Pin’has – Juif par la mère, Cohen par le père ?!

Pin’has – Juif par la mère, Cohen par le père ?!

Les filles de Tsélof’had et l’amour profond de la terre d’Israel 

Vous avez peut-être déjà entendu parler du livre « Les Hommes viennent de Mars, les Femmes viennent de Vénus »? Notre Paracha nous soumet une approche différente des choses : « Les Hommes – du désert du Sinaï, et les Femmes – de la Terre d’Israël ».

Dans notre Paracha, la Torah décrit l’intervention publique des filles de Tsélof’had auprès de Moché rabénou et Elazar Hacohen, pour revendiquer un héritage en Eretz Israël. Elles contestèrent le fait que leur père puisse perdre ses droits à l’héritage suite à sa mort dans le désert sans descendance mâle, s’adressant à Moché pour réclamer leur part légitime. Moché se tourna vers Hachem, qui lui prescrit d’accepter leur réclamation. Par la suite, Hachem énonça Moché les lois déterminant l’ordre de succession.

Selon nos Sages, la demande des filles de Tsélof’had est née d’un attachement tout particulier à la Terre d’Israël. Il symbolise cette spécificité qu’éprouvent les femmes vis-à-vis de cette terre kédocha, contrairement aux hommes qui eux, manifestèrent leur désir de retourner en Egypte à maintes reprises.

C’est ainsi que nos Hakhamim interprètent la juxtaposition de cette intervention inattendue avec le sujet précédent. En effet, la sentence de devoir mourir dans le désert, consécutive à l’incident des explorateurs, ne concerna pas les femmes en raison de leur attachement profond à la Terre Promise.

Les hommes avaient dit: « Désignons un chef et retournons en Égypte» (Bamidbar 14;4), tandis que les femmes déclarent ici: «Donnez-nous possession du pays ! » (Bamidbar 27;4). Il n’est donc pas anodin de trouver à cet endroit de la Thora, le chapitre concernant les filles de Tsélof’had.

Dans cet épisode, la grandeur des femmes se révéla dans toute sa splendeur. Alors qu’elles ne connaissaient rien encore de Terre Promise, n’en ayant entendu parler que par Moché rabénou, les femmes ne se laissèrent pas influencer ni impressionner par la propagande dissuasive des explorateurs.

Cette affection pour la terre est l’une des nombreuses qualités spécifiques aux femmes juives.

Pour l’heure, il nous importe de comprendre ce qui détermine entre l’homme et la femme, ce relatif attachement ? Pourquoi les hommes ont-ils manqué d’enthousiasme vis-à-vis de la mitsva d’entrer en Terre d’Israël, ce qui leur valut de mourir dans le désert ?! Et qu’est-ce qui a fait que les femmes gardent leur optimisme et enthousiasme, et méritent par cela, leur entrée en Israël ?

La transmission matrilinéaire de la Judéité – Une vraie question !

Selon la Halakha, n’acquiert le titre de « juif » que l’enfant né d’une mère juive.

La transmission matrilinéaire de judéité a été codifiée dans la Michna (Kidouchin 66b), qui traite de manière générale du statut légal d’un nouveau-né, qui dépend du celui de ses propres géniteurs. Notre Michna affirme que l’enfant d’une femme non-juive ou d’une servante, suivra le statut de la mère même si le père est juif. Pour reprendre le langage du Talmud, « le fils de ta fille, né d’un païen est appelé ton fils, mais le fils de ton fils, né d’une païenne, n’est pas appelé ton fils, mais le sien » (ibid. 68b).

Ce principe de filiation relevant de la lignée maternelle interroge. Pour quelle raison la mère, plutôt que le père, détermine la judéité de son fils ?

Question qui prend encore plus d’acuité lorsque nous établissons le parallèle avec la notion de «famille» évoquée dans la Thora, qui appartient fondamentalement au père. Ainsi, l’ascendance du titre de Lévi ou Cohen est exclusivement patrilinéaire. Il en est de même pour l’appartenance tribale qui se transmet par le père, comme nous avons l’occasion de le constater dans notre Paracha.

C’est également ce qui ressort de l’épisode des filles de Tsélof’had, où nous voyons que les lois sur l’héritage et le partage des terres vont d’après le père. Concernant les règles de transmission du patrimoine, le Talmud détermine le sens du mot «famille», et affirme que « La descendance du père est appelée famille, tandis que la famille de la mère n’est pas appelée famille, ainsi qu’il est écrit: למשפחותם ולבית אבותם – selon leurs familles, selon les maisons de leurs pères » (Bamidbar 1;2).

Ce n’est pas par hasard si la femme, en se mariant, épouse également le nom de famille du père. Dans les temps anciens, où les noms de famille n’étaient pas vraiment d’usage, les humains portaient le nom de leur père, comme par exemple Yéochoua Ben Noun.

Comment comprendre alors que la Judaïcité fasse exception à la règle et ne se transmette qu’en vertu de la mère ?

Ajoutons à cette interrogation le fait que, pour les nations, le statut de l’enfant soit bel et bien déterminé en vertu de la nationalité du père – béoumot hala’h a’har haza’har (Kidouchin 67b).

La Terre – déterminant du caractère sacré des plants agricoles

Pour expliciter ces interrogations, il est intéressant de comparer ce sujet aux lois relatives aux plantations agricoles.

Concernant les lois agricoles qui dépendent de la Terre d’Israël, le caractère sacré des plants, nécessitant le prélèvement de dîmes de Teroumot et de Maaseroh, ne dépend absolument pas de l’identité de la graine à l’origine de ces pousses. Le sol, ainsi que le lieu de culture de ces plantes sont ceux qui en détermineront finalement le caractère sacré. Une graine provenant de l’étranger, semée en Terre d’Israël portera des fruits emprunts de sainteté. La réciproque est également vraie, une graine d’Israël plantée à l’étranger ne suscitera pas la sainteté de la récolte.

La logique d’une telle loi ne parait absolument pas évidente à priori. Après-tout, la graine est la véritable racine de toutes les productions à venir. C’est en elle que réside toute l’essence de l’arbre et des fruits qui pousseront conformément à son code génétique. La terre quant à elle, s’apparente à un élément sans doute indispensable, mais qui, finalement est complètement extérieur, et qui de plus, agit de la même manière pour chacune des espèces implantées.

Il semble que l’on puisse interpréter les choses de la façon suivante : même s’il est vrai que le grain détient en lui tout son potentiel – l’espèce, la couleur, la taille etc., il n’en reste pas moins que tout cela est contenu en lui à l’état inactif. Et en réalité, qu’est-ce qui va permettre de concrétiser ce potentiel interne et donner vie à une vitalité cachée ? Qu‘est-ce qui va fournir à l’arbre cette force de croissance au point d’être en mesure de porter ses fruits, si ce n’est la terre ?!

La terre, matière constante et inaltérable, représente la base sur laquelle tout repose. Tout provient de la terre et tout revient à la terre. N’importe quel objet brûlé se transforme en cendre, et donc en terre. La terre ne détient en fait, aucune identité propre, et c’est justement cette caractéristique qui lui accorde toute sa force et cette spécificité de permettre à tout potentiel de se développer. Aussi grand soit son potentiel, sans être enfouie en terre, une graine ne sera jamais apte à le développer.

La Terre et la Mère, deux génitrices…

Il ne semble pas erroné de prétendre que cette même relation qui existe entre la graine et la terre, se retrouve également entre un homme et une femme, un père et une mère. Il existe une relation entre la sainteté de la femme et celle de la terre. Les deux sont aptes à procréer et nourrir leurs “fruits”, d’où l’idée de Terre-Mère dans la Mythologie. On retrouve cette même idée dans la déclaration de Iyov (1;21), « Nu je suis sorti du ventre de ma mère, et nu je retournerai [au ventre de la terre] ». Rachi donne deux interprétations possibles à la locution «ventre de ma mère»: la première, pouvant faire allusion à la terre de laquelle il provient; l’autre, à sa propre mère.

« Père » depuis la conception,  « Mère » à la naissance

D’après nos Sages, un père acquiert son titre de Père dès la conception, alors que celui de Mère n’est attribué à la femme qu’au moment de la naissance de son enfant (voir Méguila 13a). Au-delà d’une distinction purement technique, s’abrite ici une différenciation existentielle. Le rôle du père se détermine selon une dimension conceptuelle. Le père transmet à son enfant sa potentialité. C’est lui qui lui tracera sa trajectoire, développera en lui ses aspirations, façonnera son futur. Par contre, la réalisation et la mise en pratique de ce potentiel, ne pourra se faire que par le biais de la mère. C’est elle, qui le porte depuis sa conception, lui donne les moyens de se développer durant neuf mois, pour donner naissance à une créature accomplie. Elle l’enfante, le nourrit… La mère est responsable de l’accomplissement de l’enfant. Si le père façonne le futur de l’enfant, la mère quant à elle, établit son présent.

Le Père et la Mère – l’identité sociale et l’identité intérieure

Il nous est possible dès lors, de donner un sens à la transmission matrilinéaire de la judaïcité, en prenant pour appui le développement du Maharal de Prague (Gour-Arié chémot 12;30) à propos de la Mitsva de consécration des premiers-nés. Pourquoi cet attribut de kédoucha ne concerne que les premiers-nés de la mère ?

Le Maharal explique que la notion de Kédoucha (sainteté) ne peut être rattachée qu’à un être concret. Or l’acte du père s’arrête à la conception. Il n’amène à l’existence qu’une semence, une aptitude à… Cette existence ne se concrétise, ne s’accomplit et ne s’achève que par le biais de la mère.

Sous cet angle, il est permis de dire que le père est responsable de «l’identité sociale» de l’enfant, lui transmettant son titre et son nom de famille. La mère, véritable porteuse de l’enfant, lui inocule son «identité intérieure», sa judéité et son droit d’aînesse.

Les animaux – aucune prédestination, ils sont ce qu’ils sont !

A la lumière de ce développement, une nouvelle explication s’ajoute à ce que nos Sages nous enseignent – concernant les animaux, nous ne tenons pas compte de la paternité pour déterminer l’espèce d’un animal, celle-ci est exclusivement fixée par la mère (Houlin 79a). Ce principe revêt de multiples implications. Par exemple, concernant les lois relatives aux mélanges interdits, comme celui des animaux engendrés par des croisements interdits. Si leur génitrice est de la même espèce, il sera permis de les croiser ensemble. Il est permis de croiser un mulet dont la génitrice est une ânesse, avec une mule dont la génitrice est une ânesse. Par contre, il est défendu de croiser avec une mule dont la génitrice est une ânesse, un mulet dont la génitrice est une jument (Rambam, lois relatives aux mélanges interdits 9; 6).

La dimension paternelle s’arrête à la conception, qui consiste à transmettre un potentiel. Or, l’animal ne détient pas de potentiel à exprimer. Tout ce qui pourrait provenir d’un animal se trouve en lui depuis sa création. L’essence d’un animal est déterminée à la naissance. On sait par avance, qu’un veau grandira pour devenir un bœuf qui laboure, et un ânon deviendra un âne équipé pour supporter un fardeau. C’est un résultat inévitable, non soumis au choix de l’animal. C’est pourquoi le mot hébreu pour dire  « animal », est « béhéma ». Béhéma est un composé de deux mots hébreux : « bah » (en lui) et « mah » (quoi), ce qui signifie : ce qu’il est, en deux mots, son essence est déjà contenue en lui ! Il n’y a rien dans un animal qui n’existe qu’en devenir pour être réalisé plus tard, c’est ce qui justifie que la paternité soit pas prise en compte pour définir l’espèce animale.

Le Goy : une vie au présent sans devenir

Concernant les lois de l’inceste, nos Sages ont déterminé qu’il n’y a pas de filiation paternelle pour un non-juif (yébamot 98a). Ainsi ont-ils déduit de ce qui a été écrit à propos des Egyptiens (Yéhezkel  23): «leur chair est comme la chair des ânes, et leur force égale celle des chevaux», où il ressort implicitement que la Torah a dépossédé le goy de sa progéniture.

Cette notion peut également faire l’objet d’une nouvelle approche, à l’aune de ce qui précède.

Le goy a échoué face au destin de l’Homme dans ce monde. Il ne vit qu’au présent, sans but, ni avenir. C’est peut-être aussi la raison profonde pour laquelle sa mort ne produit pas d’impureté, par opposition à celle du Juif. En effet, Rabbi Chimon bar Yohaï explique que celui-ci n’est pas inclus dans l’appellation ‘Adam’ mentionnée au sujet de l’impureté du mort. Car ‘Adam’ fait référence à ‘Adama’, la terre, qui symbolise la force de la destinée et de la potentialité. Elle est fondamentalement contraire à l’essence même du goy. Voilà pourquoi la paternité a été vidée de sa rigueur concernant les non-juifs.

Pour conclure… conduire les potentiels à bonne fin !

Revenons à l’histoire des filles de Tsélof’had, et à celle de toutes les femmes de cette génération de manière générale, qui adoraient la terre d’Israël à contre-courant de la propagande des explorateurs, s’opposant aux hommes qui avaient opté pour la vie du désert. Comment comprendre cette différence ?

En réalité, la femme ou la Mère, ont une affinité particulière avec la Terre. Toutes les deux sont de véritables matrices, capables de porter, développer et nourrir leurs fruits. Elles sont exercées à conduire des potentiels à bonne fin. Cette aptitude leur a valu à toutes deux, d’être les responsables incontestables de la Sainteté dans ce monde, au point même de se révéler et se définir comme garantes de la judéité ici-bas.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.