Parachat Behar – Le Yovel ou La liberté d’être authentique

Parachat Behar – Le Yovel ou La liberté d’être authentique

Le jour de Kippour, vous ferez retentir le son du chofar à travers tout votre pays. Vous sanctifierez cette cinquantième année, en proclamant dans le pays la liberté pour tous ceux qui l’habitent: cette année sera pour vous le Jubilé, où chacun de vous rentrera dans son bien, où chacun retournera à sa famille

Vayikra 25; 9

Le Yovel – le Jubilé

Au cœur de notre Paracha se tient une mitsva révolutionnaire – la mitsva du Yovel ! Il nous y est ordonné de consacrer entièrement la cinquantième année. De surprenantes lois sont appliquées cette année-là ; les esclaves sont affranchis du joug de leur maître et retournent dans leurs familles, de même, les champs qui avaient été vendus retournent à leurs propriétaires. C’est une année de complète liberté, une année de guéoula.

De façon surprenante, le mot choisi pour désigner cette année est « Yovel », issu du mot utilisé pour la sonnerie du chofar (Rachi). L’année du Yovel, à Yom Kippour, nous faisons retentir les sonneries de liberté et les chaînes se dénouent tout naturellement. Il convient cependant de comprendre pourquoi cette année est justement dénommée d’après la sonnerie du chofar ?! Ne convenait-il pas plutôt de l’appeler du nom de la liberté ?

Deror

De même, le mot « deror » utilisé par la Thora pour stipuler le renvoi des esclaves, est très spécifique – Vous sanctifierez cette cinquantième année, en proclamant, dans le pays, Deror (liberté) pour tous ceux qui l’habitent – (Vaykra 25; 10). Ce terme « deror » n’est employé qu’une seule et unique fois dans la Thora. Quelle est sa signification ? S’il vient pour exprimer la liberté, nous savons que le renvoi des esclaves est évoqué en plusieurs autres endroits de la Thora sous l’appellation « sortie vers le Hofech (liberté) » (Parachat Michpatim et Parachat Réé), quelle nouveauté vient donc nous apporter ce terme « deror » ?!

Pour expliquer ce mot, Rachi se réfère au mot « diyour » (habitation), le sens du terme venant de ce qu’un esclave libéré est « comme celui qui a le droit d’habiter n’importe quel logement … il dort là où il veut et ne dépend de personne ». C’est un appel à l’esclave de regagner sa liberté et quitter la maison de son maître, et ainsi pouvoir se rendre partout où il le désire.

Dans le même esprit, nous pouvons mentionner les paroles du Talmud (Beitsa 24) concernant le « tsipor deror » (moineau), appelé ainsi parce qu’il ne fait aucune différence entre la maison ou le champ, il habite partout.

Malgré tout, il nous faut comprendre ce que vient nous apprendre ce concept d’avoir la possibilité d’habiter en tout lieu, et comment le relier à la notion de liberté ? Cela ne révèle-t-il pas plutôt la difficulté de s’attacher à un endroit précis ?!

Le « Mor deror » – un parfum à une odeur pure

Tâchons d’expliciter ce sujet à partir d’un autre endroit de la Thora où nous trouvons le terme « deror » – au sujet du mélange des encens – au début de la Parachat Ki Tissa. Le premier parfum que l’on prend parmi les 11 encens est nommé « mor deror ». A ce sujet, le Ramban explique que « mor » fait référence au « musc », produit odorant qui dérive de la glande du chevrotain porte-musc. La Thora demande de veiller à n’utiliser que le musc qui est « deror » c’est-à-dire – dépourvu de toute falsification ou mélange.

En associant les deux explications énoncées ci-avant, nous pourrons percevoir quelle est la véritable nature de la liberté, vitale à chaque individu.

La Kédoucha et la Liberté

La Liberté était l’objectif essentiel de la sortie d’Egypte. Au cours de cet épisode illustre, HKBH insuffla à son peuple la véritable liberté. Elle leur fut donnée à l’occasion de l’événement du Har Sinaï. Dès lors, nous comprenons mieux l’entrée en matière de notre Paracha en vertu des mots « Au Har Sinaï ».

Il existe en effet une grande similitude entre le Yovel et le Har Sinaï. Les deux suivent un compte de 49 : que ce soit les 49 jours du Omer jusqu’à la fête de Chavouot pour le Har Sinaï, ou qu’il s’agisse des 49 années précédant le Yovel. A cet égard, Il est intéressant de remarquer l’expression que la Torah utilise concernant l’événement du don de la Torah bimecho’h hayovel héma yaalou bahar’ aux derniers sons du cor, ceux-ci monteront sur la montagne’ (chemot 19 ; 13). Le choix de ce mot précisément ici n’est certainement pas accidentel.

Cette liberté n’est pas liée au fait d’être le maître d’esclaves, ou encore d’être propriétaire terrien. Au contraire, la terre appartient toujours à HKBH – ‘Car toute la terre est à Moi’ – et pour ce qui est d’asservir les hommes, c’est une chose détestable aux yeux du Maître du monde – ‘Tu n’enfermeras pas un esclave chez son maître’.

Le peuple d’Israel propose une autre forme de liberté : être un peuple Saint. La Kédoucha et la Liberté sont intrinsèquement liées l’une à l’autre et c’est même par leur connexion que nous touchons à l’essence même de la Liberté : cet idéal d’authenticité, en d’autres termes, cette aptitude que détient l’Homme à être lui-même.

La Kédoucha se définit comme étant une séparation. Elle s’exprime essentiellement dans les sections de la Thora concernant les mœurs (Rachi). Cette différenciation cherche à préserver la caractéristique privée et intime de l’individu. Elle interdit tout mélange, tout flou. Elle requiert la sauvegarde de sa vie privée et de son nom personnel.

Associons cela au propos du Even Ezra dans son explication du mot ‘deror’ – sans altération. Un individu authentique est une personne qui se montre telle qu’elle est aux yeux des autres, sans masque, sans maquillage, sans se cacher derrière ses fonctions et autres titres, comme le serait ce petit enfant qui dit tout ce qu’il a sur le cœur sans en éprouver aucune gêne.

Lorsque la Guémara dans Houlin cherche la source dans la Thora qui fait allusion à Mordekhai dans la Meguila, la réponse est : « mor deror » dont le Targoum est ‘mira dekhya’ qui a la même connotation que le nom ‘Mordekhai’. En effet, Mordekhai n’a cessé de montrer à Haman qu’à aucun prix il ne se prosternerait devant lui. Mordekhai ne courbe ni sa tête ni son cœur, quelle que soit l’idolâtrie de ce monde. Il ne cherche pas à s’adapter à son entourage, il vit sa vérité pleinement, libre de toute altération ! C’est la signification même de ‘mor deror’.

Le Yovel – la libération des chaînes du faux soi

Sur cette notion repose la force de l’idée du ‘Yovel’. Cette même année, tout revient à sa source. Cette mitsva est un appel adressé à l’homme, destiné à l’extraire de l’illusion dans laquelle il est plongé la plupart du temps et l’amener à se connecter à son authenticité personnelle. L’homme est entièrement asservi par ses occupations, qui dirigent son programme journalier.

Un addict à la nicotine par exemple, est dominé par une force qui va à l’encontre de sa volonté profonde, authentique, qui aspire instamment à ne pas fumer. Il en va de même du point de vue social, l’homme est en permanence préoccupé par la perception de son image au sein du groupe. Il se sent parfois libre, mais en réalité, sa volonté première est prisonnière de mains extérieures qui l’empêchent de pleinement se réaliser.

La sonnerie du chofar précisément lors de cette année du Yovel est l’appel retentissant lancé à l’homme pour le diriger vers sa tendance naturelle, pour l’amener à être comme ce moineau « tsipor deror » qui ne modifie pas sa façon d’être, indépendamment du groupe dans lequel il se trouve. Ce son du chofar qui émane d’une corne grossière, naturelle et simple, symbolise la volonté intime de l’homme de s’élever depuis son âme, épurée de toute influence extérieure.

Ne te cache pas derrière toi-même

Nous conclurons par les mots du ‘Deguel Mahanei Ephraim’ qui donne une interprétation toute particulière au verset des dix commandements : Tu ne te feras aucune sculpture ou image de ce qui est en haut dans le ciel’ (Chemot 20; 3). D’après le Or Hahaim, il est question de l’Homme vis à vis de lui-même. Il y a ici une exigence de ne pas faire de soi-même qu’une simple image représentant le roi, mais de comprendre que la Chekhina réside dans son être et que l’on porte l’image du roi. L’homme jouit d’un certain confort à se cacher derrière une figure, une image, ou parfois même derrière soi-même. La Thora dans les 10 commandements vient lui enseigner à exprimer son image divine de façon vivante et dynamique, et non à s’y connecter en créant une identité figée.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.