Bechala’h – Être Lui-Même

Bechala’h – Être Lui-Même

Le point culminant de la Sortie d’Egypte fut la Déchirure de la Mer des Joncs. Ce passage, relaté dans notre Paracha (Exode 14,21), est cité de nombreuses fois dans notre Tradition, joint à la Mort des Premiers-nés égyptiens, pour décrire la Délivrance d’Egypte en général. (Voir dans les Psaumes et dans la prière en général)

Il y a lieu de méditer sur la particularité de cet épisode et de sa distinction par rapport aux Dix Plaies.

Après la traversée, le Texte retranscrit le « Chant de la Mer », ce cantique que Moché et les hommes d’Israël ont entonné sous l’inspiration divine à la suite de ce sauvetage miraculeux.                                       

Dans les premiers vers (idid. 15,2), une expression méritera l’intervention de nos commentateurs pour l’interpréter ; « Zéh Eli VéAnvéhou », traduit généralement par « Voici mon D.ieu et je Lui rendrai hommage » (cf. la Traduction dite de Yonathan Ben Ouziel et celle de Jérusalem).                                     

Mais ce terme, Anvéhou, est assez étrange. Quelle peut être sa racine ?

  • Rachi ainsi que Rachbam nous indiqueront que ce mot a pour origine la ‘Beauté’, Noy en hébreu, qui s’expliquerait comme ‘Je relaterai aux vivants de ce monde Sa beauté et Sa louange’, dans le sens d’honorer le Saint-béni-soit-il.
  • La Traduction d’Ounkelos, le Ibn Ezra et le Sforno quant à eux comprennent ce mot comme venant de Nawé en hébreu, signifiant une ‘demeure’. Le sens du verset serait donc ‘Je lui bâtirai une résidence’, un sanctuaire où Il pourra y séjourner.

Le Talmud , cependant, commentera cette expression en la sortant de son sens littéral. Il enseignera :

« Zéh Eli VéAnvéhou » – Embellis-toi devant Lui dans ton accomplissement des commandements positifs ; Une belle Souka, un beau Loulav, un beau Chofar, un beau Tsitsit, un beau Sefer Torah […]

Abba Shaoul dit : « VéAnvéhou » – Soit ressemblant à Lui. (Rachi explique que ce mot est en réalité une contraction de ‘Ani VéHou’, signifiant ‘Moi et Lui’. Son sens sera donc ‘Je rendrai mon Moi comme Lui, en me collant à Ses attributs’.)   Comme Lui est compatissant et miséricordieux, ainsi, Toi, soit compatissant et miséricordieux.

(Chabbat 133b)

Une nouvelle étymologie de ce mot vient de ce fait rejoindre les deux autres ; il serait intéressant de réfléchir sur le lien possible entre ces trois racines, quel rapport peut-il y avoir entre la beauté, la demeure, et l’envie de rendre le Moi en Lui ?

L’évènement de la Traversée de la Mer ne fut pas la « Onzième plaie », un procédé pour punir les Egyptiens de façon définitive. Il fut au contraire une manifestation intime du Sauveur envers Son peuple sauvé. Nos Sages (Mekhilta DeChira 3) décrivent l’intensité du dévoilement divin lors de la Traversée de manière très forte, en des termes dépassant notre entendement : « Une servante dans la Mer vit ce que ne vit Ye’hzkiel fils de Bouzi » !  D’où l’utilisation du déterminant démonstratif pour désigner le Divin : « Zéh Eli », littéralement « Ceci, est mon D.ieu ».

Certes, en Egypte, la Main de D.ieu, c’est-à-dire Sa manifestation dans notre monde, fut visible. Nahmanide (dans son commentaire fameux à la fin de la Paracha de ) s’allongera sur la conscience acquise du peuple hébreu lors des Dix Plaies, des concepts qui définissent notre idée de D.ieu depuis leur époque jusqu’à la nôtre. Il est Créateur, Superviseur et Capable. Le souvenir de notre délivrance nous permit de conserver notre foi intacte à travers les générations, et le Sens de la Naissance de notre peuple amena cette Connaissance vers la Reconnaissance, cette gratitude éternelle envers notre Sauveur.

La Traversée, quant à elle, appartient à une autre dimension. C’est notre relation personnelle avec le Saint-béni-soit-il qui est mis en exergue, la révélation que le Créateur est « Mon D.ieu ».                   

Dans nos prières quotidiennes, la mentionde l’Ouverture de la Mer suit toujours la Lecture du Chéma’ du matin et du soir. Les qualificatifs désignant les Enfants d’Israël dans ces mentions hebdomadaires sont très significatifs des sentiments profonds et intimes qui nous unissent à Lui. 

« Celui qui fit passer Ses Enfants entres les débris de la Mer des Joncs’, ‘Ton règne, Eternel notre D.ieu, Tes Enfants le virentsur la mer ».                                                                    

Prière du Soir

« De cela les Aimés louèrent et exaltèrent D.ieu, les Favoris Lui attribuèrent des chants, des cantiques et des louanges ».

Prière du Matin

Si nous sommes devenus Ses serviteurs en quittant l’esclavage égyptien, nous devinrent Ses enfants, Ses êtres aimés, Ses favoris lors de la Traversée de la Mer. C’est la différence fondamentale entre les Dix Plaies et l’Ouverture de la Mer.

Ainsi, contrairement aux Plaies qui les épargnèrent sans aucun mérite de leur part, la Mer s’ouvrit grâce à des mérites particuliers. Que ce soit celui de Yossef, qui fit fuir la Mer (à l’image de sa propre fuite devant la tentation), ou celui de Na‘hchon fils d’Aminadav, qui pénétra les eaux jusqu’à sa limite, il fallait l’intervention humaine pour déclencher le miracle. La prière elle-même, qui servit à provoquer la vengeance divine envers Pharaon et son peuple, se retrouva inefficace devant l’immensité bleue…

Une condition semblait donc obligatoire pour être sauvé des égyptiens non seulement physiquement, mais également mentalement : Le Don de Soi. En hébreu, ce terme est décrit comme la « Messirout Nefech », littéralement « la Transmission de l’Esprit ». Le Nefech correspond à l’esprit des choses, au plus proche de la matière. C’est celle qui anime les Vivants, les rend en vie. Elle est commune aux hommes comme aux animaux. (La Néchama, l’Âme, elle, est spécifique aux gens de notre peuple, ainsi que le Roua‘h, le Souffle.) Transmettre son esprit revient à donner sa nature primaire et triviale, à l’abandonner, révélant ainsi une profondeur d’âme, et une essence plus spirituelle.       

Pour Yossef, le renoncement à ses pulsions et la décision de s’enfuir exprimera en lui le titre de Tsadik, de Juste. Pour Na’hchon, cela révéla une âme de Nassi, de Prince.

Nous pouvons donc affirmer que le passage d’Êtres libres à des Fils Aimés devait faire suite à un changement profond dans l’essence de tout le peuple. C’est pourquoi le don de soi était si important, il fallait changer d’essence grâce à une élévation de soi.   

Voir non seulement le Divin, mais ressentir Son amour débordant, le peuple hébreu l’a expérimenté dans ce passage. « Zéh Eli VéAnvéhou » est l’expression de cette vision et de ce ressenti. Les conséquences de cette expérience nous sont dévoilées dans ce terme polyvalent.                                                  

A ce moment, les Enfants d’Israël ont voulu conserver à jamais cet Amour, et décidèrent d’ériger une Demeure qui sera l’expression parfaite de cette affection. Ce sera le but du Temple, ce lieu où la Présence Divine résidera parmi les Hommes et poursuivra l’intensité de cette relation.  

Mais cette filiation ne peut être restreinte géographiquement, elle s’exprime aussi au niveau du service divin. Nul ne pourra comparer un service dû à une crainte révérencielle au service poussé par l’amour. Il est vrai que celui dirigé par le respect et la crainte transgressera moins d’interdits, mais celui dicté par la passion pratiquera son service de la manière la plus belle est la plus noble qui soit. C’est en cela que le Talmud rapporte de ce passage la beauté requise dans l’accomplissement des préceptes divins. Ressentir le désir divin nous pousse à vouloir Le servir de la plus belle des manières.

Enfin, savoir que l’on est aimé nous pousse à vouloir ressembler à celui qui nous aime, et par cela à intérioriser notre relation. A l’image de l’enfant voulant à tout prix imiter son père aimant, et adhérer aux mêmes valeurs que les siennes, les Hébreux, percevant la tendresse de leur Créateur, décidèrent de reproduire à leur échelle les valeurs divines et de les greffer à leur nature. Changer le Moi en Lui est la plus belle preuve d’approbation et d’acceptation de ce sentiment que l’Autre a pour Moi.

Mais de même que l’enfant ainsi inspiré restera toujours une personnalité à part entière, on ne parle pas ici d’occulter sa nature et d’annuler son Moi, mais au contraire de préserver son identité tout en s’inspirant des valeurs de l’Autre ; c’est l’osmose par excellence. Ainsi l’expression met d’abord le Moi en avant, mais changé et adapté en fonction de Lui : ‘Moi et Lui’.  

Nous découvrons la trame derrière ce terme ; la découverte de l’amour paternel de notre libérateur.

Vouloir le concrétiser, à travers un Service empli de splendeur, le fixer dans l’espace, à travers la construction du Tabernacle et l’intégrer dans son Moi, à travers une inspiration de Ses Vertus, telles furent les effets de cette perception.

Redécouvrir l’amour que D.ieu nous porte pourrait-être le point de départ d’une nouvelle profondeur dans notre relation à Lui, nous permettant de nous construire et devenir meilleur…

About The Author

Ancien élève de Gateshead et de la Yéchivat 'Hevron, il est l'auteur entres autres d'un essai sur l'adolescence à travers le prisme de la Torah. Etudiant à plein temps du Kollel, il se spécialise dans 'Hochen Michpat.