Yitro – La Houtspa : une qualité Juive ?!

Yitro – La Houtspa : une qualité Juive ?!

La révélation éblouissante du Sinaï

Notre Paracha nous décrit principalement l’évènement qui marqua notre peuple pour l’éternité : le Don de la Torah.

Etrangement, cet épisode n’est pas uniquement composé du don en soi, mais également de tout ce qui l’accompagnait. De ce fait, la Torah s’allonge sur la description de ce passage :

« Or, au troisième jour, le matin venu, il y eut des tonnerres et des éclairs et une nuée épaisse sur la montagne et un son de cor très intense. Tout le peuple frissonna dans le camp » (Chemot 19,16).

A cet instant, le peuple juif était dans une situation d’effroi. Par la suite, quand il eut le mérite d’écouter les deux premiers commandements du Créateur Lui-même, il est dit :

« Le peuple à cette vue, trembla et se tint à distance » (ibid. 20,14).

Il s’est même plaint ensuite de cette éblouissante révélation :

« Mais désormais, pourquoi nous exposer à mourir, consumés par cette grande flamme ? Si nous entendons une fois de plus la voix de l’Éternel, notre Dieu, nous sommes morts » (Devarim 5,21).

Il ne pouvait supporter une telle puissance spirituelle. Il a donc fallu que Moché intervienne : « Et ils dirent à Moïse :

“Que ce soit toi qui nous parles et nous pourrons entendre mais que Dieu ne nous parle point, nous pourrions mourir” » (Chemot 20,15).

Leur requête sera exaucée, ce sera Moché lui-même qui proclamera les huit derniers commandements, ainsi que le Texte témoigne : « Moïse parlait et la voix divine lui répondait » (ibid. 19,19)

Il y a lieu de comprendre pour quelle raison D.ieu donna-t-il la Torah dans un décor si impressionnant, entraînant la peur et la crainte ? Il semblerait pourtant que la Torah elle-même est composée de connaissances intellectuelles, pourquoi alors ses allures si bruyantes ? Un homme assimile et comprend mieux dans un environnement calme et paisible… En réalité, au moment où les commandements se sont fait entendre, la Terre se fit silencieuse, comme dit le verset : « Du haut du ciel tu fis entendre ta sentence : la terre s’en effraya et demeura immobile » (Tehilim 76,9)

Pourquoi cette introduction si effrayante était-elle nécessaire ?

La réponse à cette interrogation se trouve dans la suite de ce passage, dans la réplique que Moché fit au peuple : « Soyez sans crainte ! C’est pour vous grandir que le Seigneur est intervenu ; c’est pour que sa crainte soit sur vos visages, afin que vous ne péchiez point. » (Chemot 20,16)

En hébreu, le terme utilisé au début de sa réponse est « Nassot », traduit par Rachi (qui est la source de notre traduction) avec une idée d’élévation et de grandeur. Le but de l’intervention divine était pour les grandir dans ce monde. Selon Ramban, ce mot viendrait du terme désignant l’épreuve ou plutôt l’expérience, « Nissayon » en hébreu. Le sens de cette intervention serait la mise en pratique de leur foi. Mais comment le fait de voir ce feu dévorant et de se sentir défaillir devant un tel spectacle amènerait leur foi à se réaliser ?

De plus, ainsi que le souligne le Ya’abets (dans son ouvrage sur Pirkei Avot, ‘Maguèn Avot’) si la volonté divine était de d’amener la crainte sur leurs visages, comment Moché pouvez-t-il débuter ses propos par « Soyez sans crainte ! » ? Nierait-il l’intention de D.ieu dans cette histoire ?!

Il faudrait également souligner que l’expression « sa crainte sur vos visages » est assez inhabituelle ; les émotions siègent généralement dans le cœur de l’homme et non sur sa face ?

Le peuple d’Israël: Timide ou Effronté ?

Le Talmud (Nedarim 20a) commente : « c’est pour que sa crainte soit sur vos visages » – C’est la Boucha. (Terme généralement traduit par la honte, avec une connotation de gêne et de pudeur.) Selon l’usage répandu, la honte s’exprime sur la face, ‘Bochet Panim’. Ainsi, cette gêne amène à la crainte de la faute, comme le verset lui-même conclut : « Afin que vous ne péchiez point ».

Des mots de la Guemara nous pouvons voir que ce tempérament pudique leur fut octroyé lors de cet événement du Mont Sinaï, jusqu’à ce que cette nature devînt une caractéristique propre au peuple juif, condition de leur identité. En effet, les trois signes définissant notre nation sont : « timides »« compatissants »« généreux » (voir Yebamot 79a)

Ce trait de caractère leur fut hérité lors de la révélation du Sinaï, ainsi que nos Sages statueront sur celui étant sans-gêne, qu’il est connu que ses pères ne se sont pas tenus devant le Mont Sinaï…

Il nous faut méditer sur cette qualité qu’est la Boucha, ainsi que de sa nécessité pour recevoir la Torah.

En outre, il nous faut comprendre l’apparente contradiction dans les dires de nos Sages au sujet de ce sentiment. En effet, dans le Talmud (Betsa 25b), il est dit :

« Il y a trois effrontés (dans la Création) : Israel chez les nations, le chien chez les animaux, le coq chez les volatiles. » Nos Sages ont ainsi défini notre peuple comme étant détenteur d’un tempérament on ne peut plus opposé à la gêne : l’effronterie. Paradoxalement, cette même Midah est la source de l’imprécation bien connue de la Michna : « L’effronté (de la face) est destiné au Géhenne et le gêné (de la face) est destiné au jardin d’Eden » !

[Une autre version existe dans le Midrach (Chemot Rabba 42,9) « Il y a trois insolents (dans la Création) »].

Il y a donc lieu de comprendre : le peuple juif est-il insolent et effronté, ou au contraire pudique et gêné ?

Quand l’effronterie ou la honte couvre le visage

Il semblerait que nous devons établir une distinction claire entre la ‘Azout (l’effronterie) et la ‘Azout Panim (l’effronterie ‘du visage’). Ainsi, si cette dernière est vouée à l’enfer et fait opposition à la Bochet Panim (la honte ‘du visage’), l’effronterie en soi est une qualité que l’on exige de tout homme faisant partie de notre patrimoine génétique. Elle n’est aucunement contredite par le tempérament de la Bochet Panim mais fait partie de l’injonction de Rabbi Yehouda Ben Teima : « Sois effronté telle la panthère »

Des mots du Maharal de Prague, il sortirait que cette même nature effrontée, caractérisant la nation juive, est la source du sentiment de Honte la définissant…

Ce paradoxe apparent exige un approfondissement de ces deux traits de caractère. 

Les nations du monde sont souvent comparées à l’Eau (voir le Maharal de Prague et le Ya’arot Devach) ainsi qu’il est écrit : « Arrache-moi au danger, sauve-moi des eaux nombreuses, des mains des fils de l’étranger » (Tehilim 144, 7) etc.

En revanche, le peuple d’Israel est comparé au Feu comme le commente nos Sages (Betsa 25b) « A sa droite, une loi de feu pour eux » – les lois de ceux-là sont comme du feu…

Il n’y a pas plus opposé que ces deux éléments. Le Feu dirige ses mouvements vers le haut, symbolisant ainsi les forces de l’esprit, tandis que l’eau se dirige inexorablement vers le bas, tels les forces de la matière (ainsi explique Rabènou Yossef Gikatilla dans son Sefer HaNikoud)

Ainsi se distinguent les nations du peuple juif, comme l’écrit le Maharal dans plusieurs endroits. Chez les Nations, la « structure » (Tsoura) est complètement annulée par la « substance » (‘Homer), ils ne possèdent ainsi qu’une dimension matérielle, contrairement à Israel chez qui la dimension de la forme (c’est-à-dire de l’esprit délimitant la matière) constitue l’essentiel de leur essence.

Cette différence ontologique se manifesta lors de l’exil d’Egypte, au beau milieu de la Nation exprimant la quintessence de la matière. A travers les divers miracles défiant les lois de la matière, une nouvelle structure apparaîtra, celle d’un peuple éthéré, possédant sa propre réalité, plus spirituelle.

Le feu et Israël: fragiles mais non modifiables

Nous pouvons essayer de discerner à présent le tempérament paradoxal de notre peuple. Le Feu ne possède pas d’aspect palpable et matériel, il est seulement composé d’une substance subtile. Ainsi, d’une certaine façon, il est « effronté », car son environnement ne pourra jamais altérer et modifier sa structure. Changer de forme au feu est impossible, sa permanence est donc l’expression de cette effronterie, insensible au changement. D’autre part, cette même force est la source de sa principale faiblesse : sa fragilité d’existence. En effet, son manque d’adaptation fait que la moindre confrontation à un élément différent le met en péril. L’Air le fera trembler facilement, l’Eau l’éteindra. Sa structure étant incompatible au changement, car constitutif de son être, il sera très rapidement brisé par une autre structure, plus riche en substance.

Pareillement, chez la nation juive, l’effronterie fait partie de son essence car l’esprit est prédominant chez eux. Ainsi, elle sera moins prompte à recevoir une réprimande qu’une autre nation, impliquant un changement, comme notre propre Créateur le témoigne en nous décrivant comme un peuple « à la nuque raide ». De ce fait, le Talmud de Jérusalem (Sanhédrin 11,5) explique le refus de Yona à vouloir corriger la ville de Ninvé, outrepassant l’ordre divin, car il savait que les nations en général sont promptes au repentir. Il était évident que ce peuple allait faire Téchouva, contrairement à notre peuple récalcitrant…

Mais cette difficulté à modifier sa façon d’être n’est pas un défaut à proprement dit, elle découle d’une nature profonde, nature entièrement séparée de la matière, toute entière composée de l’esprit. Changer d’esprit revient pour notre peuple à modifier entièrement son être, contrairement aux autres nations, pour elles, cela ne touche aucunement leur essence matérielle.

D’un autre côté, l’absence de substance grossière et épaisse entraîne une facilité de se laisser impressionner par l’Autre. C’est en cela qu’Israel est Bochet Panim.  

La définition exacte de ce caractère dépend de ce mot ajouté : Panim, littéralement, le visage. Sur le visage d’une personne, nous pouvons lire l’influence de son environnement sur sa personne. Les expressions faciales constituent un aspect important de la communication non verbale de l’individu.

La honte et l’effronterie : le sensible et l’indifférent

Le sentiment de honte possède une dimension sociale évidente. On n’éprouve jamais de honte, seul face à soi-même. Ce n’est que vis-à-vis de l’Autre et de son influence que ce sentiment voit le jour. L’incapacité de se confronter à l’avis d’autrui, le fait d’être impressionné par celui-ci, fait ressortir de la gêne. Être sans scrupules, indifférent à l’effet qu’autrui produit, c’est cela l’effronterie malsaine. La personnification de cette ‘Azout Panim est bien ‘Amalek, comparé dans nos Textes au chien, (cf. Zohar Bechala’h) animal insolent et impudent – « Ces chiens effrontés de nature » (Yechaya 56,11). ‘Amalek est celui qui ne se laisse pas impressionner, indifférent à ce qui l’entoure (comme la parabole le concernant, prêt à se brûler pour faire refroidir une bassine brûlante afin que les autres puissent s’y baigner…).

La définition de ce peuple est « ne craignant point D.ieu » – à l’opposé de la honte et de la gêne.  

Timidité – la clef de la prise de conscience

C’est en cela que cette nature est primordiale pour recevoir la Torah, exprimant par la même occasion notre foi. Ainsi que le Sefer ‘Hassidim (§102) l’écrit : « La Honte et la Foi sont liées ; si l’une disparaît, l’autre la suit ».

La raison à cela découle du fait que pour assimiler et intérioriser un concept dans son ensemble et son intégralité, il faut être impressionné par celui-ci.

Ce sentiment de honte n’est parvenu à Adam et à ‘Hava qu’à travers la consommation du fruit de l’Arbre de la Connaissance. C’est pour cela qu’il est exclusif à l’homme, sans qu’aucun autre être vivant ne l’éprouve, car il ne possède pas de sagesse. Dans ses propos, le Or’hot Tsadikim explicite cette idée en écrivant que « l’intellect est la honte, et que la honte est l’intellect, tu ne verras ainsi aucun homme gêné à qui il manque de la connaissance, et aucun homme savant à qui il manque de la gêne ».

Pour illustrer cela, nous pouvons apporter l’exemple d’un homme qui vit ou même vécut une situation impliquant un danger de mort. Comme le fait de conduire un véhicule à une allure folle tout en s’apercevant soudain que l’automobiliste qui le devance a perdu le contrôle de son véhicule, quittant la route et s’écrasant sur le bas-côté. Continuera-t-il à conduire à cette vitesse, ou même à utiliser son téléphone portable en conduisant ? Pour la plupart des gens, la réponse à cette question est la suivante : Pour un certain temps, certes, il fera attention, puis, la routine aidant, il reprendra ses mauvaises habitudes… Jusqu’à la prochaine catastrophe.

Pourquoi cette réaction ? Sa connaissance du danger a-t-elle changé entre-temps ? A cela la réponse est évidente. La connaissance reste insuffisante quand des intérêts et des ‘oublis’ entrent en considération. Pour que sa connaissance puisse influencer concrètement la conduite d’un homme, il faut faire rentrer un autre facteur : la conscience du danger, grâce à un choc et à la crainte qui en découle. Cette peur et la force de la réaction entraînent que cette connaissance devient intrinsèque à l’homme, devenant ainsi une partie de sa conscience. (Le terme de Da’at signifiant Connaissance est également utilisé pour désigner une connexion…).

Pour conclure, la finalité de ce spectacle impressionnant qui précéda le Don de la Torah était afin d’implanter au plus profond de la nature de notre peuple ce tempérament de Boucha, l’unique moyen au monde garantissant l’intériorisation parfaite des injonctions divine, pour ainsi graver dans le cœur de la Nation que « Toi, seul, Tu as été initié à cette connaissance… ».

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.