Parachat Tsav – Le renouveau plutôt que l’illusion de la nouveauté

Parachat Tsav – Le renouveau plutôt que l’illusion de la nouveauté

L’holocauste mentionné au début de notre paracha fait référence à l’offrande perpétuelle (korban tamid) qui était apportée deux fois par jour. En parallèle à ces sacrifices, nos Sages ont instauré les prières de Chah’arit et Min’ha (Brakhot 26b).

Je commencerai par une question que beaucoup se posent : pourquoi insistons-nous sur une formulation fixe de prière trois fois par jour, au lieu de prier de manière spontanée, à notre manière unique ? Répéter les mêmes actes codifiés pourrait mener à un sentiment de monotonie. Dans cet article, nous proposerons une réflexion sur l’essence du véritable renouvellement.

Prélèvement et Évacuation des cendres, équilibre entre tradition et renouveau

Chaque matin, avant que le Cohen n’allume le bûcher central sur l’autel (mizbeah), il doit accomplir deux mitsvot : le prélèvement et l’évacuation des cendres.

Après la combustion du korban tamid toute la nuit, le Cohen prend une partie des cendres et des résidus accumulés sur le mizbeah, et les dépose au sol à proximité. Ensuite, ce même Cohen change de vêtements pour des habits plus simples et il retire toutes les cendres restantes sur l’autel et les évacue hors du camp.

Le Rav Hirsch trouve dans ces mitsvot un message contemporain :

Le prélèvement des cendres ne vise pas à préparer l’autel pour le service du jour nouveau, qui commencera par l’évacuation des cendres hors du camp. Il s’agit plutôt de la conclusion du service de la journée précédente. En réalité, l’on ouvre le service du jour en revenant sur celui de la journée d’hier. C’est un symbole valable pour tout le service de D-ieu, chaque jour nouveau n’apporte pas de nouvelles tâches, car la tâche qui nous incombe aujourd’hui est la même que celle qui nous a été confiée hier. Le dernier des petits-fils d’Israël se tient à l’endroit où s’est tenu son premier ancêtre… Chaque jour reçoit sa mission du jour précédent.

En d’autres termes, le Rav Hirsch déduit de la mitsva du prélèvement des cendres l’importance que toute mission entreprise par un individu commence par la conclusion de la précédente. Cela crée une continuité qui relie chaque jour au précédent, et une génération à la suivante.

Cependant, après avoir prélevé les cendres scellant le service de l’offrande de la veille, le Cohen est ordonné d’évacuer les cendres et de nettoyer l’autel afin de le préparer pour le service du jour. Cela indique, à l’opposé du prélèvement des cendres, la nécessité d’un renouvellement quotidien.

Voici ce qu’écrit le Rav Hirsch à ce propos :

L’évacuation des cendres exprime, à l’inverse, que la tâche juive se renouvelle chaque jour. Avec un dévouement total et renouvelé, nous remplirons notre devoir chaque jour comme si nous n’avions encore rien fait. Le travail accompli hier ne doit pas limiter notre activité d’aujourd’hui. Le souvenir des actes déjà accomplis pourrait étouffer toute initiative pour de nouveaux actes. Malheur à celui dont le cœur est rempli de la satisfaction de ses actes passés, qui ne travaille pas chaque jour comme si c’était le premier jour de sa vie active.

Le prélèvement des cendres exprime donc le lien avec hier, tandis que l’évacuation des cendres annonce le démarrage du nouveau jour. Le changement de vêtements qui a lieu entre les deux services souligne que deux tâches différentes nous attendent, reflétant chacune un état d’esprit opposé – connexion vs détachement, conservatisme vs renouvellement.

Ce n’est pas un hasard si c’est précisément le Rav Hirsch qui donne cette explication. À son époque – celle des Lumières, il a dû faire face à des défis nombreux et inédits posés à la communauté juive d’Europe. Face à ces défis, certains Juifs ont embrassé la modernité et rejeté totalement l’ancien monde. D’autres, en revanche, se sont retranchés derrière les murs du ghetto, militant pour conserver l’ancien sans rien y changer. Le Rav Hirsch a promu la voie du milieu. Selon lui, il fallait s’ouvrir à la modernité tout en s’accrochant à la tradition juive et en préservant le judaïsme existant. Selon lui, la Torah a un message pertinent et important pour chaque génération. C’est pourquoi il a beaucoup œuvré pour expliquer le judaïsme dans l’esprit de l’époque et rendre accessible les idées de la Torah dans le langage de la génération.

« Au-dessus du soleil » il y a du nouveau

Cette dualité entre considérer la continuité de chaque jour comme étant bâti sur le précédent, et ressentir la fraîcheur de chaque jour comme s’il était nouveau et détaché du passé, peut sembler initialement contradictoire. Mais avec un regard plus approfondi, nous verrons que la véritable innovation ne peut apparaître que sur la base du passé.

Le roi Chlomo dit : « Ce qui a été c’est ce qui sera ; ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera : il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! » (Kohelet 1:9). En d’autres termes, bien que tout au long de l’Histoire nous ayons été exposés à de nombreuses inventions et innovations, tout se comporte encore selon les lois établies par D-ieu dès la Création.

On retrouve l’expression « sous le soleil » dans un autre verset : « Quel profit tire l’homme de tout le mal qu’il se donne sous le soleil ? » (Ibid. 1:3). Là, nos Sages ont expliqué : sous le soleil, autrement dit dans ce bas monde, il n’y a pas de récompense, mais au-dessus du soleil, c’est-à- dire dans le monde futur, il y en a.

On peut également interpréter le verset précédent de la même manière : sous le soleil, il n’y a rien de nouveau, mais au-dessus du soleil, il y a du nouveau. Expliquons dans ce cas ce que signifie « au-dessus du soleil, il y a du nouveau ».

« Sous le soleil » fait référence au cycle du temps. Dans ce cadre, il n’y a rien de nouveau, car le temps ne produit rien de nouveau. Au contraire, le monde ne fait que vieillir avec le temps. Mais celui qui est « au-dessus du soleil » va à l’encontre du temps, il revient au point d’origine, et en réalité, il se renouvelle.

Le cycle du temps plonge l’homme dans une vie de routine et lui fait oublier l’origine de l’existence, comme l’a décrit le Rambam (début des Lois sur l’Idolâtrie) à propos de la propagation graduelle de la doctrine d’idolâtrie au fil du temps. C’est pourquoi le Rambam appelle les vanités de ce monde les « vanités du temps ». Mais l’homme a le pouvoir de briser ce cycle et de revenir à l’origine de son existence, devenant ainsi nouveau.

Dans un esprit similaire, le Gaon de Vilna (rapporté dans le Pah’ad Itshak) écrit que le règne du temps corrompt l’homme, et qu’en conséquence les 365 mitsvot négatives permettent de corriger cela, tandis que le règne de l’homme est la force du renouveau capable de nous faire sortir de ce cycle, ce qui correspond aux 248 mitsvot positives.

Le renouvellement : retour à sa source dans un état plus élevé

Il n’y a rien de nouveau, mais il y a du renouvellement !

Le renouvellement est en lui-même quelque chose de neuf et inédit, car une personne qui se renouvelle atteint inévitablement un niveau plus élevé. C’est pourquoi nos Sages disent : « À l’endroit où se tiennent les baalé techouva, les parfaits tsaddikim ne peuvent se tenir », car le repentir est un « retour à soi », selon les termes du Maharal (Netivot Olam). C’est la raison pour laquelle les Secondes Tables de la Loi sont plus grandes que les Premières, car elles expriment la capacité de l’homme à se renouveler et à revenir par ses propres forces au point de départ. Le but de l’homme est d’atteindre le niveau de Adam Harichon avant la faute.

À titre d’illustration, en musique, une octave est composée de huit notes : après les sept premières notes, la séquence revient à la note de départ mais à une hauteur supérieure. De la même manière, le Rav Hirsch écrit au début de la paracha Chémini que le huitième jour représente toujours un nouveau départ à un niveau plus élevé, comme une nouvelle “octave”.

Sans premier étage il n’y a pas de de deuxième

Il s’avère donc que la véritable nouveauté est justement le fait de revenir à ce qui était, retour qui nous amène inévitablement à un niveau supérieur. Comme lorsque l’on construit un immeuble : tant que l’on continue à construire selon les plans initiaux, un nouvel étage est ajouté. En reproduisant les plans d’origine, nous atteignons à chaque fois un étage plus élevé. Et chaque étage est construit sur le précédent.

Parfois, on peut penser que l’innovation est synonyme de changement, ce qui suggère que pour se renouveler, il faut changer. Cependant, d’un autre point de vue, cette idée peut être trompeuse. Le changement n’entraîne pas en soi le renouveau ; au contraire, il peut renforcer le sentiment de vieillissement, susciter le besoin de changements supplémentaires et perpétuer un cercle vicieux. Le véritable renouveau apparaît lorsque nous somme ancrés dans nos racines.

Ainsi, nous pouvons comprendre les paroles du Rav Hirsch qui combine l’appartenance au passé et l’aspiration au renouveau. Car l’innovation ne consiste pas à faire ou inventer quelque chose qui n’existait pas auparavant, puisque « il n’y a rien de nouveau sous le soleil », mais à renouveler quelque chose qui existe déjà, à donner une lecture nouvelle du passé. C’est pourquoi, pour se renouveler, l’on doit se référer au passé. Sans le premier étage, il est impossible d’atteindre le second. Mais le deuxième étage est différent du premier, il est plus élevé.

Par exemple, dans l’apprentissage d’un art ou d’un savoir comme la musique, répéter le même exercice jour après jour amènera à un meilleur résultat chaque jour. Car la répétition s’appuie sur le travail de la veille et produit ainsi des compétences améliorées et accrues.

D’un côté, il faut répéter inlassablement les mêmes exercices ; de l’autre, il faut insuffler à chaque répétition la même passion et le même enthousiasme que lors de la première tentative. C’est par cet équilibre entre répétition et énergie renouvelée que les gens peuvent élever leurs compétences à un niveau supérieur de maîtrise.

L’offrande perpétuelle et la Téfila

Le Rama, dans son livre « Torat HaOlah », écrit des choses similaires à propos de l’offrande perpétuelle qui était apportée chaque jour, deux fois par jour. Selon lui, cela témoigne du fait que chaque jour est un jour nouveau, avec un événement renouvelé, unique. C’est-à-dire que le fait que nous reproduisions le même service chaque jour souligne précisément le renouveau de chaque jour.

À la lumière de cela, il interprète ce que nos Sages ont dit à propos de l’incident où les Grecs ont amené un porc à Jérusalem à la place de l’offrande perpétuelle, provoquant alors un tremblement de terre. Le Rama explique que ‘hazir (porc) vient de la racine « revenir », comme une roue qui tourne. Le porc symbolise le fait que tout revient à son point de départ, sans renouveau. L’abolition de l’offrande perpétuelle est l’expression de la perspective grecque selon laquelle le monde tourne en rond sur lui-même et qu’il n’y a rien de nouveau. C’est tout l’opposé de l’offrande perpétuelle, et c’est contre cela que nous sommes choqués.  Pour nous, la perpétuité n’est pas routine et immobilisme, mais un rapprochement constant. Tel est le sens du mot composé “korban-tamid” : “korban” signifie “se rapprocher”, et “tamid” implique qu’il est toujours possible de se rapprocher davantage.

À la lumière de cela, on peut mieux comprendre pourquoi nous répétons jour après jour la même formulation fixe de prière. La raison en est que la véritable nouveauté est de se renouveler, c’est-à-dire renouveler quelque chose d’existant, construire un étage sur un autre. Chaque prière devrait nous amener à ce que la prière suivante soit à un niveau supérieur. Ce n’est qu’en répétant la même prière qu’on peut se rapprocher de plus en plus de D-ieu, à l’image de l’élève qui répète les mêmes exercices.

Conclusion

Nous approchons de Pessa’h, la « fête du renouveau ». La paracha Ha’Hodech que nous lisons au début du mois de Nissan vise également à nous faire sortir du cycle du temps et à nous inviter au renouveau. Le ‘hamets, symbole du temps qu’il faut à la pâte pour lever, est un produit du temps. Brûler le ‘hamets symbolise donc l’abolition du produit du temps.

Gardons à l’esprit que le véritable renouveau ne viendra pas en repeignant la maison, en achetant de nouveaux ustensiles et meubles, etc. Cela aura certes un impact, mais le véritable renouveau est le nôtre propre, le retour à notre source. Cela viendra principalement en inspectant les recoins et fissures de toute l’année écoulée. Ranger et trier la maison donnera également un sens à l’année qui vient de s’écouler, savoir ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Ainsi, nous reviendrons au point de départ, comme Nissan est le premier mois de l’année. Mais à un niveau au-dessus de l’année précédente.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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