La nature porte l’homme à être attiré par la mer et apprécier le contact de l’eau. Il suffit d’évoquer le souvenir des vacances où, bien souvent, les activités les plus attractives pour les petits sont celles où ils ressortiront trempés ! Il sont disposés à endurer de longues et fatigantes marches pour admirer les torrents dévaler le long des rochers. Et ils insisteront et seront prêts à tout pour pouvoir pagayer le long des rivières. J’ai toujours été surpris d’observer que le moindre petit bassin d’eau naturelle regorgeait de gens dont le seul souhait était de s’y tremper ne serait-ce que l’espace de quelques instants. Les études sur le sujet vont jusqu’à prouver que l’eau produit un bien-être et améliore l’état intérieur de l’homme. Et d’affirmer que résider en bord de mer améliore la qualité de vie de ses habitants.
Quel secret se cache donc là ? Pour quelle raison l’homme est tellement attiré par cet élément central ?!
Cet article nous permettra d’aborder un point de vue toranique sur le sujet, ainsi que dévoiler le lien qui unit la Téchouva à l’eau.
L’origine de la Téchouva depuis les profondeurs de la mer
Le passouk dit :
« Cette Mitsva que je t’ordonne aujourd’hui n’est ni trop ardue pour toi, ni placée trop loin. Elle n’est pas dans le ciel, pour que tu dises: “Qui montera pour nous au ciel et nous l’ira quérir…” ; Elle n’est pas non plus au delà de l’océan, pour que tu dises: “Qui traversera pour nous l’océan…” ; Car la chose est très proche de toi… » (Dévarim 30 ;11-14).
De quel Mitsva s’agit t’il ?
Rachi et le Ramban sont en discussion pour savoir si la Mitsva dont il est question concerne la Thora ou la Téchouva.
Cependant, on trouve que le Midrach Raba (8; 6) explique le verset de la façon suivante :
« Elle n’est pas dans le ciel pour que vous disiez, nous n’avons pas de prophète comme Moché pour nous transmettre la Thora ; et elle ne se trouve pas au-delà des mers pour que vous disiez, nous n’avons pas de prophète comme Yona qui a plongé dans les profondeurs de la mer pour amener le cœur des hommes à la Téchouva ».
Cela revient à dire que selon le Midrach, l’intention du verset se rapporte aussi bien à la Thora qu’à la Téchouva ! « Elle ne se trouve pas dans les Cieux », se référant à la Thora. « Elle ne se tient pas au-delà des mers », se rapportant à la Téchouva.
Ces propos de nos Sages expriment une idée essentielle : de même que Moché nous a livré la Thora venant des cieux, le prophète Yona a introduit la Téchouva depuis le fond de la mer. En d’autres termes, tout comme l’origine de la Thora est céleste – l’Ecriture précise d’ailleurs que depuis qu’elle a été donnée à l’homme, elle ne se trouve plus au ciel – ainsi symétriquement, la source de la Téchouva se situe dans la mer ! On peut d’ailleurs remarquer dans un autre Midrach, que la Téchouva est comparée à l’eau comme il est dit : « שפכי כמים לבך – épanche ton cœur comme de l’eau ».
Il reste à comprendre quelles sont les affinités de la Téchouva avec l’eau, et pourquoi l’endroit naturel de la Téchouva se trouve dans les profondeurs de la mer ?
Que la Thora provienne des Cieux est compréhensible, elle est antérieure au monde et appartient aux mondes supérieurs, au point que les anges eux-mêmes eurent du mal à concevoir qu’elle puisse être donnée à l’Homme ! Quant à la Téchouva, quel peut bien être son rapport avec la mer ? De plus, ne devrait-on pas attribuer au hasard le fait que Yona ait fait téchouva au cœur de la mer au moment où il s’est sauvé en bateau ?
L’eau : une dimension spirituelle ou symbole du désir charnel ?
Abordons le sujet avec ce questionnement sur le fondement de l’eau. Comme nous l’enseigne Rabbi Haim Vital, cet élément est la représentation des désirs et des transgressions. De même, le Maharal définit l’eau comme une matière informe, c’est ainsi qu’il explique le thème de l’ouverture de la mer rouge en tant d’annihilation de la matière.
Mais dans une vision différente, nos Sages décrivent l’eau comme un sujet spirituel. La Thora elle-même est comparée à l’eau et ce n’est pas non plus sans raison que l’on se purifie en se trempant dans les eaux du mikvé.
Comment résoudre ce paradoxe ?
Il est possible de dire que même si l’eau par elle-même est synonyme de spiritualité, et qu’elle est tout l’inverse de la matérialité terrestre, lorsqu’elle est reliée à la matière, elle en représente les mauvaises tendances. C’est pourquoi, aux premiers jours de la Création du monde, lorsque Hachem sépara les eaux d’en haut des eaux d’en bas, nos Sages expliquent que celles d’en bas se sont lamentées jusqu’à ce que Hakadoch Baroukh Hou les console au moyen de la mitsva des libations d’eau. Cela signifie que tant que les eaux se trouvent dans les mondes supérieurs, elles sont spirituelles. Mais dès lors qu’elles parviennent à terre et se lient à celle-ci, elles se transforment en matière et en symbolisent les tendances négatives.
Bien que parmi les quatre éléments à la base de la Création, celui de la terre est le plus matériel de tous, malgré tout cette matière est statique et sans expression. A contrario, l’eau est animée de mouvement, et peut épouser n’importe quelle forme. C’est justement pour cette raison qu’elle est plus particulièrement assimilée à la matière, car en opposition au concept de la terre qui est limitée à une forme définie, l’eau possède cette capacité d’adopter la forme de n’importe quel élément matériel.
L’homme, attiré par l’eau
Il semble que se trouve là, la raison pour laquelle l’homme est attiré par l’eau. Pour que l’homme s’unisse à une matière inerte, il lui faut dépenser une énergie. L’eau en revanche est elle même animée de mouvement, elle va et vient à l’encontre de la matière, en épousant entièrement sa forme. C’est ce qui donne vie à cet élément et pousse l’homme vers les désirs illicites.
En résumé, la matière seule n’a pas le potentiel de pousser à la tentation. C’est la force qui anime cette consistance et prépare sa forme finale qui ouvre la voie au désir de l’homme.
Il ressort de là un principe fondamental qui tient dans le fait que les tendances négatives de l’homme ont justement pour origine sa spiritualité. C’est ce qui justifie cette maxime de nos Sages « celui qui est plus grand que son prochain, son mauvais penchant est d’autant plus grand également ».
La réalité veut que cette force qui engendre chez nous la tentation provienne de notre propre source spirituelle ! Rabbi Tsadok de Lublin écrit à ce propos : « celui qui éprouve un désir lancinant pour une tentation physique, qu’il ne s’afflige pas de se sentir aussi bas pour en arriver là, au contraire, cela vient prouver qu’il a le potentiel d’un amour profond et intense pour la vérité. » Il rapporte encore : « il est connu que les connaissances en sagesse ont pour origine le désir et les tendances, comme l’écrit le Midrach que même dans le futur, le yetser hara ne sera pas annulé pour que ne se perde pas l’ardeur pour la Thora ».
L’homme lui-même, fut créé à partir de la poussière et de l’eau, mais sa vitalité provient surtout de l’eau – comme on peut déduire du verset (Béréchit 2 ;6-7) « Et une vapeur s’élève de la terre et arrose toute la surface du sol. Hachem-Elokim façonna l’homme, poussière de la terre ». Tant qu’il n’y avait pas encore d’eau, il n’était pas possible de lui donner vie. N’oublions pas que l’homme est constitué pour 70% d’eau et que toute son existence en dépend.
La Téchouva : Fortifier le fondement de l’eau
En vertu de ce qui précède, nous pouvons dire qu’il appartient à l’homme de choisir si l’élément aqueux qui l’habite se pliera au service de son corps, et ainsi la force de circulation de l’eau engendrera ses désirs charnels. Ou bien à l’inverse, si son corps sera soumis à l’essence de l’eau, dont la nature profonde est spirituelle.
C’est ce qui arriva à l’époque du déluge, comme l’explique le Malbim : Hakadoch Baroukh Hou a vu que l’eau mélangée à la matière induisait celle-ci vers des désirs illicites, c’est pourquoi Il choisit le déluge pour fortifier l’essence de l’eau au sein de la nature au point de soumettre la tendance terrestre à l’eau. Et cela, jusqu’à assujettir la création à l’eau, inversement au processus initial.
C’est ce que nous apprenons en définitive du prophète Yona. Lorsqu’il entra dans les eaux profondes de la mer, il s’extirpa en même temps de l’influence de la matière terrestre. C’est à ce moment précis qu’il fusionna entièrement avec le fondement élémentaire de l’eau. De surcroît, il fut avalé par un grand poisson, créature qui ne dépend pas de la terre mais appartient totalement à l’eau, comme nous trouvons dans la guémara (Zevahim 22a) qu’il est même possible de se tremper au mikvé dans un poisson car il fut créé à partir de l’eau ! Au sein de ses entrailles, Yona comprit qu’il tirait l’essentiel de sa propre nature de l’eau. Il réalisa que l’eau ne vient pas revêtir la matière mais bien l’inverse, elle vient pour la purifier, la transformer en eau !
Dès lors, nous pouvons également donner un nouveau sens à cette violente tempête qui se produisit dans la mer et au calme qui s’ensuivit. La notion de tempête – une impérieuse et violente circulation d’eau, peut se comprendre comme le bouillonnement des désirs terrestres. Dans ce même esprit, il est écrit dans Yechaya (57 ;20) – « Les méchants sont comme une mer agitée qui ne peut se calmer et dont les eaux agitent la boue et la vase ». Quant à la mer calme et dénuée de mouvement, elle représente l’eau spirituelle. C’est pourquoi ce n’est qu’après que Yona fut jeté à la mer, annulant ainsi son corps au profit de l’eau, que les eaux se calmèrent.
Nous comprenons mieux dès lors la raison pour laquelle le lieu de la Téchouva se trouve dans les profondeurs de la mer. En effet, la Téchouva a pour sens un retour vers Hachem. Cela correspond à la sortie d’une enveloppe physique terrestre vers un monde spirituel. Dans ce cas, plutôt que l’eau serve le corps, engendre des pulsions corporelles et développe notre physique, il nous revient de nous y opposer et annuler cet aspect pour nous lier à l’eau spirituelle contenue en nous.
A nous de choisir entre la vie physique et la vie spirituelle
L’histoire de Yona nous enseigne que pour faire téchouva, il nous faut dans une certaine mesure nous couper de la vie physique. Le verset de notre Paracha qui énonce « elle ne se trouve pas au-delà des mers » vient uniquement nous apprendre que pour cela, il est inutile de plonger dans les profondeurs de la mer comme Yona, « car la chose est très proche de toi ». Il faut comprendre par-là, que seule nous appartient cette décision personnelle de vivre une vie de plaisirs dans ce monde ou de s’en détacher pour puiser des valeurs spirituelles.
Néanmoins, il n’est pas inutile de relever le fait qu’il est parfaitement possible de vivre une vie conforme à la Thora et malgré tout rester bien ancré sur terre. La question que nous devons nous poser est celle de savoir si notre monde sert la vie de Thora que nous menons, ou bien si au contraire nous vivons une vie imprégnée de ce monde-ci, en nous contentant juste de nous « arranger » avec la Thora et ses commandements.
Ne nous mentons pas à nous-mêmes, car la formule de « juif pratiquant » est facilement trompeuse. L’essentiel du test est de savoir quel sens avons-nous donné à notre vie. Vivons-nous vraiment nos mitsvot ? Ou bien nous arrangeons-nous avec elles ?
Pour exemple, lorsqu’il arrive n’importe quelle difficulté le Chabbat, comme une panne d’électricité ou autre, essayons-nous aussitôt de trouver un moyen qui nous permette de ne pas gêner nos habitudes, avec des « solutions » halakhiques échafaudées plus ou moins hasardeusement. Ou bien à l’inverse, si au-delà de tout stratagème, nous trouvons des solutions pour remédier à nos plaisirs matériels, la Thora et la Halakha restant la véritable essence notre vie.
A la lumière de ce qui a été dit, il est clair que « cette Mitsva » inclut à la fois la Thora et la Téchouva. « Elle ne se trouve pas dans le ciel » fait référence à la Thora. « Elle ne se trouve pas au-delà des mers » se rapporte à la Téchouva. Les cieux, comme les mers, ont pour fondement les eaux, hormis le fait que les uns se situent dans les mondes supérieurs et les autres dans ceux inférieurs. Les eaux inférieures ne trouvent de repos que lorsqu’elles fusionnent avec les eaux supérieures. Et de même en va-t-il de la Téchouva qui commence à naître en l’homme dès lors que les eaux d’en bas contenues en lui aspirent à se lier aux eaux d’en haut, c’est-à-dire à la Thora. C’est ce qui explique qu’il soit permis de comprendre que « cette Mitsva » s’applique à la fois à la Thora et à la Téchouva, car l’une dépend de l’autre !