Chavouot – Pourquoi devoir accepter la Torah sous la contrainte ?

Chavouot – Pourquoi devoir accepter la Torah sous la contrainte ?

Quelle grandeur d’avoir accepté la Torah de force ?

Nos sages (Chabbat 88a) apprennent du passouk “et ils se tinrent aux pieds de la montagne” (Chemot 19; 17) que Hachem a tenu la montagne au-dessus de la tête de Bnei Israel, en leur disant : “si vous acceptez la Torah tant mieux, et sinon, ici sera votre tombeau !”.

L’on peut légitimement s’interroger sur la raison pour laquelle il fallait que la Torah soit acceptée sous la contrainte, alors qu’il paraît évident qu’une adhésion de plein gré soit préférable ?

Les Tossefot soulèvent également une autre question, à partir du fait bien connu que les Bnei Israel ont annoncé dès le début leur intention d’accepter la Torah en affirmant “נעשה ונשמע – nous ferons et nous écouterons”. Dès lors, pour quelle raison fallait-il donc les forcer ? Et Tossefot de répondre qu’ils risquaient de changer d’avis en voyant le feu céleste qui était présent au moment du don de la Torah. Mais le Maharal (Tiferet chap 28) objecte que dans ce cas, l’on comprend difficilement quel est le mérite d’avoir accepté avec pour seule alternative la mort !?

L’origine d’une grande excuse…

Dans le même passage, Rav A`ha bar Yaacov estime que “le fait que le peuple ait accepté de force nous donne une grande excuse”, c’est à dire comme l’explique Rachi que “si l’on vous juge pour ne pas avoir accompli les préceptes que vous avez accepté, vous pourrez invoquer la contrainte inhérente à cet accord” pour vous dédouaner.

Ici aussi, l’on peut s’interroger sur l’utilité de cette excuse. Car si la menace existe, à quoi peut-il bien servir d’invoquer l’absence de réelle adhésion. Comment le tombeau placé sur la tête de celui qui n’accepte pas la Torah peut-il servir à la fois d’échappatoire à celui qui, une fois l’avoir acceptée, n’en réalise pas les commandements !? N’est-ce pas paradoxal ?

La seule explication possible est qu’il existe justement une distinction entre le fait d’accepter la Torah et celui d’en suivre la voie. La coercition exercée au mont Sinaï avait pour seul objet le fait qu’Israel accepte la Torah, non d’imposer son accomplissement par la suite.

Il y a donc une finalité dans l’acceptation en soi, qu’il nous faut expliquer.

Une nouvelle dimension

Au temps du Beth Hamikdach, l’on apportait à Chavouot une offrande spéciale avec du blé de la nouvelle récolte (Vayikra 23; 16). Cette nouveauté symbolise le fait qu’Israël, lui aussi, s’est transformé en une nouvelle entité en acceptant la Torah, accédant par là à une dimension inédite. Auparavant, ils étaient associés au monde matériel et sous l’emprise de la nature, c’est pourquoi nous apportons pendant cette période du Omer une offrande d’orge, nourriture grossière pour bestiaux. Avec le don de la Torah, ils ont pris la pleine dimension d’Hommes, et c’est pourquoi nous commençons à apporter des offrandes de blé, nourriture réservée aux humains.

Par ailleurs, nos sages (Avoda zara 3a) établissent un parallèle entre le 6e jour de la création, où fut créé l’Homme, et le 6 Sivan, jour du don de la Torah. La raison est que le don de Torah est venu compléter la création de l’Homme, lui permettant d’accéder à son véritable statut. Comme l’exprime le Talmud (Yebamot 61a), “vous seuls êtes appelés Adam, contrairement aux nations”. Tout cela est le résultat de Matan Torah !

Pour cette raison également, nous ne comptons pas le 50e jour dans les jours du Omer, car ce jour est totalement distinct des autres. En ce jour, les Bnei Israel se sont élevés au-dessus des lois de la nature, affranchis du Yetser Hara et même de la mort. Il n’est donc pas possible de compter ce jour avec ceux qui précèdent, qui ne sont qu’une préparation à ce changement radical.

Peut-être est-ce également la raison pour laquelle la Torah ne précise nulle part que la fête de Chavouot correspond au jour de Matan Torah, car le don de la Torah est au-delà de toute dimension temporelle, et ne peut par conséquent être relié à une date.

Cette dimension supérieure que nous avons acquise au moment du Matan Torah est ce qui nous distingue des autres nations. Le Midrach rapporte qu’avant de donner la Torah à Israel, le Maître du monde la proposa aux nations, qui lui demandèrent « qu’est-il écrit dans cette Torah ? ». Hachem leur fit alors part de l’interdit de tuer. Ils répondirent « Maître du monde, toute la nature de leur père était de tuer. C’est à son sujet qu’il est dit “les mains sont celles de Essav”, et c’est ainsi que Ytshak a béni Essav, en lui disant “tu vivras par ton épée” ! ».

Comment comprendre une telle réponse lorsqu’on sait que les nations sont astreintes aux sept mitsvot des Bnei Noah, dont l’une d’entre elles consiste justement à ne pas tuer ?

A partir de ce qui a été dit, la réponse semble évidente. Il est vrai que les nations ont été prescrites de sept commandements, mais malgré tout, il existe une différence avec les mitsvot données au Matan Torah. Ces dernières font partie d’une structure nouvelle qui transcende la nature, et s’affilient par essence au Peuple Juif qui se distingue des nations par ses midot, et se trouve plus distancié du crime, du vol et autres fautes. Les nations n’étaient pas en mesure d’accepter ce principe, même si dans les faits, elles sont capables d’accepter superficiellement ces interdits.

Nous comprenons de tout cela qu’au moment du Matan Torah, Israël n’a pas simplement reçu un « paquet » d’interdits et d’obligations. C’est dans son essence même qu’il fut transformé pour accéder à une dimension qui surpasse la nature. Cette stature est ce qui l’astreint à l’observance de toutes les mitsvot, car le manquement à l’une d’entre elles correspond à une carence de cet état privilégié.

L’on ne peut changer d’essence que contraint et forcé !

Nous pouvons à présent comprendre pour quelle raison il fut nécessaire d’imposer la Torah par la force. Étant donné qu’il s’agissait d’accéder à une réalité différente, ils ne pouvaient véritablement accepter ce nouvel état dont ils n’avaient aucune perception ni compréhension. Seule la contrainte pouvait convenir ici.

C’est uniquement une fois qu’ils ont accédé à ce statut qu’ils furent en mesure de l’accepter de plein gré cette fois, ce qui se passa du temps de Achachvéroch, comme l’enseigne Rava (Chabbat 88a).

Les fautes ne font plus partie de l’essence de l’homme

D’après ce que nous avons expliqué, l’excuse que nous confère le fait d’avoir été contraints d’accepter la Torah sous la menace peut s’interpréter différemment.

En effet, la nécessité de recourir à la force ne venait pas d’un manque de volonté de la part du peuple, mais bien pour les faire accéder à cette nouvelle dimension. Puisque comme nous l’avons vu, la finalité de Matan Torah n’était pas d’accepter une compilation de lois et de commandements, mais bien d’élever l’homme d’un état quasi bestial à un niveau proche des anges.

Depuis ce moment, lorsque l’homme trébuche et faute, même si de toute évidence il reste l’auteur de ses actes, ses méfaits ne feront pas partie intégrante de son être pour autant, car son essence est désormais largement au-dessus des erreurs que son mauvais penchant peut lui faire commettre.

Ainsi peut-on comprendre les paroles du Talmud Yerouchalmi, qui explique qu’il n’y a pas de sacrifice expiatoire à Chavouot car le fait d’avoir accepté la Torah a expié leurs fautes. Le sens de ces propos est qu’une fois avoir accepté la Torah, les fautes qu’ils peuvent commettre ne font plus partie de leur nature et ne se rattachent plus à leur être.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.