Parachat Vayechev – Yossef et Yéhouda, connexion entre le monde extérieur et le monde intérieur

Parachat Vayechev – Yossef et Yéhouda, connexion entre le monde extérieur et le monde intérieur

La mitsva de la hanoukia nous appelle à relever le paradoxe suivant : d’un côté, l’allumage se pratique au seuil de nos maisons, et d’un autre côté, ces lumières ont pour objectif d’interpeller l’extérieur et non pas les habitants de la maison. Quel en est le sens profond ?

La seule fois ou le verset dénomme la « Parokhet – voile » du michkan comme « parokhet du Témoignage » se trouve bizarrement dans la paracha concernant la Ménorah (vayikra 24; 3). Pourtant ce « témoignage » fait plutôt allusion au Aron (l’Arche Sainte) dans lequel étaient enfermées les tables de la loi ? Pourquoi rappeler alors cet attribut précisément dans le contexte de la Ménorah ?

Yossef et Yéhouda, les deux dirigeants de notre histoire

Yossef et Yéhouda sont les deux personnages qui se distinguent dans notre Paracha. C’est autour d’eux que se construit la longue histoire qui démarre et dont les conséquences se perpétueront au cours des générations. Ce sont eux les dirigeants des Chevatim. Yossef a hérité de l’aînesse à la place de Réouven, et Yéhouda a reçu la royauté. En réalité, Yossef aussi est considéré comme roi, et les frères eux-mêmes lui attribuent le titre de « roi ». Yaacov les missionnera tous deux pour le précéder à Gochen.

De même, dans la suite de l’histoire d’Israel, ils se révèlent comme des meneurs. La guerre contre Amalek est conduite par Hour de la tribu de Yéhouda, et Yéhochoua issu de celle d’Ephraïm (hormis Moché et Aharon). Dans la section concernant les explorateurs, les seules personnes à ne pas s’être laissées influencer sont Yéhochoua et Kalev, affilié à Yéhouda.

De même en va-t-il des territoires, ceux de Yéhouda et Yossef sont plus importants en proportion que ceux des autres tribus, et ils occupent un espace conséquent du territoire d’Israel. Après la mort de Chelomo Hamelekh, la distribution de la royauté revint pour Yérouchalayim, à Rehavam, issu de David Hamelekh, et pour Tirsa, à Yérovam descendant de Yossef. Idem par la suite, la majorité des successeurs de Yérovam, jusqu’à la destruction du Beith Hamikdach, provenaient de la dynastie de Yossef. Et la royauté des dix Chevatim est dénommée par les prophètes sous le nom de Ephraïm à maintes reprises.

Le Michkan et le Mikdach furent édifiés, l’un sur le territoire de Yossef, et l’autre sur celui de Yéhouda. Ainsi en adviendra-t-il aux temps messianiques, la prophétie de Yéhezkel se réalisera avec la fusion en une seule royauté de « l’arbre de Yéhouda » et de « l’arbre d’Ephraïm ». Enfin, selon notre tradition, deux libérateurs se lèveront : Machiah ben Yossef et Machiah ben David.

Nous allons nous intéresser ici à la fonction profonde de ces deux protagonistes.

La Royauté de Yossef préparatoire à la Royauté de David

Notre Paracha s’ouvre sur l’histoire de Yossef et ses frères, un événement qui pèsera lourd dans l’Histoire du Peuple Juif. Et tout naturellement, cet épisode éveille de nombreux questionnements, notamment celui de savoir comment a-t-il pu venir à l’esprit de personnes aussi élevées de tuer leur propre frère ? Et s’il y avait vraiment une bonne raison d’agir de la sorte, dans ce cas, pourquoi en éprouvèrent-ils finalement du regret ? De plus, comment Yossef ne s’inquiéta-t-il pas de causer tant de chagrin à son père en ne lui annonçant pas qu’il était vivant ?

Le Chlah Hakadoch propose une interprétation originale en affirmant qu’il faut y voir un débat profond : les Chevatim pensaient que Yossef réclamait la Royauté pour lui et sa descendance, comme ses rêves le laissaient entendre. C’est ce qui les poussa à le juger en tant que rebelle à la royauté de Yéhouda. Ainsi, méritait-il la peine de mort car tout celui qui met en cause la Royauté remet en question la Chekhina.

Leur erreur fut de ne pas avoir compris que la royauté de Yossef était un préalable à l’établissement de celle de Yéhouda. Et si la royauté de Yossef n’avait pas précédé celle de Yéhouda en Egypte, il n’y aurait jamais eu de royaume de Yéhouda, car Israel ne se serait alors pas imposé comme Peuple.

Ainsi se passa-t-il ultérieurement, lors de l’édification du Beith Hamikdach au sein du peuple. En effet, il fut précédé par le Michkan Chilo sur le territoire de Yossef, et bien que ce dernier sera finalement détruit, c’est lui qui initia le canal de la kédoucha.

Efforçons-nous de comprendre ce lien entre Yossef et Yéhouda. Pour quelle raison la Royauté de Yéhouda nécessitait-elle celle de Yossef pour elle-même exister ?!

Entre le silence et la reconnaissance

La guémara (Sota 10b) dit : Yossef qui a sanctifié le Nom Divin en secret, mérita qu’on ajoute une lettre du Nom d’Hachem à son nom, ainsi qu’il est écrit « Edout béyéhossef chemo » – la lettre ה lui a été ajoutée. Yéhouda qui a sanctifié le Nom d’Hachem publiquement, mérita d’être pleinement nommé d’après le Nom Divin.

Pourtant, Yossef n’a pas trébuché face aux multiples tentatives de séduction de la femme de Potifar, alors que Yéhouda quant à lui, succomba à l’épreuve de Tamar. Dans ce cas, comment expliquer que Yossef n’ait gagné qu’une lettre du Nom Divin, alors que Yéhouda a acquis le Nom intégral d’Hachem ?

Pour saisir cela, reprenons les paroles du Midrach concernant les mères respectives de Yossef et de Yéhouda, Rahel et Léa :

Léa a fait sienne la mida de reconnaissance et mérita des descendants empreints de cette qualité, ainsi qu’il est dit (Béréchit 38; 26) « Yéhouda reconnut et dit ‘elle est plus juste que moi’ », David a dit (Téhilim 136) « Remerciez Hachem car Il est bon », Daniel a dit (Daniel 2; 23) « Tu es le D-ieu de mes Pères, je te loue et te remercie ».

Rahel a fait sien l’attribut du silence, elle y gagna des descendants secrets. Binyamin est associé dans le pectoral à la pierre précieuse portant le nom « yachpé – il a une bouche », avec comme intention « il a une bouche mais il sait se taire ». En effet, Binyamin était au courant de la vente de Yossef, mais il n’a rien raconté à personne. Au sujet de Chaoul il est dit (Chmouel 1, 10) « Concernant le sujet de la royauté, il ne lui raconta pas », et en ce qui concerne Esther il est dit (Esther 2) « Esther ne disait pas son origine, ni qui était son peuple. »

(Bérechit Raba 78; 5)

A l’appui de ce qui précède, nous relevons que Yossef et Yéhouda se distinguent foncièrement l’un de l’autre, et chacun agit selon son trait de caractère fondamental. Yossef hérita de sa mère ce pouvoir du silence. De même que Rahel sut retenir sa parole toutes ces années passées auprès de Yaacov, Yossef détient également cette aptitude phénoménale à se dominer. Et même se trouvant au cœur de l’Egypte, il parvient à résister à l’épreuve la plus difficile qui soit. Après avoir passé tant d’années de servitude, de prison, puis dirigé l’Egypte, il se souvient encore de ce qu’il a appris auprès de son père avant d’être séparé de lui. A ce sujet, Rachi explique le passouk : « Et Yossef était en Egypte », que Yossef y resta intègre malgré toutes les difficultés.

En regard de cela, Yéhouda fut doté d’une capacité de reconnaissance qu’il tenait de sa mère Léa. Reconnaître a pour sens être capable de se rétracter même lorsqu’on se trouve dans une situation des plus compromettantes. C’est cette force qui permet de se relever même lorsqu’on est tombé. Yéhouda eut cette aptitude à sublimer sa faiblesse pour la transformer en force. C’est une faculté à l’opposé de celle de Yossef.

Il est vrai que Yossef n’a jamais trébuché, mais il ne saurait se relever s’il venait à tomber. Ainsi est-il écrit dans la guémara (Sota 36b), si Yossef avait fauté avec la femme de Potifar, son nom aurait été effacé des pierres du Pectoral. On peut s’interroger sur cette affirmation, car nous trouvons que Yéhouda et également Réouven fautèrent et firent téchouva – comment interpréter le fait que si Yossef avait fauté il aurait été supprimé des pierres du Hochen ? N’était-il pas également en mesure de se repentir ? En fait, Yossef ne peut se permettre de chuter car il n’a pas le pouvoir de se relever.

C’est ce que l’histoire nous montre. Yérovam est un descendant de Yossef, et il est le symbole du « fauteur qui fait fauter le public » sans espoir de retour. Ainsi, nous trouvons chez nos Sages que HKBH dit à Yérovam « fais donc téchouva, et Moi et toi et le fils de Ychaï nous promènerons ensemble au Gan Eden », il demanda « qui sera en tête ? » Hachem lui répondit « le fils de Ichaï », et Yérovam refusa.

Yossef et Yéhouda, le cerveau et le cœur

Il ressort de là que Yossef et Yéhouda représentent deux types de droiture : Yossef est un juste intangible qui ne faute pas ; Yéhouda détient cette capacité de transformer la faute en positif. Ces deux aptitudes, d’immunité intérieure d’une part, et cette faculté de se relever d’autre part, sont contraires. Plus un homme se maîtrise en toutes circonstances, plus il lui sera difficile de se relever là où il a chuté. Et inversement, une personne qui a plus de mal à se contenir, de même qu’il lui est facile de trébucher, ainsi lui sera-t-il plus aisé de se relever à nouveau et se dépasser.

Le monde ne peut parvenir à sa perfection qu’au moyen de ces deux attributs. D’une part, la droiture de Yossef est le fondement sur lequel le monde repose, c’est ce qui justifie qu’il soit dénommé « le Juste, support du monde » – et ce n’est pas en vain que toute l’abondance que reçut l’Egypte durant ces années de famines soit due au mérite de Yossef. Mais cela ne suffit pas, car personne n’est en mesure de percevoir la droiture du juste qui ne faute pas, cela appartient au domaine du caché. Par contre, celui qui faute et se repent publiquement, affiche sa droiture par son aveu. C’est ce que sous-entend l’allégation que Yéhouda a sanctifié le Nom Divin en public – il a reconnu et dit à propos de Tamar « Elle est plus juste que moi » et en cela il sanctifia le Nom d’Hachem aux yeux du tous.

C’est pourquoi, Yehouda est intégralement dénommé du nom d’Hachem. Sa droiture établit la Royauté Divine dans le monde ! L’avènement de la perfection du monde ne peut émaner que de celui qui œuvre publiquement et se situe dans le monde de l’action. Yossef qui est un juste caché, ne dévoile le Nom d’Hachem Ytbarakh que face à lui-même. C’est ce qui explique qu’il ne peut que partiellement porter le Nom Divin, car il n’œuvre pas dans la pleine mesure du Royaume Divin. Cependant, dans la mesure où ce « Juste, fondement du monde » sanctifie le Nom même discrètement, et que Yéhouda ne puisse régner sans son action – c’est pourquoi il reçoit une lettre du Nom.

Le Chem Michemouel compare Yosssef au cerveau et Yéhouda au cœur. Tel est son propos : « Le cerveau et le cœur sont deux rois en l’homme. Le cerveau règne sur tous les membres de la personne qui agissent selon ses ordres. Le cœur est roi car de lui découle la vie. Par le fait que le cerveau soit pensé, il n’est pas sujet aux changements. De même, les aléas de la vie de Yossef, aussi nombreux furent-ils, ne provoquèrent aucun changement chez lui. En revanche, le cœur accepte les changements, mais sa perturbation est la source même de son remède, car lorsqu’il agit mal, il peut ensuite se soumettre et faire téchouva. C’est ce que nous trouvons chez Yéhouda, qui se soumit dans l’épisode avec Tamar ».

C’est là l’intention du Chlah Hakadoch lorsqu’il explique que l’erreur des Chevatim fut d’avoir pensé que Yossef désirait la royauté pour lui, sans saisir que cette royauté était nécessaire à l’avènement de celle de Yéhouda. Pour se maintenir, le monde nécessite la droiture d’un Yossef qui ne trébuche pas, même dans une situation périlleuse et dans un moment de détresse. Un tel homme est le pilier sur lequel le monde repose. Ce n’est que sur une telle base que peut se poser la royauté de Yéhouda et révéler aux yeux de tous le Nom de D-ieu.

En ce qui concerne notre délivrance finale, nos Sages nous enseignent que nous serons amenés à avoir deux sauveurs, le Machiah ben Yossef et le Machiah ben David. Le Machiah ben Yossef préparera le terrain, et le Machiah ben David conduira le peuple à sa perfection spirituelle. Selon de nombreuses opinions, le Machiah ben Yossef se fera tuer par Armilous l’impie, dans la guerre qui opposera Gog et Magog. Cela vient confirmer que la Royauté de Yossef est indispensable en tant que prélude à celle de David.

Le Aron et la Ménorah

A la lumière de ce qui précède, il semble que ce soit là le lien entre le Aron Hakodech (l’Arche Sainte) et la Ménorah (le Candélabre). Le Aron se rapproche de Yossef, il est caché dans le Kodech Hakodachim (le Saint des Saints) et personne ne le voit en dehors du Cohen Gadol le jour de Yom Kippour. La Ménorah, quant à elle, se rapproche de Yéhouda, elle illumine toute la Demeure, et tous la contemplent.

Ces deux éléments du Mikdach symbolisent la Thora. Le Aron représente la Thora par elle-même, elle se situe au-delà de notre compréhension. La Ménorah symbolise le Sagesse de la Thora et son impact sur le monde de l’action. Il est possible de comparer le Aron Hakodech à la Thora du Beith Hamidrach et du monde des Yéchivot, et la Ménorah à la Thora du vécu et de la maison.

Dès lors, nous parvenons à un principe fondamental – de même que la royauté de Yéhouda n’a aucune place sans celle de Yossef, ainsi, la Ménorah puise sa force du Aron du Témoignage. C’est la raison pour laquelle l’Ecriture a choisi de dénommer la Parokhet « Parokhet du Témoignage » dans la section concernant la Ménorah. En d’autres termes, la Thora du monde de l’action et de la maison, doit en permanence être reliée à la Thora authentique du Beith Hamidrach. Il est impossible de vivre pleinement une vie juive sans créer de connexion profonde avec la source de la Thora.

Message

Il est de la nature humaine d’être attiré par la réussite du monde environnant, et par tout ce qui brille. Dans une vie de Thora elle-même, il est possible d’être attiré par tous genres de réussites, ce qui en soi n’est pas négatif. Cependant, il nous appartient de nous souvenir qu’il nous est interdit de nous couper de la Thora authentique et de son étude sincère. C’est le support au moyen duquel il nous sera possible d’exercer une influence positive sur l’extérieur.

Si nous désirons éclairer le monde, nous avons l’impératif préalable de façonner notre espace intérieur et caché. Afin d’être une source de lumière, nous devons être robustes et solides intérieurement en renforçant les fondements de nos maisons. Un peu comme dans le monde informatique, il ne peut pas y avoir d’écran sans disque dur. Superficiellement tout se passe dans l’écran, mais cela uniquement grâce à une connexion à une mémoire cachée.

C’est pourquoi nous allumons la Hanoukia au seuil de nos maisons, car la diffusion de la lumière doit forcément provenir de l’intérieur, de la maison. Ce n’est pas en passant son temps à exposer sa vie, sur les réseaux sociaux ou autres, que nous allons être réellement influents, mais plutôt en renforçant l’intérieur.

Nous pouvons apprendre un autre principe essentiel à partir de notre Paracha. Arrêtons de penser que la réussite d’autrui va forcément rabaisser notre statut. Rappelons-nous que la Royauté de Yéhouda n’existe que par celle de Yossef ! Souvent la réussite du frère ou de l’ami en question est la condition de sa propre réussite. C’est une profonde erreur de croire que la réussite de l’autre minimise sa propre valeur. Au contraire, c’est sans doute en se hissant à un plus haut niveau qu’il pourra nous aider à atteindre notre objectif. A chacun, d’avoir ce regard positif envers la réussite d’autrui et d’acquérir cette certitude qu’elle ne constitue en rien une entrave à la sienne, bien au contraire…

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.