Rav Réouven Gabison z”l

Rav Réouven Gabison z”l

Hesped prononcé par son ami, le rav Eliahou Uzan :

Rabbi Réouven était mon élève, mon fils, mon petit frère, mais aussi mon maître.

Il est arrivé en 1973 à l’âge de 12 ans à la rue pavée, depuis il n’a jamais quitté. Avant cela il était au talmud torah des Tournelles et c’est le rav Daniel Gabison qui lui proposa de se joindre à la yechiva de la rue pavée.

Je lui donnais cours le Chabbat et à ce moment-là, nous avons formé un petit groupe. Durant cette période est née une grande amitié et un lien secret et profond entre nous, qui se prolongea jusqu’à présent. Nous étions vraiment inséparables. 

Son arrivée à la yechiva se fit dans les grandes années du Rouv, le rav H.Y Rottenberg zts”l, et ce dernier l’aimait beaucoup. Il fut l’une des graines précieuses qui contribua à l’essor de la rue pavée. 

Très tôt il a pris conscience des responsabilités et il a grandi, et encore grandi en Torah. Il est devenu un véritable géant, le meilleur de tous, le plus profond.

Le verset dit « והיית רק למעלה  – tu seras constamment en haut » (Dévarim 28;13), et les sages s’étonnent « peut-on dire que l’homme sera à la même hauteur que Dieu? », et de répondre « non, du terme “רק” nous déduisons que la grandeur de Dieu restera au-dessus de celle de l’homme » 

Le rav ‘Haim Chmoulevitz z”l fait remarquer que la grandeur de l’homme est tellement élevée qu’il y avait un apriori chez les sages pour se perrmettre de la comparer à celle d’Hachem. Et le rav Chmoulevitz ajoute que même la conclusion des sages ne vient pas diminuer la grandeur de l’homme, mais vient simplement dire que celle d’Hachem est encore au-dessus. 

Cette grandeur était clairement apparente et visible chez rabbi Réouven. Rares sont les hommes d’une telle grandeur, capables d’être aussi rigoureux dans la hala’ha comme on pouvait le repérer dans sa manière exemplaire de faire la che’hita, et à la fois, d’être investi corps et âme, dans l’étude de la Torah et dans sa transmission. Dans tous les domaines il était parfait, et il était un véritable génie dans la Torah.   

Cela ne l’a pas empêcher d’endosser énormément de responsabilités, que ce soit dans le le limoud hatorah, la ché’hita, le séminaire, l’école et encore beaucoup d’autre domaines. Et cela, avec beaucoup de patience et de gentillesse.

Durant une période, j’assistais à tous les cours donnés par les enseignants de la rue pavée. A cette occasion j’avais assisté à ses cours sur parachat Balak, et je me souviens jusqu’à aujourd’hui de sa manière ingénieuse d’expliquer la paracha. J’étais stupéfait de voir le nombre de choses que j’ai pu apprendre dans ce cours. Il savait beaucoup de choses mais il savait surtout les expliquer. Il avait une compréhension profonde des commentaires de la Torah et savait parfaitement la transmettre. 

Rabbi Réouven était un pédagogue hors pair et manifestait une gentillesse exceptionnelle. L’année où j’ai fait mon alya, ma fille Sim’ha a dû rester une année, seule en France. C’est Rabbi Réouven lui-même, la voyant parfois un peu triste, qui s’occupait d’elle comme un père, et il prenait même le temps de la faire réviser.

Le verset dit « יקר בעיני ה’ המותה לחסידיו – c’est dur pour Hachem de tuer ses Hassidim. »  Ce passage a été formulé au sujet de Aharon, lorsqu’est arrivé le moment pour lui de quitter ce monde. Hachem dit à Moché « j’ai honte de lui annoncer sa mort, dis-lui toi…»  Pourtant au sujet de Moché il est dit « עלה בהר הזה ומות – monte sur cette montagne pour y mourir ». Pourquoi concernant Moché, Hachem n’avait pas “honte” de lui annoncer sa mort comme pour Aharon.

Le rav Chmoulevitz explique ainsi: Aharon ne s’est jamais plaint. Même lorsque Hachem a décrété qu’il ne rentrerait pas en Israël, Aharon accepta sans rien dire. Moché quant à lui, s’est battu et a supplié Hachem par 515 prières, il a négocié. Face à une personne qui se bat et qui négocie, on réplique franchement, mais à Aharon qui a toujours tout accepté, on ne peut lui parler ainsi.

Lorsque Kora’h a revendiqué pour lui la Kéhouna devant Moché et Aharon, il est écrit « וישמע משה ויפול על פניו , Moché est tombé sur sa face ». Il n’est pas écrit « ils sont tombés..», car Aharon a dit à Kora’h qu’il avait raison et qu’il n’était effectivement pas mieux que Kora’h. Cette vertu de atsilout hanefech (noblesse) qui était propre à Aharon fit en sorte que Hachem avait “honte” de lui annoncer sa mort.

HKBH a certainement dit « j’ai honte d’annoncer à Réouven qu’il va mourir »

Car à l’image de Aharon, Rabbi Réouven était un homme qui était toujours là où Hachem lui a dit d’être. Il n’a jamais négocié, ne s’est jamais plaint.

L’un des domaines où l’on reconnait un homme, c’est dans la qualité de ses choix. Le Rouv zts”l m’a dit une fois que la plupart des gens fuient les responsabilités. Je peux témoigner que rabbi Réouven n’a jamais fui aucune responsabilité qui s’est présentée à lui, il a toujours fait ses choix lechem chamaïm. Chaque fois qu’il a estimé qu’il devait prendre sur lui une certaine responsabilité, il s’est engagé. 

Là où il était, c’était le meilleur, combien il savait expliquer, combien il savait transmettre, combien il savait individuellement s’occuper de chaque personne et lui consacrer du temps. 

Depuis le décès du Rouv zts”l, notre Kéhila a reçu un bon nombre de coups. Nous avons perdu prématurément des personnes chères, il y’a eu des naissances difficiles…  On a reçu des coups et on s’est plus ou moins remis. Mais le coup que nous recevons aujourd’hui est unique, car c’est notre couronne qui a été jeté à terre, la couronne des Mossdot, Rabbi Réouven était le Gadol de notre communauté. Où nous trouvons un homme sans faille animé d’une telle dimension de crainte du ciel, de grandeur dans la Torah, doté de vertus exceptionnelles et porteur d’autant de responsabilités.

Il avait un mental incroyable et ne renonçait devant rien. Il y’a 9 ans exactement, il a été littéralement massacré par des voyous dans la rue, et il fut grièvement blessé et extrêmement affaibli. Me souciant de lui et de son état de santé, je lui disais sans cesse de renoncer à telle ou telle responsabilité, mais il ne voulait rien savoir. Le Chabbat qui suivit, il n’a pas renoncé à venir à la Choule malgré son état dramatique, même si cela lui demandait de monter 5 étages à pied. 

Comme je disais au début, Réouven était mon premier élève, il avait alors 12 ans et moi 17 ans. Je l’ai considéré comme mon talmid, comme mon fils et comme mon petit frère. Mais d’un autre coté j’avais envers lui un grand kavod, j’avais honte de lui parler, non seulement il m’a dépassé ce qui est évident, mais il est devenu un géant et d’une tellement grande profondeur. 

Je me souviens quand je lui parlais dans mes derniers voyages, je ne pouvais plus être naturel et lui mettre la main sur l’épaule comme à un ami, car je le voyais alors comme mon rav… j’avais un immense respect pour lui.

Je l’observais et j’adorais le voir. J’aimais le voir le chabbat donner son cours après le kidouch, il était très beau et très lumineux.

Suite à la disparition des 10 tribus, le prophète ‘Amos s’est écrié “נפלה ולא תוסיף קום בתולת ישראל – l’ampleur du désastre ne sera réparé qu’à la délivrance finale”. Ce cri de désespoir est aussi un cri d’espoir, car on ne frappe un homme à terre que si c’est le dernier coup pour ensuite le relever.

Comme a dit rav Elie Charbit: “comment va-t-on faire sans Réouven?”. Un profond désespoir règne dans la communauté, mais l’ampleur d’un tel désastre est le signe d’une guéoula très proche. Et il est certain que malgré sa grande modestie, Rabbi Réouven saura plaider auprès d’Hachem pour le bien-être de la Kehila.

Qu’Hachem lui ouvre les portes dans le ciel pour l’accueillir avec tous les Tsadikim, Amen.