Les Bnei Israël furent délivrés de l’esclavage d’Egypte par le mérite de quatre choses : ils ne changèrent pas leurs noms, ni leur langage, ils ne s’adonnaient pas à la médisance, et aucun d’entre eux ne se corrompit au niveau des mœurs (Chir Hachirim raba 4; 24).
Un autre midrach ajoute à cette liste qu’ils ne changèrent pas non plus leurs vêtements, ni leur nourriture (midrach lekah tov Chémot 6; 5 – Dévarim 26; 5).
Il nous importe de comprendre ce qu’il y a de si particulier dans le fait de garder intacts son nom, sa langue et son vêtement, au point que ce soit là la cause et le mérite de la délivrance des Bnei Israel. Quelle grandeur faut-il y percevoir ?
Il y a de quoi s’interroger encore davantage lorsque l’on sait qu’ils pratiquaient l’idolâtrie (midrach Téhilim 1; 20), et comme le témoigne le prophète Yéhezkel (20; 7-8) « ils n’ont pas abandonné les idoles de l’Egypte ». Comment comprendre qu’ils aient été tellement stricts sur des choses aussi superficielles que le nom ou le langage, alors qu’ils transgressèrent les interdits les plus sévères ?!
Autre donnée encore plus frappante et paradoxale, nos Sages affirment que lorsque Yossef Hatsadik est mort, les Bnei Israel renoncèrent à pratiquer la brith-mila se disant qu’ainsi ils ressembleraient aux égyptiens (Chémot raba 1; 10). Les Bnei Israel cherchèrent ainsi à s’identifier aux égyptiens, à l’inverse de ce qui ressort du premier midrach.
Un autre midrach établit même une comparaison détaillée entre les Bnei Israel et les égyptiens : « ceux-ci sont incirconcis et ceux-là le sont également, ceux-ci laissent pousser leurs mèches et ceux-là à l’identique, ceux-là s’habillent d’un mélange de laine et de lin et ceux-ci se vêtissent du même mélange interdit… »
Comment comprendre que les Bnei Israel aient préservé leurs noms, leur langage, leur nourriture, alors qu’ils violèrent l’alliance de la mila et qu’ils se posèrent comme de vrais égyptiens ?!
Encore peut-on s’interroger sur le verset dans Yehezkel « ils n’ont pas rejeté les abjections dont ils étaient témoins », ce qui exprime la notion de débauche (liée aux yeux) selon le Malbim. Comment concilier cette réalité avec l’affirmation de nos sages qu’aucun d’entre eux ne se corrompit au niveau des mœurs ?
Une culture juive dénuée de Émouna
De tous ces questionnements, une conclusion ressort : il est vrai que les Bnei Israel rompirent le lien avec leur Créateur, c’est ce qui les amena à renoncer à la brith-mila et à pratiquer l’idolâtrie, mais ils maintinrent fermement leur judaïsme en tant que culture. Il leur importait de ne pas perdre leur langue, leur façon de se vêtir, leurs noms, comme on garde un folklore. Ils désiraient garder leur allure, leur spécificité, même au cœur de l’Égypte, et cela, bien que leur Émouna en Hachem se soit émoussée.
Selon cette perception, il est clair que la suite du midrach qui mentionne qu’ils ne rapportaient pas de médisance et qu’ils n’avaient pas corrompus leurs mœurs, est dite dans un esprit similaire. L’intention n’est pas de dire qu’ils ne médisaient pas du tout et qu’ils ne s’étaient pas souillés par les mauvaises mœurs, cela vient essentiellement nous faire savoir qu’ils ne s’étaient pas mélangés aux égyptiens.
D’ailleurs, la source du midrach pour affirmer que les Bnei Israel ne médisaient pas provient de ce qui est dit : « Parle je t’en prie aux oreilles du peuple et ils emprunteront chacun de son prochain » (Chémot 11; 2). On rapporte : le bien en question fut entreposé chez eux durant douze mois, et pas un d’entre eux ne dénonça son prochain. Il faut comprendre par-là que les Bnei Israel ne révélèrent pas ces secrets aux égyptiens.
Ainsi en va du domaine des mauvaises mœurs, la source à cette affirmation provient de ce qui est dit « Le fils de la femme israélite sortit… le fils de la femme israélite proféra en blasphémant le Nom d’Hachem » (Vaykra 24; 11). Ce verset vient à l’éloge d’Israel, il nous apprend qu’il n’y eut pas d’autre cas d’immoralité hormis celui-ci, que la Thora publie. Cette femme était en réalité Chlomit bat Divri qui épousa l’égyptien. Par contre, cela ne signifie pas qu’entre les Bnei Israel eux-mêmes, n’exista pas de comportement immoral, comme le révèle le prophète Yehezkel.
Extraire un peuple d’un autre
Malgré tout, il nous faut encore comprendre en quoi est-ce une grandeur d’avoir préservé leur culture, raison pour laquelle ils méritèrent d’être délivrés, notamment, après s’être détachés du Créateur !
En fait, le midrach n’a pas pour objectif d’expliquer quel est le mérite qui a valu aux Bnei Israel d’être sauvés. Celui-ci revient en réalité aux actions de nos Pères, ainsi qu’au pouvoir des prières et des supplications des Bnei Israel.
Le midrach nous instruit de la manière dont il fut possible d’extraire ce peuple d’une seule traite et de le transformer aussitôt en Peuple d’Hachem, d’autant qu’ils étaient complètement mélangés aux égyptiens.
Il n’existe qu’une seule réponse à cette interrogation : la séparation que marquèrent les Bnei Israel avec les egyptiens, se comportant comme un peuple au sein d’un autre, conformément au verset « Pour prendre un peuple au sein d’un peuple ». Cela fut possible grâce à ces quatre choses : avoir gardé leurs noms, leurs vêtements…, et en ne dévoilant pas leur secret aux égyptiens et en ne contractant pas de mariage avec eux. Les Bnei Israel se distinguaient ainsi au sein des Egyptiens comme un peuple à part entière.
C’est le sens des propos de Rav Aha qui dit « Comme un homme qui extrait l’embryon des entrailles de la bête, c’est de cette façon que HKBH a fait sortir les Bnei Israel de Mitsraim » (Choher tov Tehilim 114; 6). De même que l’embryon représente un corps dans un autre corps, ainsi, les Bnei Israel furent comme une entité spécifique et distincte dans le corps de l’Égypte.
C’est là, l’intention profonde de nos Sages qui demandent (Chémot raba 22; 3) quelle est la différence entre la sortie d’Egypte et l’ouverture de la Mer Rouge ? Ils répondent : La sortie d’Egypte fut difficile comme il est dit « De venir prendre pour Lui un peuple au sein d’un peuple », les deux étant incirconcis.
Quel est le sens profond de cette affirmation « la sortie d’Egypte fut difficile » ? Existe-t-il une chose qui soit difficile pour Hachem ? En réalité, souillés par l’impureté de l’Egypte et mélangés aux mitsrim, il était difficile de sortir Israel en tant que peuple. Ils s’étaient assimilés aux mitsrim au point d’en oublier l’existence d’Hachem et servir d’autres dieux. Malgré tout, du point de vue de leur aspect extérieur, ils étaient restés séparés d’eux et comme le dit l’auteur de la Hagada « Cela nous enseigne qu’ils étaient reconnaissables là-bas » ! C’est dans une telle perspective qu’il fut possible de les faire sortir de Mitsraïm en tant qu’unité propre.
Qu’est-ce qui est préférable : l’apparence juive ou bien la religiosité ?
Il ressort de là que, bien que les Bnei Israel se soient éloignés d’Hachem au point de servir des divinités étrangères et de violer l’alliance de la mila, ils méritèrent malgré tout leur rédemption pour s’être séparés des Égyptiens et avoir préservé leur culture.
Qu’est-ce qui est préférable en réalité ? Conserver sa culture sur le plan de l’extériorité en transgressant le fondement-même de la religion, ou bien préserver sa religion en effaçant tout signe distinctif de judéité ?
Le Mechekh Hokhma (12; 22) répond à cette question de taille. Nous savons qu’à l’occasion de l’exil de Babylone, les juifs ont gardé les principes de la Thora, pourtant ils en transgressèrent les garde-fous. Leurs enfants parlaient « Achdodit », ils changèrent leurs noms et épousèrent même des non-juives, comme il est mentionné dans le livre de Ezra.
Or, la guémara (Sanhédrin 98; 2) dit à propos de cette période « ils méritaient au temps de Ezra que leur soit fait un miracle du même niveau qu’à l’époque de Yéhochoua bin Noun, mais la faute a empêché cela ». Cela fait appel au fait qu’ils transgressèrent les barrières.
Le Mechekh Hokhma démontre à partir de cela une règle fondamentale : tant que la « clôture » est maintenue et les apparences extérieures préservées, le peuple juif continuera à exister et mériter la Guéoula, jusqu’à ce que ce que la religion retrouve toute sa place. Par contre, lorsque les barrières sont perdues et que l’on commence à s’identifier extérieurement aux nations, la menace est bien plus grande pour le maintien du judaïsme, et cela, même si les fondements de la Thora sont maintenus.
C’est d’ailleurs pourquoi la Thora a multiplié les barrières concernant les lois de Pessah et a même interdit de voir du `Hamets durant cette période. Pour nous faire savoir que les Bnei Israel furent délivrés sur la base de ces protections.
Certains mouvements veulent nous faire croire qu’il soit possible de s’assimiler totalement et de se débarrasser de toute trace de notre culture, en restant malgré tout religieux.
La Torah vient nous enseigner que c’est fondamentalement faux !
Celui qui se débarrasse de son apparence juive avec tout ce que cela comporte, que ce soit à travers son langage, son nom, son vêtement etc., finira par perdre sa religion. Et inversement, celui qui préserve et maintient cette apparence extérieure, même sans accomplir la Thora, finira par revenir à Sa source.