Engagement de Tsédaka par la pensée

Engagement de Tsédaka par la pensée

Parle aux enfants d’Israël. Qu’ils m’apportent une offrande; vous la recevrez pour moi de tout homme qui la fera de bon cœur

(Chemot 25:2)

Dans cet article, nous traiterons des vœux de Tsédaka (charité) et de leur application par la pensée. Il est courant qu’une personne décide de donner de la Tsedaka sans l’exprimer verbalement, puis, pour quelque raison que ce soit, n’a pas pu réaliser sa promesse ou qu’elle veuille revenir sur sa pensée. Cet engagement est-il considéré comme un vœu proprement dit ? Est-elle obligée d’accomplir sa pensée, ou bien est-ce plutôt considéré comme des « Devarim ChebaLev », des paroles dans le cœur, qui ne sont pas considérées comme des paroles ?

Expression verbale dans les vœux

Dans le traité de Chevou‘ot (26b), il est postulé que même si par rapport aux serments (chevou‘ot) ou aux vœux (nédarim), leur application dépend uniquement d’une expression verbale, comme il est dit : « prononcer avec les lèvres » (Lévitique 5), en revanche, en matière de choses saintes (Kodachim), une personne peut s’engager par « les pensées de son cœur » sans les prononcer avec ses lèvres. Nous apprenons cette loi du verset : « Tout donateur du cœur » (Exode 35), cité dans notre Paracha. Comme expliqué dans le Talmud (ibid.), ce principe est dit seulement au sujet du sacré. En ce qui concerne le profane (‘houlin), il est impossible de s’engager sans l’exprimer avec la bouche. Cependant, comme nous le noterons plus loin, nombreux sont ceux qui ont écrit que ce principe est énoncé même concernant les vœux caritatifs, qui peuvent être comptés grâce à la pensée uniquement.

Prendre sur soi un jeûne ou un don par la pensée

Tossafot (‘Avoda Zara 34a) ramènent un cas qui est parvenu chez Rabeinou Tam, d’un homme qui accomplit de nombreux jeûnes, sans les avoir préalablement pris sur soi depuis la veille lors de la prière. Rabeinou Tam conclura que les jeûnes lui sont compté comme tels, vu qu’au fond de lui il avait décidé de les prendre sur lui. Ainsi, le Roch dans ses décisions (Ta‘anit 1,10) rapporte les dires de Rabeinou Tam et les explique en comparant les jeûnes aux dons. De la même façon que la Tsedaka est soumise à un engagement par la pensée, ainsi les jeûnes suivent le même procédé. Nous pouvons voir que selon lui, un parallèle existe entre ces deux sujets, tous deux dépendant de la pensée sans nécessairement nécessiter une expression verbale. Le Mordekhai (rapporté dans le Beit Yossef Yoréh Dé’a §258) fera même l’analogie entre dons de charité et sacrifices, se ressemblant dans leur essence. Ainsi, tous deux dépendent de la pensée pour asseoir un engagement.  

Dans l’opinion du Roch, nous trouvons une contradiction. Il écrit dans ses responsa (Principe 13 §1) au sujet d’un homme qui fit l’acquisition d’un terrain à la condition de le consacrer à des fins sacrées (hekdech) contemporaines, autrement dit à de la Tsedaka, mais sans exprimer verbalement cette condition, que celle-ci est considérée comme nulle et non avenue, car ce ne sont que des « Devarim ChebaLev ». C’est uniquement au sujet des choses sacrées que la règle de « Tout donateur du cœur » est applicable. Sa décision est rapportée dans le Tour (§212). (A l’opposé de ce qu’on avait rapporté en son nom.)

Le Maharik (Racine 161 §5-7) relève la contradiction dans les mots du Roch et tranche en faveur de sa décision de comparer la Tsedaka aux sacrifices. Il s’appuie ainsi sur des autres Richonim, comme Rabeinou Perets dans ses annotations sur le Semak, qui penche comme l’opinion de Rabeinou Tam.

Cependant, le Taz (Ora’h ‘Haïm 562 §8), tente de répondre à la contradiction dans les paroles de Roch d’une manière différente. Selon lui, il faut faire une distinction fondamentale entre les jeûnes et la charité. Ce n’est que les jeûnes, qui sont entièrement dirigés vers un but spirituel, qui peuvent être comparés aux vœux et promesses d’offrandes, destinés également pour le Ciel. Un engagement par la pensée fonctionne pour cette catégorie. En revanche, la charité n’est pas entièrement tournée vers le Ciel, car elle procure du plaisir à un homme (profane). Il n’y a donc pas lieu de la comparer aux choses saintes.

Malgré tout, son explication semble quelque peu compromise par les mots du Roch lui-même, qui écrit explicitement que le verset parlant de « donation du cœur » s’applique également pour la Tsedaka

La Halakha

Au niveau de la halakha, le Choul’han ‘Aroukh (‘Hochen Michpat 212) ramène ces deux opinions discutant si un engagement non-verbal pour un don est valide. Il y a lieu de penser que l’avis personnel de ce dernier est comme la dernière opinion citée, comme on l’estime généralement, revenant à considérer que son opinion suit celle qui trouve un engagement par la pensée insuffisant. (Ainsi le ‘Hida évalue dans son œuvre Birkei Yossef). Cependant, le Choul’han ‘Aroukh au sujet des lois des jeûnes (562 §6) tranche que si la veille l’on n’a pas formulé explicitement que l’on prenait un jeûne sur soi, le jeûne est quand même valide.

Pour le Rema (ibid. et Yoré Dé’a 258 §13) même dans les vœux, il faudra prendre compte du premier avis qui considère un engagement par la pensée comme valable. Etrangement, pour les jeûnes (§553) il affirmera qu’un engagement dans le cœur n’est pas considéré comme un engagement… (Voir dans les notes du Gaon de Vilna un développement sur tout cela).

Il convient tout de même de souligner que cette halakha n’est valable que si l’on a pris la décision complète et entière de faire un don. Quand on ne pense qu’à l’éventualité de faire un don à un organisme de bienfaisance et qu’on ne parvient pas à une décision claire qui est vraiment intéressante, à la fois pour l’individu et pour l’organisme lui-même, le vœu ne s’applique pas. Ainsi l’écrit le Rama (562,11) au sujet de l’acceptation d’un jeûne, que d’avoir pensé à jeûner ne suffit pas, il faut réellement décider (en pensée) de jeûner. Le Ma’hatsit Hachekel explique que pour enlever le risque de changement d’avis, il faut que ce soit un véritable engagement. Suivant cette logique, il faudra appliquer cette règle à la Tsedaka. Ainsi le Michna Beroura (553) écrit explicitement.        

En conclusion

Celui qui pense donner de la charité, s’il a fixé dans son cœur de donner, devra accomplir son vœu. En règle générale, il semblerait que si la personne est indécise à ce sujet, et ne sait pas précisément si elle a pris une décision définitive ou qu’elle n’a pas encore atteint ce stade, on pourra présumer qu’elle n’a pas pris de décision concrète, de telle sorte que l’engagement ne s’applique pas.

Dans le prochain article, nous nous efforcerons de compléter ce sujet, pour savoir s’il y a une différence entre un vœu s’appliquant dans le cœur et un vœu s’appliquant verbalement ? Et également si une personne peut-elle regretter son vœu ?

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.