Parachat Choftim – Nommer un Roi, une Mitsva ou une faute ?

Parachat Choftim – Nommer un Roi, une Mitsva ou une faute ?

Introduction

    «  Quand, arrivé dans le pays que l’Éternel, ton D-ieu, te donne… si tu dis alors : “Je voudrais mettre un roi à ma tête, à l’exemple de tous les peuples qui m’entourent”, tu devras te donner un roi, celui que l’Éternel, ton D-ieu, choisira. » (Devarim 17:14-15)

    Selon Rabbi Yehouda (Sanhédrin 20b), ce commandement est un impératif comme les autres Mitsvot. En effet, trois commandements sont ordonnés aux Bnei Israël lorsqu’ils entrent en Terre d’Israël, le premier consistant à nommer un roi.

    La problématique

      Cette perspective soulève la question de savoir pourquoi dans ce cas le verset introduit la condition : « si tu dis alors : je voudrais mettre un roi à ma tête ». Cette formulation semble suggérer que la nomination d’un roi n’est acceptée que si le peuple exprime un désir de mettre en place un roi, à l’instar des autres nations qui les entourent.

      Plus tard, lorsque le peuple demanda à Chmouel : « Donne-nous donc un roi pour nous gouverner, comme en ont tous les peuples » (Chmouel I 8:5), le verset nous indique immédiatement que : « Cela déplut à Chmouel de les entendre dire : “Donne-nous un roi pour nous gouverner” ; et il adressa une prière au Seigneur. Mais le Seigneur dit à Chmouel : “Cède à la voix de ce peuple, fais ce qu’ils te disent; ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi-même, dont ils ne veulent plus pour leur roi…” » (Ibid 6-7)

      Cela soulève une interrogation cruciale : si la nomination d’un roi est un commandement divin, pourquoi Chmouel se fâche-t-il contre Israël pour avoir demandé un roi, et pourquoi cela semble-t-il mauvais aux yeux de Hachem ?

      Explications des commentateurs 

        1. Au début des lois sur les rois, le Rambam propose une interprétation selon laquelle la demande du peuple était faite par mécontentement, et non dans le but de remplir le commandement. Ils en avaient assez de Chmouel, comme il est dit : « Ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, mais c’est moi qu’ils ont rejeté » (Chmouel 8:7). Autrement dit, ils n’ont pas péché dans le contenu de leur requête, mais dans la raison pour laquelle ils l’ont formulée. 

        2. Le Ramban (Berechit 49:10) propose une autre approche : puisque Chmouel était à la fois juge, prophète et guerrier, agissant selon la volonté de D-ieu et sauvant le peuple, il n’était pas approprié de demander un roi de son vivant. C’est pourquoi D-ieu lui dit : « Ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, mais c’est moi qu’ils ont rejeté pour ne pas régner sur eux », et c’est pour cette raison qu’Il ne leur a pas accordé une royauté stable. 

        On peut toutefois s’interroger sur cette interprétation, car le texte témoigne que Chmouel était âgé, et qu’il avait lui-même nommé ses fils pour être juges, comme il est écrit : « Quand Samuel fut devenu vieux, il confia à ses fils le gouvernement d’Israël » (Chmouel I 8:1). Bien qu’il ait eu 52 ans, la vieillesse l’a frappé comme il est dit dans Ta’anit (5a). De plus, le Chlah hakadoch soulève une autre difficulté : dans ce cas, il est impossible d’éviter la faute, car chaque juge doit être considéré au même titre que Chmouel, Ifta’h dans sa génération comme Chmouel dans sa génération.

        3. Rachi (Chmouel I 8:6) explique que « La chose déplut » parce qu’ils ont demandé un roi pour les juger « comme toutes les nations ». Le Ralbag précise que les Bnei Israël ne doivent pas être dans une situation où un roi peut les juger selon son bon vouloir, comme le font les rois des nations idolâtres qui établissent des lois selon leur propre désir. C’est pourquoi la Torah a dit que si les Bnei Israël demandent à mettre sur eux un roi comme toutes les nations qui les entourent, ils ne doivent le faire qu’avec un roi parmi leurs coreligionnaires, qui respectera la Torah et gouvernera en conformité avec elle.

        Cependant, cette explication présente une difficulté : Chmouel, dans sa plainte, ne mentionne pas l’expression « comme toutes les nations ». Il rapporte seulement ce que le peuple a dit : « Donne-nous un roi pour nous juger ».

        4. Le Ran dans ses Drachot (11) propose une interprétation intéressante. Il explique qu’il y a deux rôles bien distincts : le juge et le roi. Le juge a pour rôle de juger selon les lois de la Torah, tandis que le roi a pour fonction de compléter l’organisation politique de la société et de s’occuper de tout ce qui est nécessaire selon les besoins du moment. 

        L’erreur des Bnei Israël à l’époque de Chmouel était de demander un roi « pour nous juger », c’est-à-dire de vouloir que la justice découle principalement du pouvoir royal plutôt que des juges de la Torah. Cela est considéré comme une faute, car « le roi brise les barrières », c’est-à dire qu’il a le pouvoir de prendre des décisions qui peuvent aller au-delà des limites strictes de la loi, en fonction des besoins du moment ou des circonstances particulières. Lorsque la justice émane exclusivement du roi, il y a un risque que les jugements ne soient pas en accord avec les lois de la Torah. C’est pourquoi le désir du peuple de voir la justice provenir du roi était considéré comme problématique, car cela risquait de compromettre l’application fidèle de la loi Toranique dans le système judiciaire.

        5. Abravanel s’étonne de toutes les interprétations précédentes. En effet, si la simple demande était une mitsva, et que le péché ne résidait que dans la manière, le but, le moment ou l’intention de la demande, alors pourquoi Yéochoua et les autres juges d’Israël qui sont venus après lui ne se sont-ils pas souciés de nommer un roi en Israël, étant donné que cela était un commandement pour eux à leur entrée en Terre d’Israël ?

        Il arrive à la conclusion que la section sur le roi dans la Torah n’est pas une mitsva mais une prophétie pour l’avenir : après que vous soyez dans la terre choisie, après la conquête, les guerres et le partage, je sais que vous serez ingrats en disant de vous-mêmes : « Je mettrai sur moi un roi », non pas à cause de la nécessité de combattre les nations, car la terre est déjà conquise, mais pour égaler les nations qui nomment des rois. 

        L’interprétation proposée par le Abravanel reflète en réalité l’avis de Rabbi Nehoray, qui est en désaccord avec l’opinion de Rabbi Yéhouda mentionnée au début de notre discussion.

        Difficulté sur ces interprétations

        Une difficulté persiste avec toutes ces interprétations : 

        Le texte s’attarde sur la description des fils de Chmouel, indiquant clairement qu’ils ne marchaient pas dans les voies de l’Éternel, se détournant pour des gains personnels et faussant la justice (Ibid 1-5). Il est donc peu plausible que le désir du peuple en demandant un roi pour les juger était simplement de s’éloigner des voies de D-ieu. Pourquoi alors interpréter que c’était seulement une plainte et que leur véritable désir était de se détourner des jugements de la Torah ? Si tel était le cas, il aurait été plus approprié que la description du comportement des fils de Chmouel soit plus concise ou même omise à cet endroit.

        Le Ran tente d’éluder cette question en s’appuyant sur le Talmud dans Shabbat (56b) qui dit que quiconque affirme que les fils de Chmouel ont péché se trompe. Toutefois, dans ce même passage, nous trouvons d’autres opinions : rabbi Meir dit que « se détourner pour des gains personnels » signifie qu’ils prenaient des dîmes et des portions des lévites pauvres (Rachi). Rabbi Yehouda dit qu’ils imposaient des taxes aux propriétaires terriens. Rabbi Akiva dit qu’ils prenaient des contributions excédentaires de la dîme par la force. Rabbi Yossi dit qu’ils prenaient des dons par la force (les parties des sacrifices telles que l’épaule, la joue et l’estomac, bien qu’ils n’étaient pas des prêtres, selon Rachi). 

        Une nouvelle approche 

        La royauté terrestre à l’image de la royauté céleste 

            Nos sages disent : « Le royaume terrestre est à l’image du royaume céleste » (Berakhot 58). Cela signifie que le roi d’Israël est à l’image de la royauté divine, tout comme le Temple terrestre est aligné avec le Temple céleste. C’est pourquoi nous trouvons dans les deux cas le terme “choisir” : concernant le Temple, il est écrit « à l’endroit que l’Éternel choisira » (Dévarim 14), et pour le roi, il est écrit « un roi que l’Éternel ton D-ieu choisira », et aussi « David, mon serviteur, que j’ai choisi » (Melakhim I 11). 

            C’est ce qui est écrit « Tu placeras un roi sur toi », que nos sages interprètent comme exprimant l’injonction de craindre le roi (Sanhédrin 22). Cela est comparable à la crainte de D-ieu, comme Chlomo l’exprime « Crains l’Éternel, mon fils, et le roi » (Michlé 24). C’est pourquoi, un roi qui renonce à son honneur, son renoncement n’est pas valide. De même, un roi peut enfreindre les limites et juger selon sa propre opinion en fonction des besoins du moment.

            Abravanel écrit (ch.17) :

            Car le roi sur terre est à la place du Saint, béni soit-Il, dans le monde. C’est pourquoi, il lui est accordé le pouvoir absolu de punir, même en dehors de la loi, selon les besoins du moment, et d’annuler la loi générale, tout comme HKBH annule les lois de la nature selon les besoins du moment. C’est aussi pour cela qu’il est seul à régner, à l’instar de l’unicité de D-ieu dans Son monde. Pour cette raison, nos Sages ont dit dans le traité Berakhot : « Celui qui voit des rois des nations du monde dit : Béni soit Celui qui a donné de Sa gloire… », et celui qui voit des rois d’Israël dit : « Béni soit Celui qui a donné de Sa gloire à ceux qui Le craignent. » Ce disant, ils reconnaissent que les rois terrestres possèdent une part de la gloire et de la grandeur du Saint, béni soit-Il, par voie de similitude et de métaphore. C’est pourquoi il ne convient pas aux masses de porter la main sur leur roi pour le destituer, car ce serait comme porter la main sur la gloire de D-ieu. Le roi David en a déjà témoigné en disant : « Qui peut porter la main sur l’oint de l’Éternel et rester impuni ? » (1 Chmouel 26:9).

            Un Équilibre Délicat : La Royauté Terrestre dans l’Ombre de la Souveraineté Divine

              A partir de cela, nous pouvons apporter une explication sur la section qui nous concerne : la nomination d’un roi est bien un commandement de la Torah, mais ce commandement ne vient pas s’appliquer de manière absolue, car la royauté appartient à l’Éternel, comme il est dit : « L’Éternel, votre D-ieu, est votre roi » (Chmouel I 12:12), et la royauté terrestre n’est qu’une partie de la royauté céleste, comme il est écrit : « Par moi, les rois règnent » (Michlé 8:15). 

              Ce commandement n’est applicable que lorsque le peuple dira : « Je mettrai sur moi un roi comme toutes les nations », c’est-à-dire qu’ils auront besoin d’un roi pour les affaires politiques et les guerres, de façon semblable aux nations environnantes. Cela n’implique ni péché ni erreur ; au contraire, ils devront établir un roi dans ce cas, qui sera choisi selon la volonté divine, car cela est en rapport avec la royauté céleste, comme mentionné. 

              Ainsi, tant qu’ils n’auront pas besoin d’un roi, ce commandement ne leur sera pas imposé, car l’Éternel est leur roi. Mais si un besoin surgit en raison des facteurs politiques, ils seront soumis au commandement d’établir un roi. Cela ressemble à l’opinion de Rabbi Nehoray, mais il n’y a pas ici de péché ni de récrimination, c’est simplement la forme que prend ce commandement. C’est pourquoi il est prescrit après leur entrée en Terre d’Israël, pour les affaires politiques et les guerres qui pourraient arriver.

              La raison pour laquelle le texte met en avant cette introduction « et tu diras : je mettrai sur moi un roi » semble être que sans cette précision, il pourrait sembler que ce commandement place la nomination du roi comme impératif, en remplacement de la direction divine. C’est pourquoi le texte précise que ce commandement n’est applicable que par nécessité, non comme substitut de la royauté céleste. Ainsi, la Torah n’entend pas que le commandement du roi soit une obligation permanente, comme par exemple le commandement des Tsitsit. Il n’était pas approprié que ce commandement soit exprimé comme un ordre direct en raison du respect dû à la royauté céleste.

              L’erreur du peuple à l’époque de Chmouel 

                Il semble que l’erreur principale du peuple à l’époque de Samuel résidait dans ce point : ils ne concevaient pas le roi comme étant subordonné à la royauté céleste, mais comme une autre royauté à la place de la Royauté divine.

                Le péché en soi semble s’expliquer selon la manière dont le Ran l’a décrit, à savoir qu’ils ont dit : « Donne-nous un roi pour nous juger. » Cependant, il faut expliquer cette erreur autrement : étant donné que le roi est censé représenter la Royauté céleste, si l’on attribue également les jugements de la Torah au roi, cela pourrait être perçu comme si ces jugements lui appartenaient, le plaçant ainsi en lieu et place de D-ieu. Or, les jugements ne sont donnés qu’au juge, qui n’est pas concerné par la royauté mais se contente d’appliquer la volonté divine. Comme nos sages l’ont dit : « Tout juge qui juge un jugement véridique devient partenaire de D-ieu » (Shabbat 10b).

                En ce sens, le peuple d’Israël a péché, bien que leur intention ait été de préserver les lois de la Torah, car penser que le roi avait une royauté indépendante constituait une atteinte à la Royauté divine. C’est pourquoi ils ont dit « mets-nous un roi » et non « mets sur nous un roi ». 

                Conclusion 

                La nomination d’un roi ne peut se faire que dans des conditions spécifiques et particulières. Le roi doit être vu comme une extension de la royauté céleste et imposer une certaine crainte au peuple, afin de montrer qu’il ne s’agit pas d’une royauté indépendante, mais d’une partie de la royauté divine. Ainsi, il juge selon les besoins du moment, mais sa conduite ne doit pas être entièrement identique à celle de D-ieu, car cela diminuerait l’honneur de D-ieu et Sa royauté. 

                C’est pourquoi la royauté du roi ne doit ressembler à la royauté divine que dans ses caractéristiques et la manière de gouverner, mais il ne doit pas juger selon les lois de la Torah, ce rôle restant réservé aux juges.

                C’est ce qui est écrit : « Car là sont les sièges de jugement, les sièges de la maison de David » (Téhilim 122:5). Les sièges de jugement sont ceux du Sanhédrin, et les sièges de la maison de David sont ceux de la royauté, ce sont deux entités bien distinctes qu’il ne convient pas de mélanger.

                Dans cet esprit nous disent les sages (Berakhot 49b): “la bénédiction ‘Boné Yéroushalayim’ [dans le Birkat Hamazon] n’a pas besoin en soi de mentionner la royauté divine. Cependant, étant donné qu’on y a mentionné la royauté de David, il ne serait pas convenable de ne pas mentionner aussi la royauté céleste.”

                Ainsi écrit également le Yaarot Devash (partie 2, discours 9, page 263): “dans la Birkat Hamazon, les sages ont prescrit de mentionner le royaume de David dans la troisième bénédiction, et ont interdit de mentionner le royaume des cieux, même dans “Yaaleh Veyavo” il est interdit de mentionner le roi, afin de faire la distinction entre le royaume céleste et le royaume terrestre, et cela afin d’éviter que les personnes égarées attribuent au roi terrestre des titres divins”.

                Il est donc essentiel de maintenir cet équilibre subtil : reconnaître et se soumettre à l’autorité de nos Rois, qui incarnent un ordre supérieur, tout en gardant à l’esprit qu’ils ne sont qu’une représentation imparfaite du Divin. 

                About The Author

                Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.