Parachat Yitro – Lo Ta’hmod : Aime-toi toi-même !

Parachat Yitro – Lo Ta’hmod : Aime-toi toi-même !

“Tu ne convoiteras point”Synthèse des Dix Paroles

Le Dix commandements qui nous ont été transmis au Mont Sinaï sont conclues par l’interdit de “Lo Ta’hmod” ou “Tu ne convoiteras point”.

Les commentateurs, entres autres Ramban et Seforno, expliquent que cet interdit est illustré en long et en large par les nombreux commandements de la Parchat Michpatim qui suit. En effet, ces lois sociales qui définissent une justice humaine plus que divine, sont l’expression et la concrétisation de Lo Ta’hmod.

En outre, Rabeinou Be’hayé (dans son œuvre Kad HaKema’h) écrit que cette dernière Parole doit sa place à son importance : elle inclut en effet toutes les précédentes.

[Étrangement, les Samaritains choisiront cette dixième Parole pour affirmer leur divergence avec notre peuple. Ils ont introduit la sainteté, selon eux, du Mont Garizim au détriment de Jérusalem à cette place…]

Il conclut ses dires en affirmant que :

“Quiconque accomplit l’injonction de ne point convoiter accomplit la Parole de ‘Je suis l’Eternel ton D.ieu’”

En réalité ceci ressort du texte même de la Torah. Immédiatement après le Don de la Torah, le Saint-béni-soit-Il s’allonge sur l’affirmation établie lors de la première Parole : “Vous avez vu, vous-mêmes, que du haut des cieux je vous ai parlé. Ne m’associez aucune divinité ; dieux d’argent, dieux d’or, n’en faites point votre usage” (Chemot 20,20). Puis, Il exposera avec moult détails les Michpatim, qui sont l’exécution de la dernière Parole, selon Ramban. La déclaration de la divinité et l’expression de l’interdit de convoitise se retrouvent donc étroitement liés.

Il y a lieu de méditer sur le concept apparemment primordial de la Convoitise : pourquoi son interdit est-il si particulier ? De plus, pourquoi les lois sociales en général sont-elles plus liées à l’interdit de convoiter qu’aux interdits de voler ou de tuer ?

Pour finir, je voudrais me pencher sur la fameuse question concernant l’accomplissement même de cette Parole. Comment peut-on exiger d’un homme de ne pas envier les biens d’autrui ? Comment le contrôle d’une émotion si ancrée dans le cœur de l’Homme est-il possible ? (Cf. Ibn Ezra sur cette dernière interrogation)

L’origine de la Jalousie – Une déficience de l’Essence

Le verset affirme “La carie des os est la jalousie” (Michlei 14,30). Le sens simple de ce constat est que le pourrissement des os provient de cette jalousie qui ronge l’homme.

Mais nous pouvons comprendre l’inverse : l’origine de cette émotion découle de cette putréfaction. Les ‘os’ correspondent à l’essence de l’homme, à sa substantifique moelle.

En hébreu, le terme désignant les ossements, ‘Atsamot, puise sa racine du terme désignant l’essence, Atsmout [A.TS.M.].

Ainsi, le Rabbi de Loubavitch explique le sens de l’expression “‘Atsmot Yossef”, les ossements de Yossef que Moché prit avec lui lors de la Sortie d’Egypte. Pourquoi le Texte a-t-il tenu à nommer le tombeau de ce Juste de la sorte ? (Surtout que selon notre Tradition, les cadavres des Justes ne pourrissent pas ?) L’intention de la Torah est de nous informer des motivations de Moché Rabeinou, à savoir de prendre avec lui l’”Essence de Yossef”, sa capacité à ne pas se laisser influencer par un entourage hostile, et sa nature de Juste. Grâce à cette source d’inspiration, le peuple juif pourra résister à toute influence malsaine, dès le début de leur histoire…

De plus, l’action de fermer ses yeux est désignée dans le Texte par “‘Otsem ‘Enaw” (Yechaya 33,15), de la même racine étymologique. La raison à cela pourrait être que, du moment que l’Homme ferme ses yeux, il se retrouve avec lui-même. Sur le même ordre d’idée, la Femme est nommée dans le Texte par “‘Etsem Me‘Atsamaï, littéralement “un os parmi mes os”. Nous ne pouvons révéler notre intériorité qu’à travers nos épouses.

La substance profonde de l’homme réside dans son squelette, en dehors de cela, ce n’est déjà plus son intériorité. C’est pour cela qu’en araméen l’Os se dit “Garam”, de la même racine que provoquer ou engendrer (LiGrom). La raison à cela est que, contrairement à tout ce qui découle de l’homme, sa structure interne n’est pas une conséquence, mais c’est la cause première. D’elle tout est provoqué.

A la lumière de ce développement, le “pourrissement des os” est une métaphore désignant une personnalité vide de sens, un manque d’essence. Un tel homme peut être enclin à être jaloux et convoiteur. Quand une personne n’a aucune base personnelle et dépend entièrement de son entourage et de ses opinions, nul doute que toute sa vie il sera miné par l’envie et rongé par la convoitise, car toute sa vision du monde et ses valeurs dépendent de l’Autre.

Aime-toi toi-même pour pouvoir aimer l’autre

Nos Sages ont affirmé que dans la Paracha de Kedochim nous retrouvons un certain parallèle entre certains commandements et les Dix Paroles. Le commandement correspondant à l’interdiction de convoiter est “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”.

En effet, comment pouvons-nous aimer l’autre comme soi-même, si l’on ne s’aime pas ? La condition première à la réalisation de cette Mitsva est bien l’Amour de soi.

En outre, l’Amour de Soi n’est possible qu’avec l’existence de ce Soi. Il faut donc, dès le début, faire connaissance de notre identité, révéler notre personnalité et affirmer notre nature qui nous définit, sans se soucier d’un quelconque regard extérieur. Tant que la conscience de l’homme dépendra du jugement d’autrui, la haine vers l’autre ne cessera de s’amplifier.

Au lieu de nous considérer grâce à l’estime d’un autre, nous devons considérer l’autre grâce à notre propre estimation.

Paradoxalement, afin d’aimer et de nous lier à autrui, il faut en premier lieu s’extirper de la collectivité et de ses appréciations.

Ne pas convoiter – Formation du ‘Moi’   

A présent, nous pouvons concevoir l’importance de cet interdit. Sans celui-ci, il n’y aurait aucun sens aux 613 Mitsvot. On pourrait accomplir toute la Torah à la perfection, sans pour autant la réaliser. Si l’on reste déconnecté de notre ‘Moi’, ce dernier n’aura fait aucun commandement.

La raison pour laquelle un homme vient à convoiter et désirer les biens d’autrui, est qu’il attache trop d’importance à ce que l’Autre possède. Son échelle de valeurs est calquée sur celle de son voisin. Pour y remédier, il faudra commencer par s’aimer, avec ses particularités qui le définissent, pour arriver à aimer l’autre et à l’accepter, lui et ses biens.

Cette injonction est donc le cœur de toutes les autres. Elle vient donner de la profondeur à celui qui la respecte, le libérer du joug social et entériner l’estime de soi. Ce n’est que grâce à elle que l’accomplissement de la Torah deviendra personnel et intrinsèque à notre identité.

Il m’a été rapporté au sujet d’un Ba’hour Yéchiva qui ne trouvait plus le goût à l’étude et qui alla prendre conseil chez son maître le Rav Wolbe z’’l. Etrangement, son maître lui intima d’aller se balader en forêt ! L’élève suivit son conseil et à son retour, il alla voir le Rav pour lui dire qu’il avait ressenti une grande peur dans la forêt, sans pour autant en connaître la cause. Le Rav lui répondit : “Je vais t’expliquer la source de cette peur… Lors de ta balade tu as rencontré un homme inconnu !” Ce jeune homme, troublé, lui demanda : “Qui est donc cet homme ? Je n’ai pourtant vu personne ?!” Ce à quoi son maître, avec sagesse, lui répondit : “Cet homme… C’est toi-même ! Tu viens de te rencontrer pour la première fois…”

Une vie entière peut passer, sans que l’on apprenne à se (re)connaître…

Accomplir ‘Lo Ta’hmod’ – Accomplir ‘Anokhi

A partir de cela, nous pouvons apporter une autre dimension aux dires du Rabeinou Ba’hayé, à savoir que l’accomplissement de la dernière parole amène à celui de la première. Ce n’est qu’à travers l’interdit de convoiter que nous pourrons révéler le “Anokhi” caché en nous, avant d’intégrer celui prononcé par l’Etre par excellence…    

De nos jours, grâce aux divers moyens de communication, nous sommes devenus trop conscients de ce qui se passe chez l’autre. La distance géographique n’est plus un obstacle à notre curiosité. Ainsi, les créateurs des “modes” diverses n’ont d’autre souci que de faire pénétrer les multiples mouvements sociaux dans notre conscience. Il se fait de plus en plus rare de trouver des personnes capables d’innover et d’exprimer leurs aptitudes personnelles, leurs propres opinions, ou même leur goût. Les dirigeants eux-mêmes prouvent à l’image du monde leur manque de subjectivité et de programme particulier. Le monde politique en est l’exemple le plus fort : se soucier du qu’en-dira-t-on est le plus important, les projets s’adapteront à l’opinion publique, et ce afin de collecter encore plus de voix et encore plus de mandats.

Malheureusement, même au sein du public qui accomplit les Mitsvoth, la frontière entre les lois de la Torah et les codes sociaux s’estompe de plus en plus… Les préceptes se font petit à petit remplacer par des normes sociales…

Dans un tel contexte, à nous d’intégrer cette dernière Parole, en essayant de révéler notre personnalité et de dévoiler notre intériorité. L’essence de l’homme est en droit de rejaillir, sur ses opinions, ses sentiments, ses motivations.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

Comments (3)

  • Sylvia

    Magnifique ! La preuve que notre tora a encore anticipé avec 2000 ans d’avance un problème contemporain majeur tel que l’influence de réseaux sociaux avec LA conséquence désastreuse qu’est la perte d’identité, de personnalité…

  • Emmanuel

    L’idée est géniale et bien qu’innovante se laisse accepter très bien par l’esprit. Il est en effet primordial de savoir s’aimer soi-même sans le regard des autres, chose oubliée en grande pompe dans notre civilisation…
    Cepandant votre parallèle avec le “Anokhi” divin me semble un peu hasardeux…il est vrai que le mot même parle du Soi, mais là on parle du commandement pas simplement d’un terme, et le commandement définit l’acceptation de notre créateur comme étant notre d.ieu pas la recherche quelconque d’un certain Moi ni du notre ni du Sien…en fait je vois mal comment inscrire cette idée de prise de conscience de soi dans la parole de notre créateur…..
    De plus l’interprétation du lo ta’hmod par la reconnaissance et l’amour de soi n’est pas très claire. D’aucuns diraient que justement en se connaissant bien et en se distinguant de l’autre, là jaillissent les différences et les manques…si je ne fais pas attention à mes lacunes et à ce qui me manque, je n’aurai pas à jalouser l’autre, c’est en faisant une introspection que des fois peuvent se refléter des différences (attention je ne dis pas que ça sera toujours tel, des fois cette introspection sera bénéfique que b”h on ne manque de rien, mais il est des réalités malheureusement où sans besoin d’une comparaison avec autrui la personne a des difficultés de toutes sortes, et s’aimer soi-même tel quel ne résoudra pas ces problèmes, en revanche se comparer à la société tranquilisera que chacun malgré ses réussites dans certains domaines a ses problèmes dans d’autres des fois plus graves…)

    • Rav A. Melka

      La vérité je ne vois pas trop ce qui t’embête. Même si le sens du premier commandement ne se réduit pas à la recherche du “Soi”, mais il semble logique que si Dieu à débuter ses commandements par “Anokhi”, à nous d’intégrer en premier plan cette dimension de “Anokhi”, c’est à dire l’essens de Dieu qui est au-delà de ce monde restreint et non dépéndant d’aucune force. L’idée que je voulais faire entendre, est que la seule façon d’y arriver est de connaître avant cela son soi-même. C’est seulement en apprenant à etre nous-même, et en prenant conscience de notre subjéctivité, détachéé de tout jugement et dépendance exterieure, qu’on pourra peut-être un jour arriver à immaginer le coté transcandant du Divin, qui bien qu’etant Impliqué dans notre monde, Il le dépasse tellement…
      -Si tu fais bien attention je ne parle pas d’introspection, mais d’amour de soi. Cette idée est explicite dans le verset “tu aimeras l’autre comme toi même”, sans s’aimer comment aimer l’autre comme soi. Les sages qui ont jumellés cette mitsva à l’interdit de convoitise, ont donné la clé pour éviter d’arriver à convoiter, en aimant l’autre il n’y a pas de risque de l’envier. Mais la condition à cela est de s’aimer au préalable.

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