Bilam leva les yeux, et vit Israël camper selon ses tribus. Alors l’esprit de Dieu fut sur lui – Il a vu chaque tribu demeurer seul sans s’entremêler. Il a vu que les entrées de leurs tentes n’étaient pas exactement face à face de sorte que l’on ne pouvait pas regarder dans la tente de l’autre
Rachi bamidbar (24; 2)
A partir de ce verset prononcé par Bilam, a été établie la loi fondamentale relative aux nuisances visuelles du voisinage, tel que le vis-à-vis ou la construction voisine avec vue plongeante sur le bien d’autrui. En effet, le malaise subi par quelqu’un parce qu’il est exposé au regard des autres alors qu’il se trouve dans son propre domaine privé est considéré comme trouble anormal de voisinage.
C’est ainsi que la Michna nous enseigne dans Baba Batra (59b), qu’une personne ne peut pas ouvrir une entrée ou une fenêtre donnant sur la cour d’autrui (même partenaire), sans son autorisation. Une autre loi est écrite, que même lorsqu’il est autorisé à ouvrir une fenêtre, il ne pourra pas la placer en face d’une autre fenêtre, ni une entrée en face d’une autre entrée.
Dans la Guémara, Rabbi Yo’ḥanan explique que cette loi est issue des paroles de Bilam qui, en voyant que les entrées des tentes des différentes tribus n’étaient pas alignées les unes avec les autres, garantissant à chaque famille une certaine intimité, il conclut en disant : Si c’est le cas, ces gens sont dignes d’avoir la Présence Divine sur eux.
Ainsi a été tranché dans le Choul’han Arou’h (154; 3).
Prévenir les risques de préjudice
Les lois relatives aux « dommages occasionnés par la vue » sont multiples, et nous ne pourrons pas toutes les englober dans le cadre de cet article. C’est pourquoi nous nous concentrerons ici sur le principe même de ce type de dommage: Qu’est-il considéré comme dommage causé par la vue ?
Il convient de préciser que les dommages par la vue ne s’expriment pas forcement par le fait de regarder ou d’observer chez son voisin, mais la simple «possibilité» de le faire porte atteinte à la tranquillité et l’intimité de son voisin, et doit donc également être évitée. En effet, l’existence de cette possibilité est suffisante pour empêcher une personne de vivre tranquillement sa vie privée, sans craindre à chaque instant d’être observé par son voisin.
Pour cette raison, la Rambam écrit que si l’un des partenaires d’une cour désire ouvrir une nouvelle fenêtre de sa maison donnant sur la cour, son collègue peut l’en empêcher, car cela lui donne la possibilité de le regarder à tout moment. S’il ouvre une telle fenêtre, il doit la fermer.
Ce principe est aussi à l’origine d’une autre Hala’ha citée dans le Rambam, comme quoi une cour possédée en partenariat qui a été divisée par consentement, chacun des partenaires peut obliger l’autre à se joindre à la construction d’un mur au milieu de la cour, afin que l’un ne voie pas l’autre lors de l’utilisation de la cour. La justification est que les dommages causés par une atteinte à la vie privée sont considérés comme des dommages. Aucun des partenaires ne peut prétendre que c’est un fait établi que la cour est restée sans mur. Et même si la cour est restée de nombreuses années sans séparateur, un des partenaires peut obliger l’autre à se joindre à la construction d’un séparateur quand il le souhaite.
Plus encore nous trouvons, que même lorsque le propriétaire de la cour a construit un mur sous la fenêtre d’autrui, s’il y a moins de quatre coudées entre le haut du mur et la fenêtre, le propriétaire de la fenêtre peut forcer le propriétaire du mur à abaisser le mur afin que le propriétaire de la cour ne puisse pas se tenir debout sur le mur et regardez par la fenêtre. Ou bien, il peut forcer le propriétaire de la cour à construire son mur plus de quatre coudées plus haut que la fenêtre, mais dans ce cas il devra en plus de cela écarter son mur de quatre coudées depuis la fenêtre, afin qu’il ne fasse pas d’ombre sur sa fenêtre.
Renonciation au droit au respect de la vie privée
La question se pose de savoir quelle est la loi d’une personne qui a été porté atteinte par un voisin qui a ouvert une fenêtre devant sa cour, et qui n’a pas contesté immédiatement ?
A cette question, nous trouvons deux opinions parmi les Richonim :
- Selon le premier avis, le propriétaire de la fenêtre acquiert le droit de possession par l’usage, contre le gré du propriétaire de la cour.
- Le deuxième avis prétend que celui-ci peux exiger l’obturation de la fenêtre et de rétablir la situation à son état initial, afin que sa vie privée ne soit pas atteinte.
Le Rambam (7; 6) ainsi que le Choul’han Arou’h (154; 7) tranche comme le premier avis, en écrivant:
Si une personne a ouvert une fenêtre donnant sur une cour appartenant à un collègue et que le propriétaire de la cour a renoncé à son droit de protester, ou qu’il a prouvé sa volonté de consentir, par exemple, en l’aidant dans la construction de sa fenêtre… le propriétaire de la fenêtre aura établi par là son droit à la fenêtre. Le propriétaire de la cour ne pourra venir à une date ultérieure et protester qu’il doit la fermer.
Rambam, lois relatives aux voisins (7; 6)
Le Rama lui, cite l’avis du Rif et de beaucoup d’autres Richonim qui considèrent que concernant les atteintes relatives à la vue, il n’existe aucune possibilité d’acquérir la possession par l’usage.
L’interdiction de regarder et d’observer
Comme nous l’avons évoqué, nombreux sont d’avis qu’il n’y a aucun moyen d’établir un privilège acquis permettant l’ouverture de fenêtre ou de portes pouvant porter atteinte au voisin par la vue et l’observation.
Il est à noter que ceci diffère des autres formes de préjudices, dans lesquels nous tenons que, dans la mesure où le voisin en question est resté silencieux face à une installation nuisible, on considèrera cela comme un renoncement à son droit de manifester, et comme une légitimation de cet aménagement. Il ne pourra alors plus contester pour l’obliger à déplacer l’objet nuisible.
Comment comprendre cette divergence ? Qu’y a-t-il de particulier dans les troubles du voisinage causés par la vue et l’observation ?
Le Ramban explique qu’il n’est possible d’acquérir une possession usagère d’une situation nuisible uniquement concernant des dommages financiers, tels que l’ouverture d’un fossé ou d’un canal d’eau proche du mur d’un autre ni un étang de blanchisseur. Par contre, lorsque c’est le corps de la personne même qui en souffre et en est endommagée, aucune acquisition n’est possible.
De plus, ajoute le Ramban, dans ce type de dommage, il est impossible d’évaluer à l’avance l’ampleur de la gêne et du désagrément occasionnés par lui, et donc le consentement de départ ne peut s’appliquer pour la suite.
Mais le Ramban rajoute à cela une troisième raison, particulièrement intéressante. Il explique que finalement, l’observation et la vue plongeante sur son voisin sont interdites par la Torah indépendamment de l’accord de celui-ci. Et donc, étant-donné que personne ne peut prétendre faire attention et avoir les yeux fermés toute la journée, on pourra l’obliger à fermer sa fenêtre.
C’est-à-dire que, indépendamment du droit civil donnant la possibilité à une personne d’empêcher son voisin de créer des aménagements permettant de voir chez lui, mise à part cela, il existe aussi un interdit de la Torah sur le fait même d’espionner ou d’observer sur la propriété du voisin.
Le vis-à-vis dans les constructions contemporaines
Les bâtiments construits aujourd’hui selon les comités municipaux d’urbanisme et de construction, sont bâtis, en raison de la saturation, de manière où les fenêtres et les balcons sont dirigés souvent les uns en face des autres. Il n’existe presque plus aujourd’hui d’appartements sans vis-à-vis.
La question se pose pourquoi les lois relatives aux dommages visuels ne sont plus prises en compte dans notre société de construction. Pourtant, cela contredit à priori ce qui a été explicitement tranché dans le Choul’han Arou’h ?
Néanmoins, dans les écrits de décisionnaires contemporains nous trouvons plusieurs arguments selon lesquels les lois sur les dommages visuels peuvent être modifiées en fonction de la réalité changeante.
En ce qui concerne la loi de ne pas ouvrir une fenêtre face d’une autre, il se peut que ce préjudice est beaucoup moins important aujourd’hui que dans les temps anciens. Une des raisons à cela est rattachée à l’agencement des appartements d’aujourd’hui, où il est coutume de construire un couloir près de la porte, dans lequel aucune action intime n’est pratiquée (Pithei ‘Hochen nézikin 14; 4).
De plus, dans les temps anciens, les fenêtres étaient très petites et ne fournissaient pas suffisamment de lumière, de sorte que beaucoup laissaient les portes ouvertes pour apporter plus de lumière. Aujourd’hui, il n’est pas habituel de laisser les portes de la maison grandes ouvertes, et les dégâts sont mois flagrants.
Au nom du rav Elyachiv z”l il est rapporté que cette hala’ha concernant les fenêtres changerait aujourd’hui étant donné que celles-ci sont protégées par des stores, et qu’il n’y a donc pas de perte d’intimité dans la mesure où l’on peut vivre son intimité en fermant les stores ou en tirant les rideaux.
Un autre argument est exposé dans le livre Emek Hamichpat (§11, §13), comme quoi nous comptons maintenant sur les paroles de Maharit Tzahlon, qui considère que nous devons suivre la coutume locale même concernant les dommages liés à la vue. Par conséquent, on peut prétendre que chaque personne au moment de l’achat de son appartement accepte à l’avance les dommages de la vue. Il est probable que la raison de cette coutume réside dans le changement de forme de logement ces dernières années. En raison de la multiplicité de la population et de la rareté des terres, on a cessé de construire à chacun une maison privée avec une cour adjacente. On préfère optimiser les terres en rassemblant un maximum d’occupants par morceau de terres.
Cependant à l’échelle individuelle, les tribunaux rabbiniques aujourd’hui statuent généralement à la lumière des règles adoptées dans les anciens décisionnaires, avec une certaine considération de la réalité changeante. Tel est le cas pour les différentes constructions personnelles ou agrandissements avec “permis de construction” délivré par les conseils municipaux. On trouve différentes approches dans les batei-din sur le poids accordé aux autorités municipales, mais généralement ce poids n’est certainement pas absolu, et le tribunal examinera toujours le cas concret à la lumière des règles halakhiques.