Libération des deux otages, une révélation !
Cette semaine, nous avons été témoins de l’acte héroïque de nos soldats, qui ont fait preuve d’un courage et d’une bravoure extraordinaires en pénétrant dans les profondeurs des bâtiments de Gaza pour sauver deux Juifs kidnappés et détenus en otages pendant 130 jours. La joie que nous avons ressentie en voyant ces deux Juifs rentrer chez eux après avoir tant souffert était infinie, et nous a également remplis d’un sentiment de fierté et d’espoir juif. Nous espérons tous que ce soit le début de la lumière au bout du tunnel, et qu’en ce mois de Adar, le deuil se transformera en joie.
Un aspect qui m’a particulièrement frappé était le profond sentiment de fraternité et de solidarité juive qui a motivé cette opération. La volonté d’un Juif de prendre des risques énormes pour libérer ne serait-ce qu’un seul de ses frères témoigne parfaitement de la valeur accordée à chaque personne dans la communauté juive. Contrairement à la volonté du monde arabe de sacrifier d’innombrables vies pour imposer ses croyances illusoires, le judaïsme, enraciné dans une foi inébranlable, met l’accent sur le caractère sacré de chaque vie.
Ce profond sentiment de fraternité juive peut être dévoilé précisément dans notre paracha, comme nous allons le voir.
« une sœur vers l’autre »
Dans la paracha Terouma, l’expression ‘אשה אל אחותה’, littéralement « une sœur vers l’autre » est mentionnée cinq fois en relation avec les poutres du Michkan et ses tentures.
Cette expression dénote par rapport au style descriptif des versets traitant de la construction du Michkan et de ses ustensiles, généralement plus laconique et presque technique. De manière inattendue, le verset a choisi d’utiliser un langage humain : « une sœur vers l’autre », alors qu’il aurait pu se contenter d’une formulation plus simple comme « l’un vers l’autre » choisi par le Targum.
En outre, on peut constater que la Torah n’a pas choisi la métaphore du couple mais bien celle de la fraternité. Je voudrais ici approfondir la nature de ce lien, et ce qu’il peut nous enseigner sur la façon d’attirer la Présence Divine parmi nous.
La fraternité, une racine commune
La fraternité exprime généralement une relation entre des êtres nés du même parent. Cependant, la Torah utilise ce terme également pour un autre Juif, comme dans « Si ton frère s’appauvrit » ou « ton frère vivra avec toi » (Vayikra 25:35-36).
En fait, le mot « frère » est utilisé pour exprimer tout type de proximité, comme lorsque David a dit « Yonathan, mon frère, ta perte m’accable » bien qu’ils n’étaient pas en lien familial (Chmouel II 1:26). Frère n’est pas seulement une réalité biologique mais une idée exprimant la proximité.
Cette idée est appelée « fraternité », comme dans la devise de la Révolution française (liberté, égalité, fraternité), mais aussi dans les paroles de nos Sages, par exemple « Il implantera entre eux l’amour et la fraternité, etc. » (Berakhot 1a), ou même chez le prophète « pour briser la fraternité entre Yehouda et Israël » (Zekharia 11).
Cependant, il semble nécessaire de préciser un point : le terme « frère » n’est pas utilisé pour exprimer n’importe quelle forme d’amitié, mais précisément pour désigner l’existence d’une racine commune. Cette expression est utilisée à chaque fois que l’on veut mettre en évidence qu’il existe un dénominateur commun fondamental entre deux personnes ou entre deux choses.
En araméen, le saule est appelé a’ḥavna, de la racine a’ḥva (fraternité), parce que les branches sont recouvertes en chaque point de deux feuilles attachées par leur racine à un seul point.
Entre le frère et l’ami
Dans le Chir Hachirim, l’époux appelle son épouse « ma sœur, mon amie » et l’épouse appelle son époux « mon frère, mon ami ». Quelle est la différence entre « A’h – frère » et « Réa – ami » ?
« Réa » exprime une relation avec autrui en dépit de son altérité et sans aucune parenté. Par contre, « A’h » exprime une relation de parenté et de racine commune. Alors que la relation de fraternité est une relation naturelle, la relation d’amitié est une relation initiée. La fraternité existe même en l’absence de sentiments de proximité et d’amitié, et elle ne peut pas être rompue. Au contraire, l’amitié commence et se termine par le sentiment.
Les expressions employées dans Chir Hachirim nous enseignent que la relation entre époux doit inclure les deux aspects : d’une part, un lien initié entre l’un et l’autre ; d’autre part, un profond sentiment que ce lien ne peut pas être rompu et qu’ils partagent une racine commune. Ces deux notions sont exprimées dans la bénédiction prononcée pour les nouveaux mariés : « l’amour et la fraternité » d’une part, « la paix et l’amitié » de l’autre.
C’est ce que Avraham a dit à Sarah : « Dis, je vous prie, que tu es ma sœur ». Comment Avraham avinou a-t-il pu apprendre à Sarah son épouse à mentir ? En fait, il visait la profondeur de la relation entre eux. Certes, au niveau basique nous sommes des êtres distincts qui avons choisi de vivre ensemble et qui sommes fondamentalement capables de choisir de rompre le lien. Mais en profondeur, nous sommes « frère et sœur » avec un lien indissoluble.
Équilibre subtil entre diversité et tronc commun
La fraternité incarne l’équilibre délicat entre la multiplicité des branches et la racine unique. Elle contient la contradiction entre la diversité d’une part et le tronc commun de l’autre. Des frères symbolisent la différenciation résultant d’une même source. Lorsqu’ils reflètent le passé, ils sont unifiés, mais leurs chemins divergent vers des avenirs distincts. Il y a en eux un contraste profond entre la séparation et la connexion.
Ce contraste peut créer des tensions. Le simple fait qu’ils proviennent d’une source commune peut exacerber leur différenciation et conduire à d’éventuels conflits. L’exigence qu’ils soient unis peut créer une opposition encore plus profonde.
On peut déjà discerner cela dès le début de l’Histoire dans le récit de Caïn et Hevel. Lorsque Caïn est interrogé sur le sort de Hevel, la vérité sort alors de sa bouche : « Suis-je le gardien de mon frère ? ». Alors que Hevel adhérait à l’idée de fraternité, comme l’explique le Or Ha’Hayim sur le verset « Elle enfanta ensuite son frère, Hevel », Caïn était concentré sur le développement de sa propre identité et de son individualité, et sur le retrait de la racine commune.
De même pour Yaacov et Essav, la fraternité est précisément ce qui a créé une confrontation profonde entre eux jusqu’au point où Essav veuille tuer Yaacov, et cela d’autant plus qu’ils étaient jumeaux.
Recoller la « déchirure »
Fraternité vient aussi de la racine (איחוי) « recoller », comme nous trouvons écrit dans le midrach : « “Une sœur nous est née, la petite”, il s’agit de Avraham qui a rapproché tous les venus au monde, comme celui qui recolle la déchirure » (Berechit Rabba).
Le midrach ne dit pas que Avraham a relié tout le monde comme le tailleur qui coud et relie deux tissus ensemble, mais qu’il a « recollé » le monde comme celui qui « recolle les déchirures ». La déchirure existe dans quelque chose qui était censé être unique. Et le recollage, contrairement à la couture, vient ramener la chose à cette unité.
Avraham avinou n’a pas créé un nouveau lien avec tous les gens au monde, mais il leur a fait redécouvrir que leur racine était commune. Il leur fit comprendre que nous avons tous une source commune, Celui qui a créé le monde. Ce faisant, il a recollé la « déchirure », cette séparation qui existait entre toutes les créatures. En fait, toutes les créatures auraient dû être des branches unies, puisqu’elles sont toutes une création divine, mais par l’indépendance de leurs désirs, le monde s’est peu à peu déchiré. Jusqu’à ce que Avraham vienne et recolle la déchirure.
Comme nous l’avons dit, la fraternité peut engendrer contraste et opposition. C’est pourquoi dans la relation fraternelle, il y a l’impératif de recoller la déchirure à nouveau chaque jour, car elle est sujette à la séparation.
Par nature, l’homme recherche l’indépendance et la liberté, et pour cette raison il essaie de s’échapper de la racine qui le relie aux autres créatures. Parce que ce point qui le ramène à l’unité impose et oblige. C’est pourquoi Avraham vint ramener la création vers le bon côté de la fraternité, une fraternité qui découle d’une racine commune.
Le Michkan, union de toutes les créatures
À la lumière de ces propos, on peut comprendre pourquoi le verset a choisi l’expression « une sœur vers l’autre » dans le contexte des tentures du Michkan. Parce que la question du Tabernacle est la continuation de l’œuvre d’Avraham avinou qui a rapproché le monde entier. Le rassemblement de tous les matériaux pour une seule création dédiée au divin est en fait le retour de toutes les créatures à l’unité, un peu comme le recollage d’un puzzle.
« Une sœur vers l’autre » veut en fait dire qu’il ne s’agit pas seulement d’une connexion quelconque, mais du retour à l’unité des choses, comme des frères qui ont une seule origine. Le Sforno explique que les tentures étaient reliées de manière si précise que chaque tenture continuait exactement le dessin de celle à laquelle elle était attachée.
Il y a un motif qui revient encore et encore dans la paracha, celui des connexions : des barres, des anneaux, des poutres, etc. Tout le Michkan doit être connecté en une seule entité. Les chérubins ont leur visage l’un vers l’autre, les branches de la Ménorah à droite et à gauche éclairent les unes vers les autres, les tentures seront attachées l’une à l’autre, les poutres « emboîtées l’une avec sa sœur… et elles seront jumelées par le bas et s’uniront ensemble au sommet avec un anneau ».
L’expression « une sœur vers l’autre » apparaît à un autre endroit dans la Torah, dans l’interdiction pour un homme d’épouser deux sœurs : « Tu n’épouseras pas une femme avec sa sœur » (Vayikra 18:18). Le Ramban explique que la raison en est que des sœurs s’aiment l’une l’autre et sont liées entre elles, or si elles étaient mariées au même homme, cela pourrait conduire à la haine et à la jalousie entre elles.
Comme nous l’avons dit, la fraternité peut engendrer haine et déchirure, et d’un autre côté, lorsque l’on met l’accent sur la racine commune, cela conduit à l’amour. Chez les frères de Yossef aussi, il y avait une profonde déchirure entre eux. Leur histoire tourne entièrement autour de Yaacov, acceptera-t-il d’envoyer Binyamin, etc. Ce qui a ramené l’unité et la paix entre eux, c’est la conscience que tous étaient fils d’un seul homme. La conscience profonde de notre racine et de notre tronc commun recolle la déchirure susceptible de survenir à tout moment.
Rétrécir un peu nous même
Le Netsiv (Haamek Davar) explique que l’expression « une sœur vers l’autre » au sujet des tentures vient exprimer que chaque tenture s’est rétrécie pour laisser de la place à l’autre, comme deux sœurs qui se font chacune plus petite afin de laisser de la place à l’autre.
Autrement dit, si l’on veut suivre la voie d’Avraham qui a « recollé les déchirures », nous devons rétrécir un peu nous-mêmes, et au lieu de trop développer notre ego, nous devons nous souvenir que nous sommes tous fils d’un seul homme.
C’est la qualité appropriée pour construire le Michkan et faire résider la Présence Divine parmi nous.
Le Judaïsme tient à chaque juif
Cette expression “une sœur vers l’autre”, mentionnée particulièrement dans la structure du Michkan, nous enseigne sur la connexion des créatures et leur retour à une racine commune. Les poutres et les tentures sont ce qui font de tous les éléments du tabernacle une entité unique et complète, et garantit qu’aucun détail n’est négligé ou omis.
Seul un endroit tel, entièrement connecté et complet, peut-être une lumière pour le monde entier. Un endroit parfait, où chaque matériau se complète mutuellement, et chaque forme complète les autres, sans omettre même un seul détail.
Si c’est ainsi concernant les matériaux du Michkan, à plus forte raison lorsqu’il s’agit du peuple juif lui-même.
Plus nous sommes unis, avec un sentiment et une reconnaissance profonde que chaque individu se complète mutuellement, et qu’aucun Juif n’est ignoré, plus la Chekhina résidera parmi nous et rayonnera de lumière sur le monde.
Contrairement à la croyance du monde arabe selon laquelle il faut imposer leur foi aux autres, même si cela signifie sacrifier leur propre peuple, le judaïsme maintient l’intégrité de la nation et refuse d’abandonner même un seul Juif. Cette perfection est la véritable source de lumière qui affectera le monde entier.
Le courage immense et la grandeur d’âme de nos soldats dans le sauvetage des deux otages en début de semaine, illustre le judaïsme dans toute sa splendeur, et démontre une fraternité hors norme, profonde et sincère. Cela illustre le concept de notre paracha “une sœur envers l’autre” au sein même du tabernacle humain. C’est la véritable garantie de notre intégrité.