Nitsavim Vayelekh – L’art de se fondre dans la foule

Nitsavim Vayelekh – L’art de se fondre dans la foule

Une alliance du collectif à l’individuel

Dans notre paracha, nous sommes témoins de l’alliance scellée entre l’Éternel et l’assemblée d’Israël. Certes, la Torah s’est déjà longuement penchée dans la paracha précédente sur l’alliance formée dans les plaines de Moav. Mais dès l’ouverture de notre paracha, une dimension plus profonde de cette alliance se dévoile. Moché rassemble le peuple et déclare : « Vous vous tenez tous debout ». Par ces mots, il souligne que l’alliance n’est pas seulement conclue avec chaque individu, mais qu’elle revêt une dimension collective, illustrant la responsabilité partagée de chacun d’entre nous en tant que membre de la communauté.

Cependant, une question se pose : pourquoi est-il nécessaire de détailler ensuite « vos chefs, vos anciens, vos préposés et tout homme d’Israël » ?

Il semble que le fait même que l’alliance soit collective engendre un risque nécessitant de souligner la responsabilité personnelle de chacun. En effet, lorsque l’alliance est scellée au niveau communautaire, il pourrait survenir une situation où chaque individu pense que la responsabilité de l’alliance incombe uniquement à la collectivité, et non à lui personnellement.

« Tout ira bien pour moi ! »

Ce danger apparaît dans les paroles de la Torah qui décrivent plus loin une personne qui, après avoir entendu les malédictions de l’alliance, se dit en son for intérieur : « Tout ira bien pour moi, ces malédictions ne m’atteindront pas ». Ce phénomène, que la Torah qualifie d’« obstination du cœur », n’est autre que le reflet d’un adage populaire : « Cela ne m’arrivera pas », traduisant un optimisme naïf qui constitue, en réalité, un puissant mécanisme de déni. Qu’est-ce qui pourrait amener une personne à se sentir si sûre d’elle-même, comme si elle était immunisée contre les conséquences qui se trament autour d’elle ?

Le Gaon de Vilna explique dans son ouvrage “Aderet Eliyahou” que le phénomène d’« obstination du cœur » mentionné dans notre paracha découle du sentiment que les paroles s’adressent uniquement à la collectivité, ce qui conduit l’individu à se sentir en dehors du cercle de responsabilité. Contrairement aux malédictions de la paracha Beh’oukotaï, qui furent prononcées pour chaque individu séparément, dans notre paracha, les malédictions sont transmises à l’ensemble d’Israël comme entité. Ce sentiment que D-ieu s’adresse à tous mais pas à chaque individu pourrait engendrer une indifférence personnelle.

C’est l’un des messages centraux de notre paracha, qui souligne l’importance de la responsabilité incombant à chaque membre d’Israël en tant que partie intégrante du collectif. Une personne pourrait se convaincre que le fait que le peuple dans son ensemble fonctionne et soit moral lui donne la légitimité d’agir avec « obstination du cœur ». Elle se dirait : « Je ne suis qu’un petit individu, qu’arrivera-t-il si j’arrondis quelques angles ? » C’est pourquoi la Torah avertit : « L’Éternel ne consentira pas à lui pardonner ; car alors la colère de l’Éternel et son indignation s’enflammeront contre cet homme ». Même si le public ne sait pas comment réagir, l’Éternel ne lui pardonnera pas. Une personne ne peut se cacher derrière la collectivité. L’Éternel la distinguera en mal parmi toutes les tribus d’Israël, et veillera à ce que sa malédiction soit claire et manifeste.

Un peuple qui fait résonner les générations d’une seule voix

La collectivité d’Israël, telle que Moché nous la révèle, offre une profondeur supplémentaire. Il ne s’agit pas seulement de la dimension du lien entre les individus, mais aussi de celle du lien entre les époques. L’alliance conclue dans les plaines de Moav souligne l’engagement de toute la nation à travers les générations, comme il est dit : « Tant ceux qui sont ici présents aujourd’hui devant l’Éternel notre Dieu, que ceux qui ne sont pas ici avec nous aujourd’hui » (29:14).

Moché nous enseigne que chaque membre de la nation doit être conscient de l’histoire de son peuple, comprendre les réalisations des générations précédentes, et préserver les valeurs et la sagesse qui nous ont été transmises. Ainsi se construit la compréhension que notre lien avec le passé et l’avenir est une partie intégrante de l’identité juive.

Si nous observons notre histoire, nous verrons que les générations précédentes ont relevé des défis immenses et ont porté le lourd fardeau de la préservation de l’identité juive et de ses valeurs. Chacun d’entre nous se doit d’honorer leurs efforts, et de s’assurer que nous n’effaçons pas leur empreinte, mais que nous la faisons vivre à travers nos actes. De même, nous devons être conscients que nos actions n’influencent pas seulement nos propres vies, mais aussi celles des générations à venir. Chaque action, chaque choix, peut servir de pont entre le passé et l’avenir, et il est de notre devoir de construire ces ponts grâce à une compréhension profonde de notre histoire.

À titre d’exemple, on peut citer l’histoire du règne de Re’havam, fils de Chelomo. À la mort du roi Chelomo, son fils Re’havam lui succéda. Chelomo avait bâti un État magnifique, mais avait également imposé lourdement le peuple pour financer ces constructions. Lorsque ce dernier s’adressa à Re’havam en lui demandant d’alléger leur fardeau, il demanda trois jours pour réfléchir à la requête. Il consulta les anciens, qui estimaient qu’il fallait accéder aux demandes du peuple ; mais il se tourna ensuite vers ses jeunes amis, qui lui conseillèrent d’alourdir encore plus les impôts. Re’havam choisit de les écouter, ce qui conduisit à une révolte. Ainsi, au lieu de saisir l’occasion d’unifier le pays, il provoqua son schisme en deux royaumes : Israël et Juda.

Le manque de responsabilité de Re’havam, dans le sens où il ignora l’expérience et la sagesse des générations précédentes, conduisit à la perte de l’unité et de la force du peuple d’Israël. Au lieu de poursuivre dans la lignée de Chelomo qui avait apporté stabilité et prospérité, il choisit une voie qui mena à des guerres internes.

« La passion assouvie entraînerait celle qui a soif ! »

Voici qu’après cette description de Moché de la possibilité qu’un homme se dise « tout ira bien pour moi et que m’importe les autres », apparaît un verset dont le mystère a suscité de nombreuses interprétations : « et alors la passion assouvie entraînerait celle qui a soif ».

Dans le contexte dont nous avons parlé, on peut comprendre « la passion assouvie » comme un symbole du peuple entier marchant dans le bien, qui pourrait couvrir « celle qui a soif », c’est-à-dire cet individu qui commet de mauvaises actions et néglige le bien public. Mais cette semaine, j’ai entendu une interprétation intéressante et particulière proposée par un guide lors d’une excursion dans la nature.

L’Histoire d’un parasite qui tue son hôte et se perd lui-même

Dans le monde végétal, il existe différents types de plantes, y compris des plantes parasites qui dépendent d’autres plantes pour leur survie. Par exemple, on peut rencontrer dans le désert de l’Arava une plante appelée Plicosepalus acaciae

qui est un exemple de plante parasite, sans racines dans le sol, et qui puise son eau et ses nutriments à travers des radicelles qu’elle envoie dans un arbre hôte, généralement un Acacia.

Ce végétal est très vert et gorgé d’eau, ne ressemblant pas du tout à une plante désertique. Après tout, il prend l’eau de l’Acacia, alors que lui importe-t-il ? En revanche, l’Acacia est beaucoup plus « assoiffé ». Il investit dans des racines profondes et a des feuilles économes pour ne pas perdre d’eau. Mais que se passe-t-il après quelques années où le parasite tire et boit sans compter à partir de l’Acacia ? Il grandit tant et si bien qu’il finit par recouvrir l’Acacia, que finalement il tue tout simplement. Et que se passe-t-il quand l’Acacia meurt ? Le parasite meurt aussi avec lui.

Quelle merveilleuse façon d’interpréter le sens du verset : « La passion assouvie ‘Sefot (entraînerait) celle qui a soif ». On peut proposer que ‘Sefot’ provient de la racine ‘Sof’, qui signifie fin et anéantissement. C’est-à-dire que le parasite gorgé d’eau amènera la fin de l’existence de l’Acacia assoiffé. La fin de cette plante qui tue l’Acacia et meurt avec lui devient une parabole qui montre le prix terrible que toute la société paie quand les gens disent « je suivrai l’obstination de mon cœur ».

En guise de conclusion

Nous pouvons comparer le peuple d’Israël à un arbre touffu, où chaque brindille et chaque feuille tirent leur nourriture des racines. Cependant, il faut se rappeler que même la plus petite feuille a un effet renouvelé sur les racines de l’arbre. Il se peut que la petite feuille soit capable de changer ou de capter quelque chose de nouveau, améliorant ainsi le flux interne au sein de l’arbre.

Lorsque nous agissons par pur désir personnel, sans tenir compte des besoins et des valeurs de la société, nous risquons d’amener la destruction sur nous-mêmes et sur les autres, comme l’enseigne l’exemple du parasite de l’Acacia.

Un autre exemple de cela est les situations de guerre, où le courage et la résilience de chaque combattant sont essentiels au succès de la lutte. Le Rambam nous avertit que la peur peut conduire à un échec collectif, et donc quiconque essaie de fuir paie un lourd tribut – on lui coupe les jambes. Nous devons reconnaître que nous avons une lourde responsabilité, et nous ne pouvons pas laisser les efforts des autres être vains.

Avec l’arrivée des jours de Roch Hachana, nous sommes appelés à réfléchir à l’ampleur de notre responsabilité. Regardons au-delà du moment présent et songeons à la puissance de l’influence que nous avons sur tout le peuple d’Israël. Connectons-nous à toutes les générations – à ceux qui ont donné leur vie pour nous, et à ceux dont l’avenir dépendra de nos actions aujourd’hui.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.