Au-delà du simple aveu de péché ?
Notre paracha s’ouvre sur les deux derniers commandements adressés à l’individu : les prémices (bikourim) et la dîme (maasser). Dans les deux cas, la Torah enjoint à l’homme de faire une déclaration.
Concernant les prémices, il est dit : « Tu prendras la parole et tu diras devant l’Éternel, ton D-ieu : Mon père était un Araméen nomade ; il descendit en Égypte avec peu de gens et y vécut en étranger… Et maintenant, voici que j’apporte les prémices des fruits de la terre que tu m’as donnée… » (Devarim 26:5).
De même pour la dîme, les années où il est requis de procéder au biour (quatrième et septième année), il est ordonné : « Tu diras devant l’Éternel, ton Dieu : J’ai fait disparaître de ma maison ce qui était consacré et je l’ai donné au Lévite, à l’étranger, à l’orphelin et à la veuve, tout selon le commandement que tu m’as prescrit ; je n’ai transgressé ni oublié aucun de tes commandements… J’ai obéi à la voix de l’Éternel, mon Dieu, j’ai agi selon tout ce que tu m’as ordonné » (ibid. 13).
Ces déclarations sont appelées « Vidouy » par nos Sages.
Il convient de s’interroger sur cette appellation. Dans l’Écriture, le terme « Vidouy » se réfère généralement à l’aveu d’un péché, comme il est dit : « Ils confesseront leur péché » (Bamidbar 5). Comment se peut-il que ce terme soit utilisé à la fois pour l’aveu des péchés et pour la déclaration d’accomplissement des commandements, qui sont des choses opposées ? Et en général, il faut comprendre en quoi ces déclarations concernant les prémices et la dîme sont considérées comme une « confession » ?
Le Sforno aborde cette question concernant le maasser, soulignant que le Vidouy vise à reconnaître qu’en raison de nos péchés et de ceux de nos pères, le service divin a été retiré aux premiers-nés, qui avaient droit aux offrandes et aux dîmes. Autrement dit, cette déclaration vient expier la faute du veau d’or, et c’est pourquoi elle est appelée « confession ». Cependant, dans les versets, on ne peut discerner aucune tonalité critique, bien au contraire, le Vidouy se termine par une demande : « Regarde du haut de ta sainte demeure, des cieux, et bénis ton peuple Israël et la terre que tu nous as donnée », l’homme sollicitant la bénédiction de l’Éternel après avoir accompli Sa volonté.
Le Malbim propose une explication différente : le terme « Vidouy » s’applique aux déclarations qui doivent être prononcées à voix basse devant D-ieu. Lorsqu’une personne a péché et transgressé les commandements divins, si elle le fait savoir aux autres, elle se place dans une position d’effronterie, comme l’ont dit nos Sages : « Celui qui publie ses péchés est effronté ». D’autre part, si une personne agit selon les commandements divins et le proclame à haute voix, cela peut être interprété comme de la vantardise. Par conséquent, dans les deux cas, il faut faire la déclaration à voix basse, et c’est l’explication du fait que cela soit appelé « Vidouy ».
Pourquoi ne peut-on pas appuyer sur “reset” ?
Dans un autre article, nous avons abordé cette question et développé l’idée que le Vidouy des péchés et celui du maasser expriment toutes deux une profonde reconnaissance de la réalité divine et de Son autorité : alors que la confession des péchés reconnaît qu’il y a quelqu’un qui définit nos actes comme tels, la déclaration de la dîme reconnaît qu’il y a quelqu’un qui a ordonné l’accomplissement des commandements. Les deux, en fin de compte, affirment le lien essentiel entre l’homme et son Créateur et la soumission à la volonté divine.
Dans cet article, je souhaite proposer un aspect supplémentaire du Vidouy, dont le but est de nous faire nous connaître nous-mêmes.
Mais avant cela, je voudrais poser une question centrale : pourquoi, pour obtenir l’expiation et se repentir, est-il nécessaire de se souvenir des péchés commis dans le passé et de faire face aux résidus du passé ? Pourquoi ne peut-on pas simplement décider aujourd’hui d’être une nouvelle personne ? Pourquoi ne peut-on pas appuyer sur un bouton “reset” et s’épargner ainsi la douleur psychique de revenir sur ses manquements ?
La confession : une forme de psychanalyse spirituelle
Il est aujourd’hui bien connu dans le domaine de la psychanalyse qu’une personne ayant subi un traumatisme a du mal à guérir, jusqu’à ce qu’elle accepte ce qui lui est arrivé et soit prête à en parler. Ce n’est que lorsque la personne est capable d’en parler librement qu’elle peut progressivement déraciner et nettoyer ses effets négatifs. Sans ce processus et sans traitement narratif, les conséquences du traumatisme peuvent continuer à l’accompagner, comme l’anxiété, la dépression ou des problèmes dans les relations interpersonnelles. La reconnaissance et l’expression des expériences difficiles sont des étapes cruciales sur le chemin d’une véritable guérison.
Il semble que ce qui est vrai pour le traumatisme soit également pertinent pour les fautes. Il y a déjà des milliers d’années, la Torah souligne ce point découvert au siècle dernier : pour éliminer un défaut de l’âme, il faut parler, c’est-à-dire se confesser. Ce processus permet à l’individu de faire face à ses actes, de les reconnaître et de retrouver sa sérénité mentale.
Mais je voudrais approfondir et mieux comprendre la raison de cela.
La nature humaine tend à oublier les échecs
L’être humain a tendance à se détacher de ses échecs, il a un mécanisme qui fonctionne presque automatiquement pour oublier les échecs ou rejeter la faute sur les autres au lieu d’assumer la responsabilité. Il se souvient principalement des succès et des réalisations, et par conséquent s’efforce de ne pas s’attribuer les échecs. C’est la raison pour laquelle beaucoup de gens blâment les autres pour tout ce qui ne leur réussit pas, dans le but de préserver une image de soi positive. Par exemple, une personne qui manque de nombreux jours de travail a tendance à ne se souvenir que des jours où elle est venue travailler.
Il existe des études scientifiques indiquant que les approches qui favorisent la prise de conscience des habitudes nocives, comme le tabagisme, peuvent aider à surmonter et quitter ces habitudes. L’une des méthodes est la prise de conscience visuelle, comme rassembler toutes les cigarettes fumées et les mettre dans un grand sac, afin de pouvoir les voir d’un seul coup d’œil. De cette manière, une personne est confrontée à la vue de la quantité de cigarettes qu’elle a consommées, au lieu d’imaginer chaque nouvelle cigarette comme quelque chose de petit et insignifiant. En d’autres termes, les fumeurs ont tendance à oublier les conséquences négatives des habitudes de tabagisme. Et sans leur présenter cette réalité, ils pourraient ne pas faire le bon calcul dans leur esprit et continuer à fumer.
Ce modèle de déni de responsabilité et de rejet de la faute sur autrui est reconnu chez nous depuis le début de la Création. Lorsque Adam, le premier homme, a péché, il a immédiatement blâmé sa femme : « La femme que tu as mise auprès de moi, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre. » Sa femme, à son tour, a blâmé le serpent : « Le serpent m’a séduite. » Finalement, ils seront tous deux punis.
Il est difficile pour l’homme de prendre la responsabilité de ses actes. Certains, par exemple, se tournent vers des rabbanims pour obtenir des directives sur chaque étape de leur vie. Souvent, la motivation profonde est un désir de se décharger de la responsabilité. Ainsi, toutes les conséquences de ses actes peuvent être interprétées comme le mérite ou la faute du rav, et non comme son propre choix.
Le processus de guérison : parler et reconnaître les échecs
En vérité, on ne peut pas vraiment se détacher de ses actes, car les échecs restent dans le subconscient, même si on les nie consciemment. Cette situation peut entraîner des blocages émotionnels et diverses maladies. Le déni crée un déséquilibre et des difficultés internes qui rendent difficile pour la personne de faire face à la réalité. Les transgressions affectent l’âme même si la personne essaie de ne pas se les attribuer. En fin de compte, c’est lui qui apparaît comme l’auteur de l’acte, et le déni ne change pas l’influence négative qui reste dans son cœur et sa conscience.
La seule façon de guérir l’âme est par la parole et le discours, car c’est ainsi que la personne fait passer les échecs du subconscient au conscient. Ce n’est que lorsque la transgression est dans sa conscience que l’on a la possibilité de l’éradiquer. Pour cela, un homme doit parvenir à une pleine reconnaissance de lui-même. Alors seulement il pourra mériter ce merveilleux cadeau de D-ieu – l’expiation.
Lorsqu’une personne est en contact avec ses péchés et s’identifie à eux, elle peut voir le passé sous un nouveau jour. Le regret et les résolutions pour l’avenir transforment ce qui était un péché en quelque chose de noble, et les fautes délibérées peuvent se transformer en mérites. Le secret de l’expiation réside dans le fait que Dieu annule la dimension du temps ; l’avenir permet de revivre le passé dans une nouvelle version.
Mais pour y parvenir, une profonde connaissance de soi est nécessaire. C’est pourquoi il est dit : « Celui qui cache ses fautes ne réussira point » (Michlé 28:13) – seule la reconnaissance des erreurs et des péchés permet un véritable changement.
Connaissance de soi et prise de responsabilité, comme le Vidouy du maasser
Une figure biblique marquante qui illustre la puissance de la prise de responsabilité est Yéhouda. Lorsqu’il a été confronté avec Tamar, il a montré une grande force intérieure et a reconnu son erreur : « Elle est plus juste que moi ». Il n’a pas cherché à blâmer les autres, mais a assumé sa responsabilité. Grâce à cet aveu, témoignant de sa stature morale, Yéhouda a mérité la grandeur des générations issues de lui à tout jamais.
De même, lorsque les frères de Yossef prévoyaient de le tuer, Yéhouda a provoqué un tournant significatif dans le déroulement de l’action. Il a dit : « Quel profit aurons-nous à tuer notre frère et à cacher son sang ? » (Béréchit 37:26). La question qui se pose est : qu’est-ce qui a poussé Yéhouda à revenir sur la décision des frères ? Rabbi Haïm Shmuelevitz (Si’hot Moussar, discours sur la responsabilité, 5731) interprète l’argument de Yehouda ainsi : puisque nous ne sommes pas capables d’assumer l’entière responsabilité de notre décision de tuer Yossef, la preuve étant que nous voulons dissimuler sa mort et donner à notre père l’excuse qu’une bête féroce l’a dévoré, il est donc évident que notre acte n’est pas justifié. Yehouda savait prendre ses responsabilités, comme il l’a encore montré plus tard en disant : « Si je ne te le ramène pas, je serai coupable envers mon père à jamais » (Béréchit 44:32).
En fin de compte, cette approche consistant à assumer la responsabilité souligne l’importance de la connaissance de soi et de la compréhension profonde des actes, ce qui conduit à un véritable changement et à un développement spirituel.
Le passage du subconscient au conscient est similaire à la lumière qui apparaît après l’obscurité. Au début, l’entrée dans la lumière peut être douloureuse et difficile, au point qu’il semble impossible de garder les yeux ouverts. Mais avec le temps, on s’habitue à cette lumière, et elle apporte une harmonie intérieure à l’âme.
C’est le lien entre le Vidouy du maasser et celui sur nos fautes. Nous devons traiter la confession du péché comme nous traitons la déclaration de la dîme. De même que pour les dîmes, la personne se réfère avec fierté à ses bonnes actions et se les attribue, de même dans la confession des péchés, elle doit reconnaître sa pleine responsabilité pour ses mauvaises actions.
Rappelons nous cette chose essentielle : on ne perd jamais à assumer ses responsabilités. Au contraire, c’est la voie vers le pardon et la guérison
Le Vidouy comme appel à la croissance
Une approche supplémentaire concernant le Vidouy, très positive et encourageante, peut être trouvée dans les paroles du Rav Kook (Orot HaTeshuva). Il suggère que lorsque l’homme reconnaît ses péchés, il comprend que la décision d’agir lui appartient entièrement, et qu’il dispose d’un libre arbitre total. La confession n’est pas seulement une reconnaissance des échecs, mais aussi un renforcement du libre arbitre de l’homme. Lorsqu’il assume la responsabilité, il déclare qu’en réalité tout dépend de lui, et donc que rien ne peut s’opposer à sa volonté de retour. La confession, qui apporte de la douleur, reflète aussi la force intérieure de l’homme qui, s’il veut revenir, rien ne peut l’en empêcher.
La confession sert donc non seulement de connaissance de soi mais aussi développe la confiance en soi. C’est un appel à s’élever, basé sur la croyance en notre capacité à atteindre des niveaux supérieurs, car l’homme lui-même est bon.
C’est un autre lien entre la confession du péché et la déclaration de la dîme. De même que la confession habituelle vise à renforcer la confiance en soi chez l’homme, par l’intériorisation que « la chose ne dépend que de moi », le Vidouy du maasser fait de même, mais d’une manière différente, beaucoup plus ouverte et explicite.
On raconte l’histoire d’un œuf d’aigle qui tombe dans un nid de poules. Lorsque l’aiglon sort de l’œuf, il grandit parmi les poules et vit sa vie comme un poussin, sans savoir qu’il est un aigle. Il voit les poules autour de lui et pense qu’elles sont exactement comme lui. Mais un jour, il voit un aigle voler dans le ciel et est impressionné par sa puissance et sa grandeur. À ce moment-là, il comprend qu’il veut être un aigle aussi. Finalement, il surmonte ses peurs, quitte les poules et découvre le potentiel d’aigle qui est en lui.
Quelle est la véritable raison pour laquelle il voulait tant être un aigle ? La réponse est : parce qu’il était un aigle de naissance. De même, nous pouvons souvent nous enliser dans les péchés et les échecs. Mais lorsque nous parvenons à les admettre et à faire une confession, cela témoigne du fait que nous reconnaissons notre immense potentiel. Les péchés ne nous définissent pas ; ils ne sont qu’une partie de notre voyage. La reconnaissance du fait que nous sommes nous-mêmes des « aigles » nous permet de nous élever au-dessus de nos échecs et de découvrir le potentiel qui sommeille en nous.