Pourquoi tout est double dans l’histoire de Pourim ?
Il est intéressant de constater la dimension double de la fête de Pourim. En se penchant sur les différentes composantes structurant l’histoire de Pourim, cette dualité apparait sous de nombreuses formes :
- Le décret d’anéantissement de tout le peuple juif fut intenté par deux protagonistes, Haman et Ahachveroch.
- Les raisons proposées par nos Maitres pour justifier un tel décret sont au nombre de deux : le fait de s’être prosterné à une idole, et le fait d’avoir profité du banquet d’un mécréant.
- Les principaux acteurs du sauvetage miraculeux sont Morde’hai et Esther.
- La date commémorative de ce sauvetage est elle-même double : le 14 Adar pour les villes communes et le 15 Adar pour les villes fortifiées.
Tâchons de méditer sur la signification profonde de ce dédoublement (avant que l’effet de l’alcool ne la légitimise…)
Amalek vient s’opposer à nos 2 valeurs essentielles
Au sujet de la suppression du souvenir de ‘Amalek, une certaine ambiguïté apparait dans le Texte :
Suite à son attaque envers Israël, la Torah nous affirme que ”Effacer J’effacerai le souvenir de Amalek” (Chémot 17,14), il semblerait donc qu’à D.ieu incombera cette mission d’anéantissement. Pourtant, par la suite, la Torah nous ordonnera de le faire – ”Efface le souvenir de Amalek” (Dévarim 25,19).
Comment comprendre cette apparente contradiction ?
La haine viscérale que nous vouât Amalek de tous temps doit son origine, comme l’écrit Abrabanel, dans l’acquisition apparemment illégitime du droit d’aînesse et des bénédictions paternelles par Yaacov. Amalek se voit donc en droit de venger son ancêtre Essav, en revendiquant ces deux notions qui font la spécificité de notre peuple.
Ces deux concepts sont mis en exergue à travers deux événements qui forgèrent notre identité :
- Le Don de la Torah apporta le caractère élitiste spécifique à notre peuple, le plaçant au sommet des Nations.
- L’Entrée en Israël, quant à elle, permit la réalisation des bénédictions patriarcales, bénédictions concernant l’abondance matérielle.
Si la Révélation au Mont Sinaï nous fit accéder au rang d’aîné vis-à-vis des autres Nations, notre arrivée en Terre Sainte, en nous plaçant dans un environnement entièrement hermétique, nous sépara à jamais des autres peuples. Ainsi, le premier introduit une hiérarchie au sein même du monde, alors que le second nous extrait entièrement de celui-ci.
Aspirer à détruire ces deux dimensions, tel fut, est, et sera la mission de cet ennemi intemporel. En attaquant Israël à sa sortie d’Egypte, il cherchait à abolir le droit d’aînesse, en annihilant notre prétendue primauté sur notre entourage. A la fin des temps, lors du Retour vers notre Terre, siège des bénédictions, il viendra une fois de plus, représenté par l’ensemble des civilisations, pour tenter de briser notre solitude et notre indépendance face aux autres peuples.
Ces deux masques portés par Amalek à travers les époques ont chacun leur nom : l’Antisémitisme et l’Antisionisme.
2 formes d’éradication, l’une divine et l’autre humaine
Pour chacun d’entre eux est mentionné dans la Torah un ordre d’éradication différent, l’un divin et l’autre humain.
- D.ieu sera celui qui nous protégera lors de la tentative désespérée d’annuler notre supériorité, à l’image de la bataille de Yéochoua où la victoire dépendait de la foi des Bnei Israël, s’ils regardaient vers le Ciel et tournaient leurs cœurs vers leur Père, ils gagnaient.
- Toutefois, il incombera à l’Homme de se protéger des desseins de Amalek, visant à absoudre la limite, géographique ou non, clairement définie entre le Am Israël et les Nations. D’ailleurs, le Talmud évoquera l’injonction d’effacer le souvenir de Amalek suite à notre entrée en Terre Sainte.
Ces deux funestes projets virent le jour à Pourim : Tandis que Haman, descendant direct de Amalek, mit en place l’extermination de notre peuple, Ahachveroch, quant à lui, se souciait du retour de notre peuple sur sa terre, comme le souligne le Ramban au début du traité Méguila.
Haman personnifie l’Antisémitisme, alors que A’hachveroch représente l’Antisionisme, repoussant l’idée d’une quelconque séparation entre les Juifs et les Gentils.
Les deux raisons citées pour intégrer ce décret au plan divin ne sont que le reflet de ces deux aspects du génocide. L’idolâtrie justifie la désintégration du peuple élu, la luxure et le plaisir au sein des autres nations permet l’effacement de cette séparation et de cet isolement.
Si Haman fut éliminé, l’annulation de Ahachveroch nous concerne encore
La survie effective de notre communauté, par la mise à mort du principal coupable, Haman, se fera par D.ieu lui-même, certes caché par le hasard, mais présent. Par contre, l’emprise que A’hachveroch eut sur nos ancêtres se perpétua jusqu’à notre époque. Le Talmud expliquera l’absence du Hallel à Pourim par le fait que nous sommes encore assujettis au règne de ce roi faussement prévenant. Se défaire d’un pouvoir cherchant à unifier toute l’humanité nous concerne encore aujourd’hui.
Nos armes contre ces deux menaces sont représentées par nos héros, Morde’hai et Esther.
- Pour éviter le massacre, seul le rôle moralisateur et le rapprochement vers D.ieu, caractéristiques de Morde’hai, purent éveiller le salut divin.
- La préservation de notre identité, sans être phagocytée par la société environnante, dépendait d’Esther qui, tel le myrte préservant son parfum délicat même dans des lieux nauséabonds, sut garder sa sainteté et sa discrétion dans le palais royal.
Les deux dates où l’on festoie cette double victoire sont applicables dans des lieux différents :
- Les villes communes ne sont concernées que par le 14 Adar, les nouvelles missives n’étant pas encore arrivées pour annuler les précédentes, il nous fallait nous défendre contre l’attaquant, cherchant à détruire notre existence même.
- Les villes fortifiées, quant à elles, symbole d’invulnérabilité et de rupture avec l’entourage, commémorent une victoire écrasante de notre peuple, fort de son identité et de sa particularité. D’ailleurs le critère de référence pour définir les villes fortifiées, est l’époque de Yéochoua, et les sages expliquent : “c’est pour honorer la Terre d’Israël”. En d’autres termes, la célébration du 15 est intimement liée avec l’entrée en Israël.
Pour inscrire ces deux dimensions dans le contexte historique actuel, nous pouvons affirmer que si la principale mission du Peule Juif lors de l’exil fut bien l’imploration de la Miséricorde Divine, avec comme modèle Morde’hai vêtu d’un linceul et recouvert de cendres, notre mission actuelle est d’une toute autre nature. Il est évident que même si les tourments de l’exil n’ont pas disparu totalement, ils se sont certainement affaiblis. Le danger qui nous guette, ainsi qu’aux prochaines générations, est bien cette carence identitaire, pur produit de la mondialisation.
Cette accalmie relative découlant de la Création d’un Etat, apporte avec elle le danger d’une volonté de dupliquer le modèle du monde environnant. Notre devoir est donc de renforcer notre essence, en assimilant la scission obligatoire entre nous et eux, comme nous l’a montré la reine Esther qui, bien que parée de vêtements royaux, a su protéger la beauté de son intériorité sacrée.
Ad délo Yada
C’est certainement dans ce sens que les sages ont institué la Mistvah de se saouler à Pourim jusqu’à ne plus distinguer entre ”Béni soit Mordékhaï” et ”Maudit soit Haman”.
Tant que nous sommes occupés à donner des attributs aux bienveillants et aux malfaiteurs, nous nous inscrivons dans une démarche rationnelle, où rien ne nous sépare véritablement des mauvais si ce n’est que par la justice. Se contenter d’adjectifs pour nous distinguer est une façon de nous mettre au même niveau.
Le jour de Pourim, nous aspirons à dépasser l’intellect, à aller au-delà du raisonnement logique, dans le but de pénétrer dans le domaine Divin, pour accéder ainsi à l’origine des choses.
Dans un niveau si élevé, Mordékhaï et Haman ne peuvent être le sujet central, ils sont uniquement les “acteurs“ du plan d’Hachem.
Les sages ont estimé que par cette Mitsva, nous créons la plus grande distance entre les nations et nous. Par cela, nous transcendons la matière et sortons totalement du cadre rationnel. Ainsi nous accédons au véritable sens de notre Terre, qui n’est pas un simple lieu géographique, mais le Lieu par excellence, celui de la rencontre entre l’homme et son créateur, celui qu’Hachem n’a pas voulu désigner à Avraham justement parce qu’il dépasse tellement toute restriction physique. C’est pourquoi, pointer du doigt certains Etats comme nos ennemis, et d’autres comme nos amis, n’est pas le chemin qui mène vers la délivrance. Le véritable chemin est celui qui nous conduit vers l’origine des choses, où nous sommes en mesure de nous interroger sur le fait même que nous ayons des ennemis. A ce moment, la différence entre amis et ennemis n’est qu’une question de terminologie.
Inspirons-nous de la fête de Pourim, où notre rôle principal ne fut pas l’extermination de Haman, mais plutôt l’abolition du joug d’A’hachveroch, grâce à un travail pour révéler notre nature véritable.
Insufflons alors une âme à notre quotidien, à notre pays, pour permettre la préservation d’une Tradition ancestrale, détenteur de notre individualité.