Nous nous trouvons encore au cœur de cette épidémie mondiale. L’Attribut de la Justice Divine plane sur le monde entier ! Il lui a été accordé de tuer et faire périr sans traitement de faveur, sans distinction entre juste et méchant. De multiples personnalités nous ont quittés, elles sont parties de ce monde. Et encore nombreux sont ceux, qui en ces instants, sont « suspendus à un fil », selon la formule consacrée, et se débattent entre la vie et la mort. De notre côté, nous nous concentrons de toutes nos forces dans nos prières auprès du Maître du monde afin qu’Il envoie le remède à ce fléau et une guérison rapide.
A notre plus profond désarroi, la Communauté Juive a été lourdement touchée. Elle a également perdu un grand nombre de personnes sur une très courte période. Des tsadikim, des gens de renom ont quitté ce monde. De nombreux enfants de la Communauté sont aujourd’hui orphelins, sans famille, privés de leurs proches, de leurs maitres. Ces korbanot à visage humain, n’ont pas été sacrifiés en vain. A chaque korban correspond un propriétaire, celui qui l’offre. Le Peuple Juif dans son entité existe en vertu de ses korbanot, comme un seul homme avec un seul cœur ! Et nous, qui restons en vie, cela nous oblige plus que jamais !!
Ne pas s’endeuiller sur ses proches ?
Notre Paracha s’ouvre sur les lois d’impureté des Cohanim. La Torah ordonne au Cohen de ne pas se rendre impur pour un mort, même pour ses proches, ni pour son père, sa mère ou même son fils, ni sa fille, pour personne, en dehors de ce que l’Ecriture appelle le « met-mitsva » celui qui n’a personne pour l’enterrer en dehors du Cohen Gadol.
Un tel commandement nous semble dépasser la limite des forces humaines. Comment est-il possible d’exiger d’une personne de renoncer à ses émotions les plus élémentaires, tout particulièrement dans un contexte aussi douloureux et sensible que celui de la séparation de ses êtres les plus chers ?!!
En réalité, concernant le simple Cohen qui doit également veiller à ne pas se rendre impur, nous remarquons que la Torah a limité cet interdit aux sept personnes les plus proches. L’explication nous en est donnée par le Séfer Hahinoukh selon le passouk : « דרכיה דרכי נועם וכל נתיבותיה שלום – Les voies de la Torah sont agréables et tous Ses sentiers sont des chemins de paix », La Torah n’a pas pour intention d’affliger à ce point ces personnes, sachant que leur cœur se morfond de n’avoir eu la possibilité d’approcher le défunt à l’intérieur de la tente dans laquelle il se trouve pour déverser leur douleur, se répandre en pleurs et épancher leurs cœurs.
La Torah sait pertinemment combien ces instants fatidiques comme cette dernière occasion de pouvoir s’isoler avec son parent, sont indispensables à l’Homme. Malgré cela, il est interdit au Cohen Gadol de s’isoler avec sa famille dans ces circonstances pour se séparer d’une âme à laquelle il était tellement attaché.
Il nous importe ici, de souligner que dans l’épidémie actuelle qui nous éprouve, nombreux sont ceux qui se trouvèrent soumis à cette douloureuse épreuve lorsque ne leur fut même pas accordé le mérite de pouvoir se recueillir auprès de leur parent défunt. Et pire encore, ceux qui furent même « dispensés » de s’occuper de leur enterrement. Une sensation terrible qui pourtant, était imposée au Cohen Gadol en tant que commandement à exécuter.
« Sanctifié par Mes proches » – Morts ou Vivants
Il semble que cette Paracha trouve son origine dans celle, relative à la mort de Nadav et Avihou. Suite à cet évènement tragique, Moché dit à Aharon : « C’est ce qu’avait déclaré Hachem en ces termes : Je serai sanctifié par Mes proches » (Vaykra 10 ;3). Rachi explique que l’intention ici est de dire que Hakadoch Baroukh Hou est sanctifié et élevé du fait qu’Il « sélectionne » par Lui-Même, Ses proches. Cependant du Rachbam, petit-fils de Rachi, émane une version différente. Selon lui, les « proches » mentionnés ici, évoquent Aharon, Elazar et Itamar, restés en vie – ce sont eux qui sanctifient et glorifient Hachem !!
Le Rachbam exprime que dès que Aharon apprit la mort de ses fils, il voulut délaisser le service du Sanctuaire pour prendre le deuil de ses enfants. Moché lui dit alors : « Je vous vois, toi Aharon mon frère, et tes fils, les aînés, Elazar et Itamar, vous tenir face à une tragédie on ne peut plus insoutenable au monde. En proie à un tel évènement, la réaction humaine la plus naturelle est la peine, la douleur, la tristesse, l’accablement, les pleurs, le renoncement à la vie. Mais de vote part, une autre réaction est attendue. Il vous est demandé de ne pas prendre le deuil, de ne pas pleurer ainsi qu’il est dit « vous n’échevellerez pas vos têtes et ne déchirerez pas vos vêtements ».
Quel sens faut-il donner à une telle requête, comment l’interpréter ??!!
Cette demande exprime que dans l’immédiat, il vous faut poursuivre l’inauguration du Michkan, perpétuer et augmenter encore davantage la joie du Maître du monde ainsi que celle du Peuple Juif, car c’est de cette façon, par votre intermédiaire, que sera sanctifié Hakadoch Baroukh Hou !
Comment est-il possible à l’Homme de surmonter et d’ignorer des sentiments aussi élémentaires et naturels que celui de s’endeuiller pour sa famille ??!!
Le Grand-Prêtre – Grand « parmi » ses frères
La fin du passouk laisse entrevoir la réponse à cette question lorsqu’il est dit : « laissez vos frères, toute la maison d’Israel, pleurer cet incendie provoqué par Hachem ». Finalement, à la place de Aharon et ses fils, c’est toute la Maison d’Israel, tout le Peuple Juif qui prendra le deuil et pleurera la mort de Nadav et Avihou !!
La vocation du Cohen Gadol n’est pas de vivre sa vie en tant que particulier. Il est l’émissaire de tout le Peuple, que ce soit pour prier en sa faveur ou invoquer le pardon de ses fautes.
C’est la nation qui enduit d’huile d’onction « sa tête » et qui le revêt des vêtements représentatifs de toutes les midot. De cette manière, elle consacre cet homme pour être son représentant auprès d’Hachem, être pour elle, un exemple vivant. Cet homme s’élève au-delà de toutes les faiblesses de ce monde et se positionne également au-dessus de la mort. Et si l’on suit les propos de Rav Chimchon Raphael Hirsh, le Cohen Gadol symbolise l’idéal de l’éthique positive que vient matérialiser le Peuple Juif.
Nous pouvons comprendre à partie de cela que, même pour une perte tellement lourde que celle d’un proche, on ne puisse imaginer voir le Cohen Gadol avec ses vêtements déchirés. Et quand bien même il aurait perdu l’être le plus cher, il lui est interdit de s’approcher de lui car il lui appartient d’être, en tout lieu, la représentation de la « vie » et de la « joie de vivre », car Hachem est la Source de vie, et la joie réside en Sa Demeure.
A la lumière de cela, nous pourrons également donner un nouveau sens à « l’exception du met-mitsva », la seule personne pour laquelle il était permis au Cohen Gadol de se rendre impur. Cet individu qui n’a personne pour l’enterrer n’est pas un mort qui appartient au domaine du particulier, il est le lot de la nation juive. Le peuple entier s’associe à la peine et à la douleur de ce mort. C’est pourquoi le fait de s’en occuper ne détache pas le Cohen « d’un domaine public » à « un domaine privé ». Ce contact du Cohen Gadol avec le « met-mitsva » préserve intact et n’altère en rien son niveau suprême.
Nous retenons que cette injonction réservée au Cohen Gadol de ne pas approcher ses proches morts, ne correspond pas à une interdiction pour lui, d’étouffer ses émotions ou de rester froid face aux sentiments humains naturels. Par contre, en ces circonstances d’affliction, où le cœur est dans la peine et la tête, préoccupée par l’idée de la mort, il lui est demandé de manifester encore davantage la force de vie et sa joie.
Rabbi Akiva et L’honneur dû à la Torah
Ces jours du compte du Omer, sont également les jours de la mort des élèves de Rabbi Akiva. A ce sujet la guémara insiste sur le fait que ces évènements se déroulèrent précisément en cette période : « de Pessah jusqu’à Chavouot », comme pour nous enseigner que l’origine de leur faute consistait en un renoncement au Kavod de la Torah ainsi que l’explique longuement le Maharal de Prague.
Le Rav de ces fameux élèves était donc Rabbi Akiva qui lui-même, est le « père » de tous les Tanaim et le socle de la Torah Orale (Rama de Pano, ‘Hikour Din). D’autre part il est dit de lui dans le Talmud qu’avec sa mort, a disparu également le Kavod de la Torah ! (Sota 49). Il semble que La notion d’honneur de la Torah et celle de Torah-Orale soient intimement liées.
La Torah Orale se différencie fondamentalement de celle Ecrite. Le support de la Torah écrite consiste précisément en les Loukhot et le Séfer Torah déposés dans l’arche sacrée. La Torah Orale quant à elle, est logée dans l’intériorité et le cœur de chaque membre d’Israël. L’Homme, avec toutes ses qualités intrinsèques porte en lui cette Torah, sur le principe qui dit « il a inscrit ces lois sur le tableau de son cœur ». C’est pourquoi, c’est justement au moyen de cette Torah gravée dans le cœur de la personne, qu’est accordée à chacun, la capacité de creuser selon la profondeur de son âme et de ses qualités intimes. Et c’est de cette façon que chacun parviendra à se lier à la Torah, en vertu d’une connexion parfaite.
C’est là, tout le sujet du Kavod dû à la Torah !! Rabbi Akiva est l’exemple même de cette fusion de la Torah avec le Talmid Hakham, et c’est ce qui lui a valu d’être le support de toute la Torah Orale. Ses élèves qui « ne se respectaient pas » comme nous le révèlent nos Sages, n’étaient en fait pas soupçonnés de manque de respect de l’autre. Simplement, ils n’avaient pas assimilés le message de leur maître, qui voit en l’érudit le porteur de sa torah. Et ainsi, celui qui dénigre l’étudiant est considéré comme manquant de respect envers la Torah elle-même.
Lag Baomer – « longue vie dans sa main droite »
En ce sens, le Maharal précise que ce n’est pas sans raison que les talmidim de Rabbi Akiva ne moururent que sur la première période de 32 jours du compte du Omer, car la valeur numérique du mot Kavod est 32. Il explique les choses à travers le passouk de Michlei (3,15) « la longue vie est dans sa main droite, la richesse et l’honneur dans sa gauche ». Du fait que les élèves de Rabbi Akiva n’accordèrent pas à la Torah, l’honneur qui lui est dû, ils en perdirent leur « longue vie ».
Le 33ème jour l’épidémie cessa et plus personne ne mourut. Ce jour-là correspond au 18 Iyar. ‘Iyar‘ – אייר dont la valeur numérique correspond à celle du mot ארך – long ! Par ailleurs, le chiffre 18 correspond au mot חי – vie ! En les associant on obtiendra ארך חי – longue vie, car la Torah symbolise la longue vie dans la main droite.
Pour conclure…
Des hommes intègres, des tsadikim furent emportés par cette épidémie du covid et ainsi que l’a exprimé le Gaon Rav Moché Sternbuch chlita au sujet de ces justes et ces maitres qui nous ont quittés aux Etats Unis en ces jours de Pessah : « Ils sont morts pour sanctifier le Nom Divin » car sous l’emprise de l’Attribut de Sévérité, Hakadoch Baroukh Hou prend justement les tsadikim de manière à enclencher la réflexion de tout le peuple sur la dureté de la sentence de même qu’il est dit « Je serai sanctifié par Mes proches ».
Face à ces départs prématurés, nous devons malgré tout nous élever, surmonter et nous renforcer, à l’instar du Cohen Gadol, et aimer la vie en la consacrant à Hachem et non pas en la dépréciant.
Du sort des élèves de Rabbi Akiva, nous avons appris que ce n’est qu’en alimentant et en élevant la flamme de la Torah, qu’en se moulant à elle pour éclairer notre chemin à tous les niveaux et dans les moindres détails, que nous pourrons mériter une longue vie à notre droite, selon l’application du verset : « Vous êtes, ceux qui sont fortement attachés à Hachem, tous en vie aujourd’hui » !!