Association avec un non-juif pour l’achat d’un terrain, et acquisition par un acte d’idolâtrie

Association avec un non-juif pour l’achat d’un terrain, et acquisition par un acte d’idolâtrie

Question :

Ya’acov a décidé d’acheter un terrain en Afrique de l’Ouest. Pour cela, il s’est associé à un non-Juif africain qui s’est lui-même chargé de la procédure d’acquisition. A la surprise de Ya’acov, l’accomplissement de l’acquisition fut produit par un acte peu commun dans notre civilisation. En effet, ils coupèrent une bête en deux pour ainsi aboutir à la transaction entre le vendeur et les acheteurs. Apparemment il s’agirait d’un rite typiquement africain, indispensable pour finaliser une transaction immobilière, sans quoi aucune vente ne peut être conclue.

Plusieurs questions sur ce cas nous sont parvenues :

  1. Quelle serait la loi de ce terrain concernant le respect du Chabbat ? Un quelconque profit durant ce jour serait-il interdit ?
  2. A première vue, le fait de couper une bête en deux s’apparente à un acte d’idolâtrie. Y aurait-il un interdit pour Ya’acov d’avoir pris part à un tel rituel ? (À la suite de cela, Ya’acov prétend qu’il ne compte pour sa part aucunement à ce rituel, ce qu’il a acquis est uniquement son inscription à l’écrit et la direction des terrains.)
  3. Cet acte local correspond-il à un acte d’acquisition selon la Halakha, et est-il efficace pour l’inclure dans la transaction ?

Réponse :

Vu la complexité du sujet, il est évident que nous ne donnons ici que les généralités, chaque cas contenant des subtilités qui lui sont propres. Il faudra donc préciser avec le plus grand soin à une autorité compétente les différents détails du contrat et de l’association, ainsi que la description précise du cas en question.

La règle concernant le respect du Chabbat

En ce qui concerne le Chabbat, s’ils ont conclu entre eux au moment du contrat que les bénéfices du jour du Chabbat sont totalement au non-Juif et qu’en contrepartie ceux du dimanche (par ex.) reviennent totalement au Juif, il n’y aura aucune interdiction, comme il est tranché dans le Choul’han ‘Aroukh (245,1).

Dans le cas où ils n’ont rien conclu, selon le Choul’han ‘Aroukh, seul le non-Juif aura droit aux bénéfices du Chabbat, alors que pour le Rema il n’y a aucune différence. On considère en effet cette clause (à savoir que les bénéfices du Chabbat sont pour le non-Juif et ceux du dimanche pour le Juif) comme étant sous-entendue automatiquement, surtout dans un cas de grande perte.

Mais il est important de souligner, ainsi que le précise le Rema, que tout cela est vrai uniquement dans le cas où le partage de l’association est de sorte que chacun a droit à son jour particulier sur le champ, mais dans le cas où les deux travaillent ensemble toute la semaine, et que le Chabbat seul le non-juif travaille, ils pourront partager la totalité des bénéfices, car le non-Juif travaille Chabat pour lui-même, sans en être obligé.

Cependant, un deuxième problème est soulevé dans la Halakha : Celui de Marhit ‘Ayin. Les gens viendront à penser que le Juif fait travailler son champ pendant le Chabbat.

Mais ce problème ne concerne que l’employé. Au sujet de l’associé, il sortirait des dires des décisionnaires que du fait que le non-Juif possède également une propriété effective sur le terrain, aucun risque de relier les travaux effectués durant Chabbat au Juif.

En dehors de cela, il est évident que cet interdit n’existe seulement dans la mesure où nous pouvons reconnaitre l’identité du propriétaire, et que les habitants de l’endroit sont juifs. C’est pourquoi il semble évident que ce problème n’aura pas lieu en Afrique.

Il ressort que dans notre cas, pour Ya’acov qui est Achkenaze et qui à l’habitude de suivre les décisions du Rema, il n’y aura aucun interdit.

L’acte du non-juif valide aussi l’acquisition de Ya’acov

Concernant l’acte d’acquisition, des mots du sujet il semblerait que la conscience effective de la transaction (ou Guemirout Da’at) ne s’accomplit qu’au travers de la découpe d’une bête. Apparemment, cela s’apparenterait à un acte d’acquisition. Cela fonctionnera comme la loi de Sitoumeta qui considère juridiquement l’usage des commerçants locaux. En effet, toute coutume locale concernant la mise en application des transactions a la force d’un acte d’acquisition (Cf. ‘Hochen Michpat 201). Ce procédé concerne également les non-Juifs, comme indiqué par les A’haronim (Yoré Dé’a 320).

Même si Ya’acov prétend ne pas vouloir de cet acte, l’initiative du non-Juif servira pour Ya’acov, du fait de leur association dans le contrat. Nous trouvons ainsi au sujet de deux associés qui ont prêté à un seul homme que selon l’avis du Chakh (77,19) chacun pourra pardonner entièrement la dette. Si le fait de pardonner sur la part de son associé est possible, a fortiori la possibilité d’acquérir pour l’autre est envisageable. Même selon le Netivot HaMichpat et le Toumim qui s’opposent au Chakh nous pouvons continuer à penser ainsi. En effet, cette divergence d’opinion ne concerne que le pardon (qui est en détriment de l’associé), en revanche dans le cas où il faut effectuer une acquisition (qui est profitable aux deux protagonistes), même si l’autre aurait préféré un autre procédé, il semblerait que tout le monde s’accorderait à permettre à l’un de faire profiter aux deux.

En ce qui concerne la Avoda Zara – Idolatrie

Sur la question sur l’idolâtrie, il faudrait clarifier exactement de quel rituel parle-t-on. A première vue, il semblerait que cela ne dépend aucunement de l’idolâtrie, mais plutôt une finalisation de l’acquisition.

Mais le peu que j’ai pu vérifier sur cette étrange coutume, j’ai pu constater que le concept de propriété en Afrique diffère du nôtre d’un point de vue philosophique. Selon cette nation, l’homme n’est pas vraiment détenteur du terrain, il possède uniquement la possibilité d’utilisation grâce à ce sacrifice. Selon cette vision des choses, cela s’apparenterait certainement à de la ‘Avoda Zara…  Malgré tout, Ya’acov ne transgressera aucune faute. En réalité, il ne s’associe aucunement à ce rituel mais plutôt à ses conséquences.

Même si l’acte d’acquisition du non-Juif concerne aussi son associé Juif, ce dernier n’est pas associé à l’acte en soi mais seulement à ce qui en découle, c’est-à-dire le changement de propriété.

Encore une fois, cette conclusion découle d’une logique qui ne tient pas compte des nombreuses données possibles. Il serait judicieux de consulter un spécialiste en matière d’idolâtrie.

Un acte d’acquisition fait avec un interdit

Un autre point doit être éclairci : quelle est la loi d’une acquisition faite avec un interdit ?

A part le fait que cet acte soit fait par un non-Juif, mais la Halakha stipule (§195) qu’une acquisition effectuée durant Chabbat est valide. Ainsi nous tranchons (§208) qu’une acquisition par un interdit est valide. Même si le Hagaot Mordekhaï écrit que si avec une prise de propriété on transgresse un serment, l’acquisition est invalidée. De plus, nous fixons la loi comme l’avis de Rava dans Temoura (4a) que tout chose accomplie dans l’interdit ne compte pas. Mais le Sema a déjà répondu à cela en expliquant que cette règle ne s’applique que quand l’interdit se trouve dans l’acquisition en elle-même, mais si l’interdit est extérieur à l’acquisition, comme la transgression du Chabbat, une vente qui entraîne l’interdit de Ribbit (ou intérêts), la vente en soi est valable.

Le Chakh rajoutera sur cette différence en affirmant que si cette vente est faisable de manière permise, même s’il le fait de façon interdite elle sera approuvée. Le Netivot HaMichpat expliquera les dires du Chakh un peu différemment. Selon lui, une acquisition entraînant un interdit qui annule ce dernier par sa propre annulation, se verra annuler par nos Sages, permettant ainsi d’éviter la transgression. Mais dans un cas où une annulation du changement de propriété ne permet pas d’éviter la transgression, comme dans le cas d’une acquisition durant Chabbat, on n’annulera pas la transaction. En effet, l’interdit d’effectuer une acquisition durant Chabbat est dû à la crainte d’écrire (un contrat). L’interdit étant séparé de l’acquisition en elle-même (il est plutôt lié à l’acte), cela ne sert à rien de l’annuler, la transgression étant irrévocable.

Selon cela, concernant une acquisition faite avec un procédé idolâtre, tout le monde s’accordera à maintenir la transaction. L’interdit n’est pas dans la transaction même, elle est faisable de façon permise, et même si on annule le changement de propriété, le rituel idolâtre ne sera pas révoqué pour autant… Il est donc évident qu’une telle acquisition est valide.

[Il faudrait évidemment vérifier que la coutume locale permette d’accomplir une transaction sans passer par ce procédé, car sinon, selon l’avis du Chakh (dans son interprétation simple) cela ne sera pas valide…]

Conclusion

Le terrain est bien dans la possession des deux associés, aussi bien du non-juif que de Ya’acov, conformément la Hala’ha. Sans que cela ne pose de problème concernant le Chabbat, ni même en ce qui concerne la Avoda Zara.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

Comments (4)

  • Laurent H

    tres beau developement, cependant je pense qu’a propos de la avoda zara il y a quand meme un interdit pour yaakov d’ entrainer le non juif a l’idolatrie, de la meme maniere qu’il y a un interdit de faire une transaction avec un non juif le jour de leur fete etant donne que cela va entrainer le fait qu’il va alors remercier son idole (choulhan arouh yore dea 148).

    • Rav A. Melka

      Bonne question. Toutefois il semble évident que l’interdit que vous avez cité concernant le “Yom Eidam” (leur fête) n’existe seulement dans une transaction dans laquelle nous donnons quelque chose au non-juif, soit un objet dans le cas d’une vente, soit de l’argent dans le cas d’un achat. Mais dans notre cas où le juif ne donne rien au non-juif, et l’acte de Avoda Zara du non-juif est pour sa propre acquisition, il y’a pas lieu de considérer que le juif participe à la Avoda Zara.

  • Emmanuel

    D accord avec cette réflexion.
    J aimerais rajouter par rapport a l acquisition faite par l associé sans le consentement de l autre que vous avez fait dépendre de l associé qui pardonne le prêt…pour moi ces deux cas sont aussi éloignés que l est de l ouest…en effet dans le cas du choulkhan aroukh etant donné qu ils sont déjà associés, chacun a déjà de ce fait une propriété sur la totalité de l acquisition (comme vous l avez bien défini par rapport a chabbat) mais pour ▪rentrer▪ dans l association et faire l acte qui nous unit, là je ne pense pas que l associé puisse faire l acte pour l autre qui n est pas encore lié avec lui…surtout s il n y consent pas de cette manière…surtout si yaacov ne veut pas rentrer dans un problème de avoda zara on peut prétendre que ça s appelerait ” ‘hov hou lo” c est pour lui un désagrément…il faudrait peut-être voir si il est d accord de faire le kinyan même si il ya du issour dedans…

    • Rav A. Melka

      Il est vrai que le cas cité de l’associé qui pardonne le prêt est différent comme tu l’a dis, la vérité je me suis pas entierement appuyé la dessus. Mais l’idée est que contrairement à un Chalia’h (envoyé) sur lequel nous tenons le principe “Letikouné chedarti’h velo leavouté” – “c’est à mon service que je t’ai envoyé et non à mon détriment”, dans le cas des associés, étant donné que les deux sont intéressés, chacun accepte l’initiative de l’autre. Si c’est ainsi cette logique existe aussi lors d’une création d’association. Ceci n’est pas considéré comme un ‘Hov dans la mesure où Yaacov ne transgresse pas d’interdit.

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