui demeure sous le secret du Très Haut, et s’abrite à l’ombre du Tout-Puissant » Moché exprime en ces termes que celui qui demeure en secret est très élevé. Il faut entendre par là, que de même que Hakadoch Baroukh Hou est au-dessus de tout, ainsi devons-nous demeurer dans un endroit petit et caché, c’est-à-dire à l’ombre qu’a préparé Betsalel.
Mais si c’est ainsi il nous faut comprendre la réponse de Dieu « Ma manière de penser ne correspond pas à ta pensée, tu as 20 poutres au nord et 20 au sud… et je réduirai ma présence dans un carré d’une coudée sur une coudée »,
Comment appréhender cette précision supplémentaire ? Que faut-il décoder qui ne soit pas de l’ordre de la façon de penser de Moché ? Pourtant, Moché avait déjà compris le principe de la dimension du Très Haut… à l’ombre de ce qu’a préparé Betsalel ! Quelle précision supplémentaire vient-on nous enseigner ?
L’Enceinte du Michkan contient un sens comme le Ciel et la Terre
Moché pensait que l’entité du Monde ne suffisait pas de prime abord pour contenir la Gloire d’Hachem. C’est pourquoi le dévoilement de Sa Gloire dans ce monde matériel ne pouvait se faire que de la façon la plus secrète, car plus l’endroit est petit, moins cela vient contredire la réalité de cette déficience du monde. C’est ce qui l’amena à la conclusion que l’essentiel du Michkan résidait dans ses ustensiles. Pour lui c’est précisément là, que se trouve l’endroit de la Chekhina, et plus particulièrement dans le Aron Hakodech. Quant à la structure du Michkan par elle-même, elle n’est que technique. Sa réalité n’ayant pour finalité que de préserver les éléments qui l’habitent.
C’est en vertu de cette démarche « intellectuelle » que Hachem dit à Moché « Ma Réflexion n’est pas comparable à la tienne, tu as 20 poutres…». Il tenait à lui faire comprendre que la structure du Michkan a un but essentiel et non pas uniquement une fonction technique. Il n’y a aucun autre moyen de recevoir la Chekhina si ce n’est par le biais de cette structure du Michkan. Seulement une fois la Chekhina présente, elle pourra être réduite dans le Aron.
Car le Michkan n’est pas seulement le lieu où reside la Chekhina de manière cachée, mais plus que cela, c’est un monde en soi en version miniature, un véritable microcosme, fidèle reflet du grand monde, tel que le rapporte le Midrach. Et de même qu’au moment de la Création du monde, Dieu a établi un cadre de vie pour l’homme qui lui permette d’atteindre son objectif qui est de connecter le ciel avec la terre, ainsi, la mise en place du Michkan, de ses poutres et ses socles, portent en eux le même objectif.
C’est là, la réponse de Betsalel à Moché. Lorsqu’il releva que l’habitude du monde est de construire la maison avant de façonner les meubles qu’ils s’apprêtent à y déposer, il faisait allusion à la Création du monde, où Hachem avait d’abord créé le cadre, le ciel et la terre, pour ensuite y placer son contenu. Cette réflexion, Betsalel put la concevoir seul car il avait les caractéristiques qu’Hachem utilisa lorsqu’il créa le monde, tel que l’exprime le Midrach.
[Et bien que Hachem ordonna à Moché de construire le Michkan en premier lieu, celui-ci pensa qu’il s’agissait des instructions concernant le Michkan d’en Haut qui ne connait aucune limite. Par contre, pour ce qui est de ce qui est relatif à ce monde, l’objectif est tout autre. Il a pour tonalité d’être petit. Dans ce cas, notre Michkan est forcément limité. C’est à cela que Betsalel répondait à Moché, pensant que le Michkan ici-bas n’était autre qu’une reproduction du Michkan d’en haut].
L’objectif à travers un cadre
Un enseignement de fond nous est livré à cette occasion. En opposition avec les idées simplistes qui tendent à penser que le cadre est sans importance et ne revêt aucun contenu, il nous appartient d’intérioriser le fait que le seul moyen d’atteindre nos objectifs est de sanctifier le cadre lui-même.
Le monde est ainsi fait que, toute spécialité requiert un objectif et un cadre d’exécution et de mise en place de cet objectif. Dans le monde de l’activité professionnelle par exemple, l’objectif à atteindre, consiste à acquérir une profession ou un moyen de subsistance… Elle exige une structure : un bureau par exemple ou tout endroit adapté avec ce qu’exige la pratique de cette activité.
Ainsi en va-t-il également dans le domaine de l’étude : le but étant l’étude même, et l’enrichissement, une structure, un cadre sont également indispensables : les écoles, les yéchivot, les maisons d’étude…
Cependant, même si ces structures ont pour objet d’aider à atteindre l’objectif, il arrive aussi qu’elles viennent nuire et réduire le but attendu. Prenons l’exemple d’une personne qui étudie. D’un côté le cadre est là pour l’aider, mais par ailleurs, il peut aussi limiter cette personne, dans le temps et également selon d’autres paramètres désavantageux.
Il est néanmoins possible de parvenir à atteindre ses objectifs sans cadre, mais cela est peut-être réservé à quelques « spécimen » d’exception.
Le seul moyen permettant d’atteindre notre objectif sans être dérangé par la structure et ses contraintes, est de sanctifier le cadre lui même. Cela revient à construire l’édifice de sorte qu’il exprime nos valeurs essentielles, à l’exemple du ciel et de la terre, cadre de notre monde.
Insuffler un idéal au cœur de la maison
Il semble que cet enseignement soit des plus actuels, précisément en cette période de confinement à la maison. Il est vrai que nous avons tendance à prendre le cadre de la maison pour un moyen exclusivement. A nos yeux, il ne représente pas un but en soi. Sa fonction semble-t-il, est de nous permettre de manger, de dormir, échanger, discuter…
Pourtant, à la lumière de ce qui vient d’être dit et en y apportant une réflexion plus soutenue, il apparait très clairement que l’essentiel de la vocation du cadre réside justement au cœur de cette maison idyllique par l’entremise de ces tâches. L’objectif repose désormais sur l’ambiance qui s’y trouve. Et bien que nos occupations à la maison tournent autour des éléments qui la constituent, la cuisine, la table, les divans etc… finalement, l’essentiel de la maison tient dans l’ambiance idyllique qui en émerge. A chaque maison sa grâce et la kédoucha qui y réside.
Hachem n’a pas dit « Je résiderai en lui (le Michkan) », il a dit « Je résiderai en eux (les Bnei Israel) », Il a promis ainsi de résider en chacun de nous.
Notre Michkan c’est notre Maison, la maison de chacun d’entre nous. Il nous appartient d’exploiter cette période pour renforcer ce « Michkan » cette demeure sainte, et accorder toute sa force aux Paroles de notre Thora « ils feront pour Moi un Sanctuaire ».
Hachem nous a offert un « temps », une période précieuse et très particulière, profitons-en. Utilisons ce moment privilégié, cette situation dans laquelle toute la famille est réunie, pour fixer des moments d’organisation, attribuer des rôles à chaque membre qui la compose, transmettre nos valeurs paisiblement, dans la douceur, reconstruire ce nouvel idéal de Maison, lui restituer tout son sens et sa Kédoucha.
Je ponctuerai par ces quelques mots, de la même façon que dans le Michkan, si ce n’était que sa structure même portait un sens, ses objets n’auraient pu atteindre leur rayonnement au-delà de l’enceinte du Michkan. Mais seulement par le fait que ses ustensiles donnaient du sens à toute la structure du Michkan, à travers cela, leur impact etait capable de diffuser au-delà même des parois vers le monde entier.
Ainsi si chacun renforce sa Maison, consacre du temps pour intérioriser en profondeur cette approche élevée de la vie, et notre bien modeste valeur face à la Grandeur de la Chekhina. Il est certain que cette incidence ne se limitera pas aux murs de la maison, elle traversera ses parois pour imprégner tout le peuple juif, jusqu’à l’arrivée du Goel Tsedek Amen.