Question
Elie s’est intéressé à une société pour en faire l’acquisition. Pour cela il a contacté Laurent, son expert-comptable, afin de vérifier l’état financier de la société en question. Après un audit approfondi, Laurent lui annonça que la société a accumulé une dette d’un montant de 100.000 Shekel. Ceci n’a pas découragé Elie, et après négociation avec David, actionnaire de cette société, ils fixèrent un prix et conclurent la transaction.
Lors du bilan de fin d’année, Elie s’est aperçu que la dette était bien plus élevée que ce qu’il pensait. Il ne s’agissait pas de 100.000 Shekel mais du double. N’étant plus intéressé par cette société ayant une dette d’un tel montant, Elie veut annuler la vente rétroactivement en appliquant le principe de meka’h taout – transaction erronée. Il estime aussi que David n’a pas été honnête avec lui, et n’est donc plus intéressé à conclure aucune affaire avec lui.
David quant à lui, estime qu’il a accordé tout le temps nécessaire à Elie pour vérifier l’état financier de la société, et qu’il serait incorrect de lui faire porter la responsabilité de l’erreur de Laurent. Pour lui, Elie n’a qu’à se débrouiller avec son expert-comptable.
Réponse
La possibilité de vérifier le produit maintient toute vente
En premier plan, il nous faut vérifier si le prix fixé avec le vendeur était bien en fonction du montant de la dette. Sans cela, David pourrait se dédouaner en prétendant que le prix n’a rien avoir avec un montant de dette précis, et le fait même qu’il existe une dette est courant dans les sociétés.
Si c’est bien le cas, il s’agit bien de meka’h taout, étant donné qu’Elie n’a jamais eu l’intention d’acquérir une société ayant une dette aussi élevée.
Cependant, on pourrait remettre cela en cause à partir du principe établi par le Maguid Michné, à savoir que dans le cas où l’acquéreur avait la possibilité de vérifier l’objet et n’a pas pris le soin de le faire, il ne pourra plus annuler la vente. Et donc, dans notre cas où Elie avait la possibilité de bien vérifier et n’est pas parvenu à le faire, il ne pourra pas l’annuler, car bien qu’il ne soit fautif, cela n’empêche qu’il était en mesure de vérifier sans erreur.
Bien que l’opinion du Maguid Michné soit discutée, selon le Chevout Yaakov cela dépendra, dans le cas où la vérification pouvait avoir lieu avant l’aboutissement de la transaction, personne ne s’opposera à cette opinion et la transaction ne sera pas annulée. Mis à part cela, David pourra soutenir Kim li (je tiens la hala’ha) comme le Maguid Michné, étant donné que l’argent se trouve chez lui.
Et même si les propos du Maguid Michné ne s’appliquent pas dans un cas où la possibilité de vérifier demande un effort important, comme le précisent le Kessef Hakodachim (232, 3) et le Michpat Chalom (232,3,5). Toutefois, pour les produits où l’habitude est de vérifier sérieusement, comme pour l’achat d’une voiture ou d’une société, l’acheteur aura le devoir de le faire.
Erreur dans la vérification
Mais en réalité, cette approche du problème est inexacte, car la raison pour laquelle on ne peut annuler la vente dans le cas où l’on pouvait vérifier, est que nous estimons que l’absence de vérification constitue l’acceptation d’un défaut éventuel. Or dans notre cas où nous voyons clairement qu’Elie s’est trompé dans le montant de la dette, malgré avoir fait appel à son expert-comptable, on ne peut pas parler d’acceptation sur la dette de 200.000 Shekel. Cela serait au mieux considéré comme me’hila betaout – acceptation par erreur (voir Choul’han Arou’h 152 et 241).
Pour confirmer cette approche, nous pouvons nous appuyer sur le Nétivoth au sujet de ona’a (prix exagéré d’un produit), où la règle est que l’acheteur peut changer d’avis durant le temps nécessaire pour montrer le produit à un connaisseur. Et le Nétivoth (227,3) ajoute que si l’expert en question s’est trompé, l’acheteur pourra changer d’avis même après ce laps de temps, car il s’agit d’un cas de force majeure pour l’acheteur. A priori, il n’y a pas de raison de différencier lorsqu’il s’agit d’une annulation de vente à cause d’un défaut.
Lorsque le vendeur ment sur la qualité du produit
En dehors de cela, dans le cas où le vendeur a affirmé qu’il n’y avait pas de défaut, ce qui s’est avéré faux, le Maguid Michné est d’accord que la vente sera annulée même si l’acheteur pouvait vérifier, comme tranche le Ma’arachdam (responsa 385), non pas comme le Radbaz (4,136). Ainsi dans notre cas où David a affirmé qu’il n’y a pas de dettes supplémentaires, même si Elie n’avait rien vérifié, il peut annuler la vente.
Cependant, dans le cas d’une société, il y aurait lieu de réfuter cette logique, car bien souvent l’actionnaire lui-même ne connait pas la situation exacte de sa société, et cela exige le travail d’un expert-comptable. L’acquéreur n’est donc pas censé se fier aux propos du vendeur, contrairement au cas d’un produit classique.
Quand le défaut est réparable
Néanmoins, bien qu’il s’agisse de meka’h taout, Elie ne pourra pas imposer l’annulation de la vente, dans le cas où David préfère le dédommager. Cela ressemble au cas cité dans le Choulhan Arou’h (232,5) où une personne a acquis une maison et a trouvé les portes bien abîmées, le vendeur pourra réparer les portes et imposer à l’acheteur de maintenir la vente. La règle est que tant que le défaut ne se trouve pas dans l’utilisation essentielle de l’objet, et ne limite pas son utilité, il ne s’agit pas véritablement d’un meka’h taout, à condition que le vendeur répare le défaut. (La source de cette distinction provient du Roch et du Ri Migach, voir aussi Choul’han Arou’h 232,10).
Dans notre cas aussi, les dettes ne sont pas considérées comme un défaut dans la société même, et ne limitent pas son activité. David pourra alors confirmer la vente en dédommageant Elie. Nous pouvons également comparer cela au cas d’une erreur dans la quantité livrée par le vendeur, où le Choul’han Arou’h (232,1) tranche que la vente n’est pas annulée, mais le vendeur doit compléter.
Bien entendu, dans le cas précis où le niveau de dettes dévoile un problème interne dans la société même, l’acquéreur pourra imposer l’annulation de la vente.
L’acquéreur face à l’expert-comptable
Si jamais Elie n’a pas réussi à imposer à David l’annulation de la vente, comme dans le cas où il s’est enfui ou autre, Laurent devra le dédommager de sa perte d’argent, par le principe de garmi. La source de cette hala’ha provient du principe cité dans le Choul’han Arou’h (306,6) au sujet d’une personne qui fait vérifier chez un Change une pièce de monnaie, et ce dernier lui confirme la validité de la pièce. Par la suite il s’avère que la pièce n’est pas valable. S’il s’agit d’un Hediot – amateur, celui-ci devra le dédommager dans tous les cas, alors que dans le cas d’un moum’hé – expert, il n’aura l’obligation de dédommager uniquement s’il est payé pour son expertise. Dans cette perspective, bien que Laurent soit expert en la matière, puisqu’il est rémunéré pour son travail, il devra assumer son erreur et dédommager Elie.
Conclusion
Elie peut imposer à David de le dédommager, ou alors d’annuler la vente et de récupérer son argent. Si David préfère payer le dommage, Elie ne pourra imposer l’annulation de la vente.
Dans le cas où Elie ne parvient pas à annuler cette vente ou à se faire rembourser par David, comme par exemple s’il s’est enfui, il pourra se retourner contre son expert-comptable en lui réclamant un dédommagement.
Il est évident que la somme du remboursement du vendeur (ou de l’expert-comptable) sera calculée en fonction du dommage exact qu’il entraine, et ne correspondra pas forcement à la hauteur de la dette. Par exemple, dans notre cas, si Elie était prêt à acheter cette société pour 50.000 Shekel de moins pour une dette supplémentaire de 100.000 Shekel, le dédommagement sera en proportion. Il conviendra donc de faire estimer le montant précis du dommage en faisant expertiser la valeur supposée de la société dans les deux configurations.