Nous traversons actuellement la période du ‘Omer. Ce décompte a pour but de nous amener de Pessa’h, fête de la Liberté, à Chavou’ot, la fête du Don de la Torah. Loin de n’être qu’une suite de jours que l’Homme traverse de façon passive, cette période est en réalité une préparation au cadeau divin. Ainsi, nos Sages ont déterminé le travail que l’homme se devait de consacrer ces jours particuliers.
Pourtant, nous trouvons dans nos Textes deux manières distinctes de considérer ces jours de préparation.
D’une part, nous insistons sur l’évolution purificative du Peuple Hébreu qui débuta lors de la Sortie d’Egypte. En effet, tel semble être l’avis du Zohar (voir Zohar ‘Hadach début de P. Ytro), repris par la littérature kabbalistique et ‘hassidique dans leur grande majorité. En séjournant en Egypte et étant influencé par cette civilisation immorale, le peuple atteint une profonde impureté. L’empressement que D.ieu eut à les sortir de cet exil s’explique en partie par la crainte de voir les Hébreux s’enliser dans un niveau si bas qu’il ne pouvait permettre aucun retour possible. Ainsi l’ouvrage ‘Hessed LeAvraham (seconde Source, Fleuve 56) l’explique-t-il :
« Sache qu’une Tradition transmise à nos Sages de mémoire bénite affirme qu’Israel se souillèrent tellement dans les immondices égyptiennes que la veille de la Délivrance ils entrèrent dans le 49ème Portique. S’ils s’étaient attardés encore, ils auraient pénétré le 50ème Portique et n’auraient plus jamais eu de possibilité de réparation. »
Sans prétendre décrypter la compréhension profonde de cet ‘état d’âme’, ce 50ème niveau dans l’impureté, une interprétation métaphorique nous permettra d’assimiler la gravité de ce point de non-retour.
La lettre Noun, attribué au nombre 50, a une place particulière dans la grammaire hébraïque. Placé en fin de mot, il permet le passage entre l’acte et la personne, entre Faire et Être. (Si une personne ayant volé se dit ‘Hou Gazal’, le voleur quant à lui se dit ‘Gazlan’). En ajoutant cette lettre, on définit la personne par ses actes. Son essence est ainsi réduite à ses faits.
Tomber dans cette ultime Porte, c’est en quelque sorte intégrer le Mal, quitter un rôle pour en faire sa personnalité. Les actes immoraux nous auraient ainsi rendu Immoral, changeant notre nature à jamais. En quittant l’Egypte, source du Mal, nous nous sommes extraits de la source, et dès lors, peu importe les fautes commises, nous ne serons jamais des fauteurs mais plutôt des gens qui fautent.
(C’est ainsi qu’il faut comprendre la réponse mystérieuse de Berouria à son mari, Rabbi Meir. Ce dernier, voulant éradiquer ses voisins fauteurs, fut ramené à l’ordre par son épouse qui lui recommanda plutôt d’implorer la grâce divine pour que leurs fautes disparaissent. À la suite de sa prière, ses voisins revinrent sur le droit chemin. Voir Bera’hot 10a)
En tous cas, cette période possède en elle une grande force de purification, car pour prétendre être le dépositaire de la Loi de D.ieu, les Enfants d’Israel ont dû évoluer des 49 Portes d’Impureté aux 49 Portes de Sainteté. (Voir le Tsits Eliézer au nom du Ari Zal Partie 17 §75). Le Zohar (Parachat Emor) établit ainsi le parallèle entre les sept semaines de décompte du ‘Omer et les sept jours de propreté de la femme atteinte de menstrues.
D’autre part, nos Maîtres de morale ont défini ce compte comme une période de formation de l’Homme en tant que tel, par une sublimation de son tempérament, ou Réparation des Midots. L’esclave libéré passa ainsi de l’état animal, dirigé par ses pulsions, à celui d’humain. D’ailleurs, comme le Sefat Emet (Chavou’ot) le fait remarquer, l’offrande du ‘Omer était à base d’orge, nourriture de base de base de la bête, alors que l’offrande caractéristique de Chavou’ot était les Deux Pains, à base de blé, aliment spécifique de l’Homme.
La Torah se devant être précédé par les bons traits de caractères (Voir Rabeinou Yona Avot 3, 17) ces jours servent donc à l’amélioration de ces derniers.
Cette période étant propice à la bonification du caractère, ce n’est sans réelle surprise que précisément entre Pessa’h et ‘Atséret moururent les disciples Rabbi Akiva. Le Talmud (Yebamot 62b) détermina la cause de l’épidémie qui fit des ravages en ces termes : « Car ils ne se comportaient pas l’un à l’autre avec respect ».
Cette carence de comportement entraîna inévitablement la justice divine.
Comment concilier ces deux approches de ces jours si importants ? Comment converger l’évolution vers la Sainteté et l’amélioration morale décrites dans nos Textes ?
La réponse réside dans la première injonction faite par D.ieu dans notre Paracha.
« Vous serez Saints car Saint Je Suis L’Eternel votre D.ieu »
Vaykra 19, 2
Nous trouvons diverses définitions de cette sainteté chez nos commentateurs. Selon Rachi, la séparation avec l’immoralité justifie ce qualificatif. Selon Na’hmanide, une simple séparation de l’interdit ne suffit pas pour être Saints. Restreindre les choses permises permettrait selon lui d’atteindre la Sainteté. ‘Ne pas être un scélérat dans le domaine de la Torah’, c’est la manière saine d’être saint.
Cependant, un Midrach ne semble pas aller dans leur sens:
« Vous serez Saints » – Est-il possible de l’être comme moi ? L’enseignement de nous dire : « Car Je suis Saint » – Ma Sainteté est supérieur à la vôtre…
Vayikra Rabba 9
L’analogie établie par ce Texte entre notre sainteté et la Sienne montre un état plus profond qu’une simple restriction. Dans l’introduction au Cha’arei Yocher, l’auteur nous propose sa propre définition de la Sainteté. C’est le fait de ressembler au Créateur de la manière la plus exacte. Or, nos Sages ont déterminé que la Nature Divine est d’octroyer le Bien à Ses Créatures. En diffusant le Bien autour de nous, nous ressemblons ainsi de la manière la plus parfaite au Créateur, devenant par la même occasion Saints.
Par ailleurs, il poursuit son développement en légitimisant l’amour de Soi, condition sine qua non selon lui de notre Service divin. (En effet, la base de notre Service n’étant aucunement pour D.ieu lui-même, mais plutôt pour justifier notre rétribution, qui est l’attachement à notre Créateur. Transformer ce Don en Dû perfectionne la gratification divine. S’aimer amène donc à préférer le fruit de ses efforts plutôt qu’un don gratuit. L’amour de soi est donc la base de tout le système rétributif divin).
Comment alors développer son empathie et son altruisme si cela entraîne inéluctablement l’effacement de l’amour de soi ??
Le principe qu’il établit pour réconcilier ces deux notions apparemment contradictoires est extraordinaire :
C’est l’élargissement du ‘Moi’. Considérer son Moi comme un moyen d’y introduire les autres, augmenter cet amour de Soi au point de voir l’autre comme une partie de soi-même, c’est le secret du Don de Soi pour l’Autre… Cette identification de l’autre est la clé pour développer sa générosité sans pour autant se départir de son personnalité.
(Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si le même Rabbi Akiva qui considéra le commandement d’aimer son prochain comme soi-même comme une grande règle dans la Torah, a également enseigné que ‘Ta vie devance celle des autres’… A méditer…)
En approfondissant un peu, nous pouvons préciser les propos précédents sous un autre angle ; la définition la plus exacte que l’Homme possède de D.ieu est bien son Unicité. Cette notion est facilement concevable dans l’esprit étriqué des créatures, car cela se conçoit par opposition à son contraire à l’inverse des autres Attributs divin. Être Un signifie ne pas être deux, alors qu’être Sage ou Bon ne signifie pas forcément ne pas être idiot ou mauvais.
Ainsi, Unir les Créatures sous son Moi revient à ressembler à notre Unique Créateur. La Sainteté est donc atteinte par la réunification des Êtres sous sa propre identité.
C’est ce travail saint-gulier que nous devons entreprendre durant cette période, nous permettant d’une part de changer d’état d’âme et d’autre part de forger notre état d’homme.