Un Décret Divin
La Vache Rousse est considérée comme le décret par excellence dans la Torah. Cela réside dans sa nature paradoxale, comme indiqué dans le Talmud (Yoma 14a) : elle purifie les impurs tout en rendant impurs les purs. C’est à ce sujet que le roi Chelomo déclara : « J’ai dit que je deviendrais sage, mais elle est loin de moi » (Kohelet 7:23).
Cette affirmation ne signifie pas qu’il est impossible de méditer sur sa raison d’être. Le Rambam écrit d’ailleurs à plusieurs reprises qu’il convient de réfléchir sur chaque commandement et d’en chercher la raison, y compris pour les décrets divins. Le roi Chelomo voulait plutôt dire qu’une compréhension profonde et complète de ce paradoxe demeure au-delà de l’entendement humain. Son expression « loin de moi » suggère que cette compréhension n’est pas totalement inaccessible, mais simplement difficile à atteindre.
Et en effet, nous trouvons dans les écrits de certains commentateurs que l’idée de cette contradiction n’est pas si étrangère, à l’instar d’un remède qui profite au malade mais nuit au bien portant, ou du feu qui amollit le métal mais durcit les œufs.
Sur cette base, je voudrais proposer une réflexion sur la nature de cette contradiction inhérente à la Vache Rousse.
Les Éléments de la Purification
Après la combustion de la vache, dans le cadre du processus de purification, le Kohen prend du bois de cèdre, de l’hysope et de l’écarlate, qu’il jette dans le feu. Quelle est la particularité de ces bois ? Rachi explique que le cèdre est le plus haut de tous les arbres, tandis que l’hysope est le plus bas. C’est un symbole indiquant que celui qui s’est enorgueilli et a péché doit s’abaisser comme l’hysope et le ver pour obtenir l’expiation.
On pourrait se demander : pourquoi le cèdre est-il nécessaire ? L’hysope seule ne suffirait-elle pas à éveiller des sentiments d’humilité et d’abaissement ?
Ces mêmes bois (cèdre et hysope) sont également mentionnés dans la Torah en relation avec la purification du lépreux. Cependant, alors que pour le lépreux, le lien avec l’orgueil est clair, comme l’explique Rachi : « Car la lèpre vient de l’arrogance », le lien entre l’impureté du mort et la question de l’orgueil n’est pas évident. Nous devons donc approfondir et comprendre : quel est le lien entre l’impureté du mort et l’orgueil, et pourquoi utilise-t-on les mêmes bois dans cette purification ?
En réalité, nous trouvons également dans le Talmud que le fondement de la purification du mort vient de l’opposé de l’orgueil, c’est-à-dire l’humilité. Comme l’a enseigné Rava (Sotah 17a) : « En récompense de ce que Avraham avinou a dit ‘Je ne suis que poussière et cendre’, ses enfants ont mérité deux commandements : les cendres de la vache rousse et la poussière de la Sotah. » Cela suggère que la purification de l’impureté du mort, réalisée au moyen des cendres de la vache rousse, a été donnée aux enfants d’Israël comme un mérite, à la suite de l’humilité remarquable d’Avraham avinou.
On pourrait ajouter que c’est la raison pour laquelle on prend une vache sans défaut et qui n’a pas porté le joug. Une vache sans défaut symbolise une personne qui se considère comme un être parfait, et « qui n’a pas porté le joug » représente quelqu’un qui se sent supérieur, comme si personne n’était au-dessus de lui. La combustion de la vache vient annuler cette attitude d’orgueil.
Le lien entre la Mort et l’Orgueil
Il apparaît donc que la mort est liée à l’orgueil, tandis que la vie – l’opposé de la mort – est associée à l’humilité. Il convient de comprendre ce lien en profondeur.
[Dans le récit de la Création, il apparaît clairement que la mort est entrée dans le monde comme conséquence du péché d’orgueil, comme le reflètent les paroles du serpent « vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal », et la réaction d’Adam qui a accusé sa femme. C’est apparemment la raison pour laquelle l’homme est devenu mortel, car par son ego, il est devenu un être subjectif et déconnecté de l’infini. Mais je voudrais proposer une explication sous un angle légèrement différent.]
Le Maharal (Netivot Olam, Netiv HaAnava, chap 7) rapporte les paroles du Talmud (Taanit 7a) : « Pourquoi les paroles de la Torah sont-elles comparées à l’eau ? De même que l’eau quitte les hauteurs pour aller vers les bas-fonds, de même les paroles de la Torah ne subsistent que chez celui dont l’esprit est humble. » Le Maharal explique que l’eau, contrairement à la terre, n’est pas limitée mais se répand dans toutes les directions, et ne peut donc pas rester en hauteur, qui est un lieu distinct et particulier en soi. De même, la Torah, qui est intellectuelle et illimitée, ne peut demeurer chez l’orgueilleux, car l’orgueilleux est limité, mais elle se trouve chez celui qui possède la qualité d’humilité, qui est une qualité de simplicité illimitée.
Le Maharal nous enseigne que l’orgueilleux est limité, tandis que l’humble est illimité. L’orgueilleux, étant centré sur lui-même, limite sa capacité à apprendre et à se développer. Chaque réalisation est pour lui un point final, un sommet dont le but est de glorifier son nom. Il se concentre principalement sur le fait qu’il a réussi à atteindre cette réalisation. En revanche, l’humble, dans son ouverture au monde et aux autres, voit dans chaque réalisation une opportunité d’apprentissage et de croissance. Il est capable d’assimiler les leçons de la réalisation et d’en faire une partie intégrante de sa personnalité. De plus, alors que l’orgueilleux vit un bref moment d’exaltation en atteignant une réalisation, l’humble est capable de tirer une valeur continue de chaque réalisation, car elle devient une partie de lui-même et sert de base à un développement subséquent.
La Vie, la Mort et l’Humilité
On comprend maintenant clairement le lien entre la vie et la mort d’une part, et l’humilité et l’orgueil d’autre part. La mort symbolise la finitude et la limitation de l’homme. Une personne orgueilleuse, absorbée par elle-même et ses réalisations, ressemble à quelqu’un qui s’est construit une haute tour et s’y retranche. Elle est limitée dans sa perception, centrée sur elle-même, et incapable de se développer ou de croître au-delà de ce qu’elle croit déjà être. En ce sens, l’orgueil est une sorte de « mort spirituelle » – il empêche l’individu de se renouveler, de changer et de grandir. L’orgueilleux est en quelque sorte « mort » dans les réalisations et l’image qu’il s’est créées.
En revanche, la vie symbolise la croissance, le développement et le renouvellement constant. La personne humble, dont les yeux sont ouverts sur le monde et les autres, est toujours prête à apprendre, à changer et à se développer. Elle n’est pas prisonnière d’une perception limitée d’elle-même, mais capable de s’adapter, de grandir et de changer. L’humilité permet à l’individu d’être « vivant » dans le plein sens du terme – se renouveler, se développer et croître sans limite.
Le Cèdre et l’Hysope : Un Équilibre nécessaire
À la lumière de ce qui précède, on peut comprendre pourquoi il faut à la fois le cèdre et l’hysope. A priori, l’hysope seule aurait pu suffire.
Le cèdre symbolise l’aspiration à la grandeur, la reconnaissance de la puissance de l’homme et du potentiel qui sommeille en lui. Nous devons aspirer à la hauteur, croire en nos capacités et reconnaître l’image divine en nous. C’est le point de départ – la croyance que nous sommes capables d’atteindre et de nous élever. D’autre part, l’hysope représente l’humilité, mais pas dans le sens simpliste d’un abaissement de l’esprit. La vraie humilité est la capacité de transformer chaque hauteur, chaque réalisation, en partie intégrante de nous-mêmes. C’est la capacité d’intérioriser nos réalisations comme si nous étions nés avec elles, sans les attribuer à notre ego. Ainsi, chaque réalisation devient un point de départ pour d’autres réalisations.
C’est donc l’essence de la véritable humilité – la capacité de grandir et de se développer, d’accomplir de grandes choses, tout en gardant une modestie et une juste proportion. C’est un processus continu de croissance et de développement, sans s’enliser dans l’orgueil. Les paroles de Rachi, « que celui qui s’est élevé et a péché s’abaisse comme l’hysope », prennent maintenant un sens plus profond. Il ne s’agit pas seulement d’un abaissement comme punition ou réparation, mais d’un processus d’intériorisation de la réalisation et de sa transformation en une partie naturelle du soi.
Cendres et Poussière : Deux Types d’Humilité
À la lumière de ces propos, on comprend bien pourquoi c’est précisément pour l’impureté du mort que la purification se fait par les cendres, contrairement à la femme soupçonnée d’adultère où la purification se fait par la poussière.
La différence entre les cendres et la poussière est que la poussière représente le vide par essence, elle est considérée comme néant par sa nature même, et en tant que telle, elle n’a ni passé ni identité antérieure. C’est précisément parce qu’elle est vide de contenu qu’on peut l’utiliser comme un outil pour faire pousser et faire émerger de nouvelles choses. En revanche, les cendres incarnent un processus d’annulation de l’être. Elles sont le produit de quelque chose qui avait une signification et un contenu, mais qui est devenu néant. L’existence des cendres dépend de l’existence antérieure d’une chose de valeur qui a été annulée. En d’autres termes, la poussière symbolise le néant par essence, tandis que les cendres représentent l’annulation de l’être – un processus de transformation de quelque chose de significatif en néant.
Ces deux mots viennent contrer deux types d’orgueil : le premier se voit comme un être supérieur, comme s’il était élevé par nature sans besoin de correction ou d’amélioration, et le second voit ses réalisations comme le seul fruit de son talent, attribuant tous ses succès à ses seules capacités personnelles.
Dès lors, la purification de la femme soupçonnée d’adultère, qui se fait avec de la poussière, vise à rappeler à l’homme sa bassesse fondamentale. Elle éveille en lui la conscience d’être comme de la poussière par lui-même, et par conséquent, le besoin de développer une croissance.
En revanche, la purification de l’impureté du mort au moyen des cendres de la vache rousse vient mettre en garde l’homme contre le danger qui se cache dans les réalisations du passé. Les cendres lui rappellent de ne pas attribuer ses succès à ses seules capacités, évitant ainsi d’augmenter son ego. C’est un appel à une véritable humilité – la reconnaissance des réalisations tout en gardant de justes proportions par rapport à soi-même.
La Nature Paradoxale de la Vache Rousse
À la lumière de tout cela, la caractéristique particulière de la vache rousse – qui purifie les impurs et rend impurs les purs – s’éclaircit. Au stade de l’aspiration, avant la réalisation, l’homme doit s’élever comme un cèdre, aspirer à la grandeur et croire en sa capacité d’atteindre les sommets. À ce stade, l’influence des cendres pourrait être néfaste. C’est le sens de l’impureté des purs par les cendres de la vache : nous ne devons pas refroidir l’ardeur pour la grandeur dans les âmes qui aspirent à s’élever.
Cependant, après avoir atteint la réalisation, avec l’existence de “l’être”, la tendance s’inverse. C’est là que les cendres sont nécessaires comme mécanisme d’annulation de l’être, non pas pour nier la réalisation, mais pour l’intérioriser avec humilité. C’est la purification des impurs, la transformation de la réalisation d’un facteur externe qui gonfle l’ego en une partie intégrante de la personnalité.
Ainsi, le processus de purification de la vache rousse nous enseigne l’équilibre délicat entre une aspiration audacieuse et une profonde humilité, entre l’élévation du cèdre et l’abaissement de l’hysope. C’est un mouvement constant de croissance spirituelle – aspiration à la grandeur, atteinte de l’objectif, et son intériorisation dans l’humilité, et ainsi de suite.