Parachat Chela’h Lekha – Écouter pour mériter de voir : La clé d’entrée en Terre Sainte

Parachat Chela’h Lekha – Écouter pour mériter de voir : La clé d’entrée en Terre Sainte

Les Maapilim, une transgression ou un désir de repentir ?

Dans notre paracha sont décrits deux fautes du peuple d’Israël – celle des explorateurs et celle des Maapilim (les “obstinés”).

Après que l’Éternel eut puni les enfants d’Israël pour le péché des explorateurs, les condamnant à errer dans le désert pendant quarante ans, ils dirent malgré tout : « Nous voici prêts à monter vers le lieu dont l’Éternel a parlé, car nous avons péché » (Bamidbar 14;40). Moché leur répondit : « Pourquoi transgressez-vous l’ordre de l’Éternel ? Cela ne réussira point. Ne montez pas, car l’Éternel n’est pas au milieu de vous, afin que vous ne soyez pas battus devant vos ennemis » (Ibid. 41-42).

Et en effet, « ils s’obstinèrent à monter au sommet de la montagne » (Ibid. 44), ce qui eut pour conséquence que « les Amalécites et les Cananéens qui habitaient cette montagne descendirent, les battirent, et les taillèrent en pièces jusqu’à ‘Horma » (Ibid. 45).

Cette faute suscite des sentiments contradictoires. D’un côté, il ne fait aucun doute que ce projet de monter en Terre d’Israël procédait d’un désir du peuple de se repentir et de réparer le péché des explorateurs. Cette partie du peuple voulait extirper l’erreur commise quand ils avaient méprisé la Terre d’Israël. D’autre part, il est difficile de comprendre comment ces Maapilim ont osé transgresser l’ordre divin de ne pas monter sur la montagne, ajoutant ainsi une seconde faute à la première, après avoir déjà été punis pour le péché des explorateurs.

La réponse de Moché, « Pourquoi transgressez-vous l’ordre de l’Éternel ? Cela ne réussira point », pose également question : si cela avait réussi, aurait-il été permis de transgresser l’ordre de l’Éternel ?

« Tout ce que te dira le maître de maison, fais-le, sauf de sortir »

Une interprétation remarquable nous est révélée par Rabbi Tsadok de Lublin (Tsidkat HaTsadik, 46), s’appuyant sur ce que nos Sages ont enseigné : « Tout ce que te dira le maître de maison, fais-le, sauf de sortir » (Pessahim 86b). Autrement dit, bien que je doive obéir aux demandes du maître de maison, lorsqu’il me demande de sortir, je peux refuser sa requête.

Rabbi Tsadok explique que les Maapilim pensaient que, bien qu’ils dussent obéir à la voix de l’Éternel, cela ne s’appliquait pas à l’interdiction de monter en Terre d’Israël, qui entrait dans la catégorie « sauf de sortir ». Ils croyaient en fait que la raison pour laquelle Hachem leur avait interdit de monter était précisément pour éprouver leur attachement à l’objectif, et voir à quel point ils s’efforceraient d’entrer en Terre d’Israël.

En effet, explique Rabbi Tsadok, il arrive parfois que HKBH interdise quelque chose afin de vérifier à quel point cela nous importe. Il explique ainsi le verset « Mais au méchant, D‑ieu dit : Qu’as-tu à énoncer mes lois ? » (Tehilim 50:16). L’intention n’est pas que D‑ieu dise cela au mécréant pour le décourager d’étudier, mais au contraire pour qu’il redouble d’efforts dans son étude. Par les désirs suscités par l’injonction « Sors », le mécréant parviendra à briser les barrières qui l’entravent dans le service divin.

La faute des explorateurs, une rupture entre la sortie d’Égypte et l’entrée en Terre d’Israël

Ces Maapilim n’ont pas simplement imaginé cela de leur propre chef, mais parce que tel était en effet le plan initial : que nous chérissions la Terre et que nous fassions tout pour y monter. Comme mentionné, ils voulaient réparer leur premier péché d’avoir méprisé la Terre promise. Il faut donc comprendre pourquoi ils n’avaient pas raison. Après que leur manque d’enthousiasme pour entrer dans le pays a été considéré comme une si grande faute, comment se fait-il que soudain, c’est précisément le désir de monter en Terre d’Israël qui soit devenu une faute ?

Il semble que leur erreur fut de ne pas avoir intériorisé la signification de la faute des explorateurs. Ils n’ont pas compris qu’un changement dramatique s’était opéré depuis. Ce qui était vrai avant ne l’était plus après.

L’explication de cela apparaît à la lumière des propos du Maharal (Netsah Israël, chap. 8), selon laquelle la gravité du péché des explorateurs provient du fait qu’il a opéré une rupture entre la sortie d’Égypte de l’entrée en Terre d’Israël. La sortie d’Égypte ne devait pas être simplement une étape de libération de l’esclavage, mais un processus qui devait les mener directement en Terre d’Israël. Si la sortie d’Égypte et leur venue dans le pays avaient été un seul et même épisode, c’est-à-dire si la même génération qui était sortie d’Égypte était entrée dans le pays, alors l’installation dans le pays aurait été éternelle, car la sortie d’Égypte elle-même est éternelle, puisque par cette sortie nous appartenons encore aujourd’hui à D‑ieu. Mais comme il y eut une interruption entre cette sortie et l’entrée dans le pays, l’entrée dans le pays ne pouvait être éternelle.

Le Maharal innove ici en affirmant que l’entrée dans le pays ne peut pas être un événement indépendant, mais qu’elle est profondément liée à la sortie d’Égypte, elle en constitue en fait l’accomplissement. Et il est impossible de venir en Terre d’Israël sans l’immense bagage que nous avons reçu au moment de la sortie d’Égypte. C’est ce qu’ont dit les enfants d’Israël lors de la Chira sur la mer : « Tu les amèneras et tu les implanteras sur la montagne de ton héritage, au lieu que tu as préparé pour ta résidence, ô Éternel ! » Le but de la sortie était l’entrée en Terre d’Israël.

Pas d’entrée en Israël sans créer de « rencontre » avec le Divin

Le cinquième langage de délivrance « Je vous ferai entrer dans le pays » ne peut se réaliser qu’après les quatre expressions qui lui précède : « Je vous ferai sortir », « Je vous délivrerai », « Je vous rachèterai », et « Je vous prendrai ».

En fait, « Je vous prendrai pour peuple » fait référence au don de la Torah, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’entrée dans le pays sans la Torah que nous avons reçue dans le désert. La raison en est que l’entrée en Terre d’Israël n’est pas seulement l’entrée dans un lieu géographique, mais une rencontre avec HKBH, qui réside particulièrement en ce lieu, plus que dans les autres pays. Et cette rencontre ne peut se réaliser concrètement que par la Torah.

C’est là l’erreur des Maapilim. Il est vrai que Hachem attend de nous que nous chérissions la Terre, mais l’intention est d’aspirer à un lieu d’intimité entre nous et Lui. Mais lorsque nous avons rompu le lien avec la sortie d’Égypte, et lorsque Lui-même nous ordonne de rester dans le désert, comment peut-on dès lors penser que nous Le rencontrerons en Terre d’Israël, alors que c’est Lui-même qui nous a ordonné de ne pas y monter ? C’est ce que Moché leur dit : « Ne montez pas, car l’Éternel n’est pas parmi vous », et il poursuit : « afin que vous ne soyez pas battus devant vos ennemis », car puisque D‑ieu n’est pas avec nous, comment pourrions-nous réussir à la guerre ?

La paracha des Tsisit, d’abord écouter et seulement ensuite voir

Notre paracha se termine par le commandement des Tsitsit, qui est le troisième paragraphe du Chema. Ce commandement concerne principalement l’œil, comme il est écrit : « Vous le verrez, et vous vous souviendrez de tous les commandements de l’Éternel » (Bamidbar 15:39). Le mot Tsitsit lui-même vient du mot « regarder ». Ce n’est pas par hasard que c’est précisément dans le passage des Tsitsit que nous sommes enjoints : « Vous ne vous égarerez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux ».

Le rav Ouri Cherki propose à ce sujet une analyse intéressante, suggérant que dans le Chéma, le premier paragraphe commence par « Écoute, Israël », le deuxième par « Et il arrivera, si vous écoutez », et ce n’est qu’ensuite que vient le paragraphe des Tsitsit où il est dit « Vous le verrez ». Car le judaïsme considère qu’il faut d’abord écouter et seulement ensuite voir.

Selon le Rav Cherki, cet aspect sert de critère distinctif entre les philosophes et le judaïsme. Aristote pensait (Métaphysique, livre premier, 1.1) que l’homme n’a été créé que pour l’esprit, et la preuve en est que le plaisir principal de l’homme vient de la vue. La vue nous fournit un maximum d’informations. En peu de temps, j’apprends beaucoup. Aristote en déduit que c’est la preuve que l’homme n’a été créé que pour l’esprit.

En revanche, dans le judaïsme, lorsque nous voulons exprimer les fondements de la foi hébraïque, nous fermons justement les yeux, nous plaçons la main sur les yeux pour être sûrs qu’ils ne s’ouvriront pas, et alors nous disons « Écoute ».

Il y a une grande différence entre voir et entendre. Quand je regarde quelque chose, je peux saisir l’image d’ensemble immédiatement, mais la profondeur de la compréhension est limitée par rapport au temps que je passe à traiter une information auditive. Voir un événement ou une vidéo fournit une compréhension superficielle, tandis que la lecture d’un livre approfondit les détails et les sentiments complexes qui vont au-delà de la simple apparence.

De plus, la vue éveille des sentiments d’orgueil, car elle donne une sensation d’immédiateté et de contrôle sur ce qui est observé. En revanche, les expériences auditives peuvent éveiller des sentiments d’humilité, car elles exigent une volonté d’écouter, d’entendre un son après l’autre, une note après l’autre.

C’est la raison, selon le Rav Cherki, pour laquelle on lit le passage des Tsitsit à la fin du Chema, pour souligner l’importance de tendre d’abord l’oreille, ce qui symbolise une attitude d’humilité et de réception, avant de s’engager dans l’observation visuelle.

Pour mériter de « voir le pays », nous devons être à « l’écoute » de la Torah

Il est possible que ce passage éclaire en fait la paracha des explorateurs et des Maapilim : la sortie d’Égypte et le don de la Torah représentent « l’écoute » du peuple d’Israël, nous avons entendu les dix commandements. Yitro lui-même s’est converti après avoir « entendu », et il a en fait entendu la sortie d’Égypte, et selon une opinion, le don de la Torah aussi. En revanche, l’entrée dans le pays symbolise « la vue » du peuple d’Israël, comme il est dit : « Laisse-moi traverser, que je voie cet heureux pays qui est au-delà du Jourdain » (Devarim 3:25). Le Temple aussi est un lieu de vision, c’est pourquoi Avraham appela cet endroit « l’Éternel verra, ainsi qu’il est dit aujourd’hui : sur la montagne de l’Éternel il sera vu » (Berechit 22:14). Or, comme mentionné, le judaïsme fait précéder l’écoute à la vue. En d’autres termes, pour mériter de « voir le pays », nous devons être profondément connectés à « l’écoute » des miracles en Égypte et du don de la Torah.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.