Parachat Tazria – Le lien entre la lèpre et la sortie d’Égypte

Parachat Tazria – Le lien entre la lèpre et la sortie d’Égypte

La lèpre et la sortie d’Égypte

La parachat Tazria traite principalement des plaies de lèpre, qui selon nos Sages, surviennent principalement en punition du péché de médisance.

Selon Rabbi Avraham Ibn Ezra, il y a un lien entre le lépreux et la sortie d’Égypte, car tout comme la guérison du lépreux requiert une branche d’hysope, de même lors de la sortie d’Égypte, ils ont pris un faisceau d’hysope pour tremper dans le sang du Korban Pessah.

Dans le même esprit, le Ben Ich Haï écrit que les deux trempages effectués lors de Pessa’h, l’un est en référence à la vente de Yossef où ils ont trempé la tunique dans le sang, et le second est en référence à l’hysope trempée dans le sang. Or, la vente de Yossef est venue à cause de la médisance qu’il rapportait à son père sur ses frères.

En réalité, nous trouvons que l’exil d’Égypte est également venu en punition de la médisance, comme le dit Rachi sur le verset “Moché prit peur et se dit : « En vérité, la chose est connue ! » (Chemot 2:14) :

Moché ne comprenait pas ce que les Bnei Israël avaient fait, et se demandait pourquoi eux sont opprimés par un travail forcé alors que toutes les autres nations sont libres ? Mais au moment où il s’aperçut qu’il y avait des délateurs parmi eux, il se dit alors: je vois qu’ils méritent ce qu’il leur arrive !

Ajoutons que l’exil en Égypte est qualifié par le Zohar « exil de la parole », ce qui demande un éclaircissement.

La lèpre, le reflet de l’âme enfermée dans le corps

Concernant la lèpre, nous pouvons nous poser trois questions :

  1. Pourquoi la plaie de la lèpre, qui symbolise l’impureté, est-elle de couleur blanche, alors que le blanc est généralement un signe de pureté, comme il est écrit « Que tes vêtements soient toujours blancs » (Kohelet 9:8) ?
  2. L’une des lois stipule que si tout le corps de la personne est devenu blanc, alors elle est pure. Puisque la couleur blanche est synonyme d’impureté, on peut se demander quelle logique y a-t-il à ce que si tout le corps est devenu blanc, il soit pur ?
  3. L’on doit s’interroger sur le choix du terme « Adam » dans le verset pour désigner celui qui est touché par la lèpre, alors que ce terme est habituellement utilisé pour désigner l’homme dans sa plus haute dignité.

Il semblerait que la couleur blanche soit en elle-même un symbole de pureté, de l’âme pure. Mais ce qui rend impur, c’est l’écart entre cette couleur et la couleur de la peau. La lèpre vient rappeler qu’il y a une distance entre l’âme et le corps de l’homme, l’âme étant en quelque sorte enfermée et confinée par les chaînes du corps. Selon le Sfat Émet, le terme « Néga » en araméen se dit “סגירו” qui signifie fermeture, suggérant que le lépreux s’est lui-même fermé à la lumière de l’âme par la médisance.

Plus l’atteinte est blanche et plus elle est impure, car le contraste entre la tache et la peau est plus grand, ce qui signifie que l’âme est encore plus enfouie à l’intérieur. C’est le sens des mots « son aspect est plus profond que la peau » : plus la tache est blanche et plus elle paraît profonde, indiquant que l’âme est encore plus cachée et dissimulée.

C’est la raison pour laquelle si tout le corps de l’homme est devenu blanc, il est pur, car il n’y a alors plus d’écart entre l’âme et le corps. C’est aussi la raison pour laquelle le texte utilise le terme « Adam », car comme écrit le Chlah HaKadosh, il faut être d’un certain niveau pour subir la lèpre : l’âme elle-même doit encore être pure et blanche. Celui qui a corrompu même son âme ne peut pas mériter une plaie blanche.

Le péché de médisance affecte tous les aspects de l’être

Il nous faut dès lors comprendre pourquoi la médisance étouffe la lumière de l’âme plus que toute autre faute ?

Le Targoum d’Onkelos sur le verset « Il insuffla dans ses narines un souffle de vie, et l’homme devint un être vivant » (Berechit 2:7) explique que cela fait référence à « l’esprit parlant ».

Autrement dit, l’expression de l’âme dans le corps est la parole.

Mais pourquoi les fautes commises avec la bouche seraient plus graves que celles commises en acte ou par la pensée ?

Nos sages mettent le Lachon Hara sur le même plan, voire même au-dessus des 3 péchés capitaux : idolâtrie, inceste et meurtre. Comment comprendre cela ? Qu’y a-t-il dans la médisance qui ne soit dans aucune des 3 fautes si graves qu’il vaut mieux se laisser tuer que de les transgresser ?

Le Maharal explique que chacune de ces trois fautes capitales atteint un organe principal : l’idolâtrie corrompt l’intellect dont le siège est dans la tête, l’inceste corrompt l’instinct animal dont le siège est dans le foie, et le meurtre corrompt l’âme dont le siège est dans le cœur. Mais la médisance, elle, corrompt les trois à la fois, car la parole est l’homme tout entier.

La parole est la rencontre entre l’intellect et le corps. Elle est l’expression de l’intellect à travers les outils du corps. L’homme, par sa parole, unit toutes ses forces. Cela, il ne peut le faire ni par la pensée ni par l’action, mais seulement par la parole.

L’homme peut en effet penser deux choses contradictoires, et même agir d’une manière et penser le contraire. Mais lorsqu’il parle, il ne peut penser à autre chose que ce qu’il dit. La parole est la seule chose qui saisit tout l’homme. Pour autant, la parole est aussi une forme d’action, elle est la mise en œuvre de la pensée, mais à la différence de l’action qui devient indépendante et détachée de la pensée, la parole est une action étroitement liée à la pensée.

C’est pourquoi le péché de médisance obscurcit tout particulièrement la lumière de l’âme, car le défaut dans la parole est un défaut dans toute la perfection de l’homme, dans le cerveau, le cœur et le foie.

La nature du Lachon Hara

Approfondissons encore sur le sens de la faute de Lachon Hara.

Ce péché est le seul à être appelé intrinsèquement « mauvais ». Dans toutes les autres fautes, on ne trouve pas cette notion de « mal », car il y a une motivation compréhensible de commettre l’interdit, donc on ne peut pas vraiment parler de « mal » au sens absolu. Par exemple, le voleur a une raison naturelle de voler, même si la morale et la justice le réprouvent. De même, le meurtre vient généralement des sentiments de colère et de vengeance, et la transgression des interdits sexuels découle du désir charnel. Même si la faute n’est pas en cela justifiable, il y a une raison rationnelle qui pousse l’homme à commettre l’interdit.

En revanche, dans le cas de la médisance, on peut voir le mal dans son essence. Nos Sages (Erouvin 15b) commentent le verset (Kohelet 10:11) « Il n’y a point de profit pour celui qui a une langue », pour nous dire que tout comme le serpent ne tire aucun bénéfice de sa morsure, mais seulement de la chute de l’homme, de même celui qui médit ne tire aucun bénéfice de ses paroles, sinon de la chute de son prochain. Autrement dit, le seul bénéfice de la médisance est la chute de l’autre, ce qui fait que l’homme devient mauvais dans son essence, qui devient tournée vers le fait de nuire à autrui.

D’où vient alors ce désir de dire du mal ? La réponse simple est que l’homme s’imagine qu’en rabaissant et éliminant les autres, il grandira et s’affermira lui-même. Mais cherchons encore plus loin.

Les racines du mal

La médisance présente en effet un certain paradoxe : celui qui médit sur le compte d’autrui est entièrement occupé par son ego et de sa propre grandeur, en fondant ces derniers sur la destruction de l’autre. Mais d’un autre côté, l’existence même de la médisance est liée à l’approbation qu’il cherche auprès des autres. Autrement dit, son moteur est le mépris d’autrui qui le déconnecte peu à peu de la société des hommes, mais en même temps, cette altérité est indispensable pour qu’il puisse continuer à rabaisser ses semblables aux yeux de quelqu’un. De fait, l’individu qui répand la médisance se base sur le mépris des autres pour mieux exister, mais dépend désespérément de leur présence et de leur attention pour pouvoir s’exprimer.

L’explication de ce paradoxe semble être la suivante : l’homme, créé à l’image de Dieu et à Sa ressemblance par sa faculté de discernement et de libre arbitre, peut être tenté de se considérer lui-même comme divin. Au lieu d’intérioriser qu’il est une créature, il peut en arriver à considérer qu’il est un créateur. Il est vrai qu’il a d’une certaine manière une dimension divine, avec une âme qui est une parcelle du divin, mais il doit comprendre qu’il n’est en vérité qu’une simple créature complètement dépendante de l’Être suprême, et que Dieu seul est le Créateur.

C’est pourquoi il est difficile pour l’homme d’accepter l’existence de l’autre, considérant qu’il est lui-même un créateur, un dieu jaloux qui ne peut accepter d’autre dieu. Dans cette conception, l’homme n’est prêt à accepter l’existence de l’autre que si ce dernier se considère lui-même comme une créature soumise à lui. C’est la raison pour laquelle l’homme va se référer aux autres pour se grandir, car ainsi il transforme l’autre en un être soumis à lui. Sans qu’eux consentent à écouter ses paroles, il resterait indépendant mais inutile ; en revanche dès que ces autres écoutent et acceptent ses paroles, ces auditeurs deviennent influencés par le locuteur. Telle est l’intention profonde de celui qui médit : non seulement nuire à celui dont il parle, mais aussi soumettre tous les auditeurs, renforçant ainsi sa dimension de « créateur ».

Il semble que cela soit l’essence du mal : chercher à passer de la condition de créature à la condition de créateur. C’est exactement ce que le serpent a dit à Adam : « Vous serez comme des dieux » – la racine de tout mal est que l’homme se considère comme un dieu. Bien sûr, ce sentiment est à la base des trois fautes graves, mais dans le Lachon Hara, cela s’exprime de manière particulièrement forte, car il n’y a pas d’autre raison que celle-ci, l’homme se voyant comme un créateur.

La réparation de la médisance

La réparation du péché de médisance doit donc passer par l’humilité et la reconnaissance que l’homme n’est qu’une créature, et toute l’humanité avec lui, et que nous dépendons tous de la même Source de vie.

C’est en cela que consiste l’essence de la fête de Pessa’h, qui commémore la sortie d’Égypte et la naissance du peuple d’Israël. A l’image de la création de l’homme, la sortie d’Égypte est en fait l’insufflation de l’âme du peuple, et de même que chez l’individu cela se fait par la parole, de même chez la nation qu’est Israël, cela doit se faire par la parole, selon le verset « Ce peuple, je l’ai formé pour moi, pour qu’il raconte ma gloire » (Yechaya 43:21).

La création du peuple nécessite un récit, et c’est pourquoi nous avons reçu le commandement de raconter la sortie d’Égypte. Ce récit est entièrement construit sur la reconnaissance et la gratitude, car il vient exprimer notre dépendance envers l’unique Dispensateur qu’est le Saint-Béni-Soit-Il. D’ailleurs, le Arizal écrit que Pessa’h vient du mot « peh sakh : la bouche s’exprime ».

Ce récit ressemble au premier cri du nourrisson sortant du ventre de sa mère. C’est pourquoi on juge à Pessa’h sur les récoltes, car les céréales sont associées à la parole de l’homme, comme il est dit dans le Talmud que le nourrisson commence à parler au moment où il mange des céréales.

L’hysope du lépreux

C’est aussi le sens de l’hysope servant à purifier le lépreux, ce qui comme Rachi l’explique vient nous enseigner l’humilité, l’hysope étant la plante la plus basse. Telle est la réparation du lépreux qui était orgueilleux.

De même, la réparation de l’exil d’Égypte, qui était dû à la médisance, doit passer par l’humilité et la soumission totale à D-ieu. C’est le but du récit de la sortie d’Égypte qui exprime une dépendance totale envers Hachem.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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