Parachat Vaéra – Quatre langages de délivrance pour Quatre exils

Parachat Vaéra – Quatre langages de délivrance pour Quatre exils

Les quatre langages de délivrance mentionnés dans notre Paracha correspondent aux quatre empires qui dominèrent Israël durant l’Histoire, rapportent nos Sages. Il s’agit des Babyloniens, des Perses, des Grecs et de Edom ! Du fait que l’exil égyptien synthétise les autres exils, il n’est pas compté parmi les quatre en question, car il est en soi l’origine de ces royaumes asservissants.

Nous allons tenter dans ce propos d’expliquer le lien entre les quatre étapes de la délivrance d’Égypte et les quatre empires.

Quatre délivrances pour un seul exil ?

Ces quatre langages de délivrance expriment les quatre étapes de la délivrance du Peuple Juif de l’emprise de l’Égypte. Ainsi, sans définir pour le moment quelles sont ces étapes (sujet de discussion entre les commentateurs), il convient avant tout de s’interroger sur une question de fond : Pourquoi la guéoula ne s’est-elle pas faite d’une seule traite ? Pour quelle raison a-t-elle nécessité ces quatre stades ? Y avait-il déjà plusieurs exils ?

Les dix plaies : Trois fondements de la Émouna

Le Abravanel écrit que le but des plaies est explicité dans les versets à trois reprises : 1/ dans la plaie du sang, le verset souligne « Par cela tu sauras que Je suis Hachem » (Chémot 7; 17), 2/ dans la plaie des bêtes sauvages il est dit « Afin que tu saches que Je suis Hachem au sein de la terre» (8; 18), 3/ et dans la plaie de la grêle, il est dit « Pour que tu saches qu’il n’existe pas comme Moi dans toute la Terre » (9; 14).

Il explique qu’en ces trois occasions sont exprimées les trois fondements de la Émouna : 1/ la réalité de l’Existence d’Hachem ; 2/ La Providence Divine sur terre – ce qui a pour sens que Hachem veille et conduit ce monde et qu’Il y est mêlé dans ses moindres détails ; 3/Qu’il n’existe aucune autre force en dehors de Lui – ce qui signifie qu’Il actionne et peut modifier à Sa guise les lois de la nature.

C’est là l’intention des trois groupes de plaies définis par Rabbi Yéhouda selon les signes « Detsa’h – ‘Ada’ch – Béaha’v ».

Le premier groupe : le sang, les grenouilles, les poux – vient nous édifier sur l’existence du Maître du monde ; c’est le sens du verset « Car Je suis Hachem » dit dès la première plaie de ce groupe, en l’occurrence le sang. Le deuxième groupe : les bêtes sauvages, la peste, les ulcères – vient nous apprendre l’intervention de la Providence divine à l’échelle individuelle ; c’est ce qui explique le verset « Car Je suis Hachem au sein de la terre », exprimé à l’occasion de la plaie des bêtes sauvages, première plaie du deuxième groupe. Le troisième groupe nous enseigne qu’il n’existe aucune autre force et que Hachem est Seul Tout-Puissant, c’est pourquoi le verset « Il n’y a pas comme Moi dans toute la Terre » est formulé lors de la plaie de la grêle, première du troisième groupe.

Étrangers, asservis et opprimés : trois niveaux d’hérésie

En descendant en Égypte, les Bnei Israel ont atteint le seuil de rébellion contre ces trois fondements, correspondant au propos de nos Sages qui affirment : « Ils pratiquaient l’idolâtrie ».

Cela ne s’est cependant pas produit d’une seule traite. Il a fallu franchir trois paliers consécutifs. Ceux-là mêmes affirmés par Hachem à l’occasion de Sa Promesse à Avraham « Sache que ta descendance sera étrangère sur une terre qui ne sera pas la leur, et ils seront asservis, et ils seront opprimés durant quatre cent ans (15; 13). Trois étapes sont ici mentionnées : 1/ Le fait d’être étranger, 2/ l’asservissement, 3/ l’oppression.

Et effectivement, les Bnei Israel arrivèrent sur une terre étrangère, ils furent ensuite asservis par de durs travaux, et dès lors que Moché s’entretint avec Paro, ils furent opprimés au point d’en arriver au stade d’un souffle court.

Ces trois étapes amenèrent les Bnei Israel à violer graduellement les trois fondements de la Émouna ci-dessus cités, tel que nous allons l’expliquer :

L’homme installé sur une terre étrangère est privé de son indépendance par le fait qu’il se trouve « parachuté » sur un domaine qui ne lui ressemble pas. Et cela, bien qu’il soit encore libre d’agir à sa guise. Ses valeurs en deviennent confuses car elles diffèrent de celles dont il est entouré. L’effet du temps et de la compagnie a pour conséquence d’effacer ses propres principes. La société qu’il fréquente revêt une part conséquente dans sa vie quotidienne, et plus celle-ci se différencie de ses repères personnels, moins il lui est possible de préserver son identité première.

Une telle situation offre une perméabilité à toutes sortes de pensées et d’idéologies étrangères. C’est ce qui explique que lorsque les Bnei Israel quittèrent la terre de Canaan pour descendre en Égypte, où ils furent étrangers, et encore davantage lorsque les tribus disparurent, leurs valeurs et leurs principes commencèrent également à s’effriter pour faire place à la possibilité d’existence d’autres divinités ! Cela, sans y avoir forcément adhéré et sans avoir perdu leur foi en Hachem. En d’autres termes, à ce stade, s’infiltra en eux le doute dans l’Unicité de Hachem. Rien n’était modifié dans les faits, mais ils permirent à d’autres divinités de s’installer dans leur conscience.

Après une période au cours de laquelle ils commencèrent à travailler pour les égyptiens et à être asservis par eux, les Bnei Israel perdirent également leur liberté physique. Ils adhérèrent peu à peu aux divinités de Mitsraïm, au point de les servir et pratiquer l’idolâtrie ; et cela, bien qu’ils n’aient pas totalement oublié ou renié Hachem.

Finalement, lorsqu’ils furent violemment opprimés par la suite, au point que leur être intérieur devienne soumis, et qu’ils ne puissent écouter Moché faute de souffle pour respirer, ils se fondirent alors entièrement aux égyptiens au point de rejeter également la réalité de l’Existence de Hachem.

Les dix plaies jouèrent à ce moment-là leur rôle pour contrecarrer cette situation. Les trois premières plaies eurent pour effet d’annuler « l’oppression » bien que les Bnei Israel soient encore esclaves. De cette manière, ils purent restaurer le principe de l’Existence d’Hachem, bien qu’ils croient également à d’autres divinités étrangères.

Par le biais des trois plaies du deuxième groupe fut annulé l’ « asservissement », car leur condition d’esclaves cessa. C’est ce qui leur permit de servir Hachem au lieu de s’adonner aux dieux de l’Égypte.

Malgré tout, ils restaient étrangers et croyaient encore en la réalité des divinités égyptiennes, bien qu’ils ne les servent plus. Pour contrer cela, vinrent les quatre dernières plaies. Elles restaurèrent leur Émouna totale en Hachem, D‑ieu Unique.

Les Empires en contrepartie de l’âme, du corps et de l’esprit

A la lumière de ce propos, tâchons d’expliquer que les empires viennent eux-mêmes en contrepartie des quatre langages de guéoula.

Au sujet des quatre empires, le Maharal (Ner Mitsva 1) enseigne qu’ils viennent chacun détériorer un des trois fondements de l’homme, l’âme, le corps et l’esprit.

Le royaume de Babel est en rapport avec l’âme car il fut le plus dominant et important. En cela, il est comparé à l’aigle qui s’élève dans les hauteurs. Cela correspond à l’image du néfech de l’homme qui est la force dominante.

L’empire Perse correspond au potentiel physique de l’homme. C’est pourquoi Daniel l’a comparé à l’ours, ainsi qu’ont dit nos sages (Kidouchin 72b) les perses mangent et boivent comme l’ours, sont maladroits comme l’ours et laissent pousser leurs cheveux comme l’ours. C’est pourquoi ils s’opposèrent au Klal Israel en cherchant à les exterminer physiquement.

L’empire Grec se mesura à l’esprit d’Israel, car les grecs représentaient la sagesse, la logique, et pour cette raison, ils cherchèrent à annihiler la Thora et les mitsvot. C’est pourquoi Daniel compara cet empire à la panthère pour son audace ! Cette mida provient de la sagesse.

Ces royaumes avaient pour finalité de nous amener à les vaincre pour faire jaillir notre Émouna en Hachem et cela, que ce soit au niveau de notre âme, de notre corps, et de notre esprit !

Le lien entre les quatre langages de délivrance et les quatre empires

Nous comprenons désormais le lien existant entre la sortie d’Égypte et les autres exils.

Ces trois aspects de l’homme eux-mêmes : l’âme, le corps et l’esprit, sont par nature les trois niveaux d’esclavage et de délivrance qui se déroulèrent en Égypte. Le fait d’être étrangers donna lieu à une transformation intellectuelle comme celle d’accepter d’autres divinités. La servitude amena une métamorphose dans l’activité physique, comme celle de servir ces divinités. Et l’oppression eut pour effet un changement intérieur, pour aller jusqu’à penser qu’il n’y avait plus de place pour l’Existence d’Hachem h”v.

Par conséquent, l’arrêt de l’oppression, qui s’exprime par la délivrance du néfech, a restauré la réalité de l’Existence de Hachem, bien que les Bnei Israel servaient encore d’autres divinités. L’annulation de l’esclavage, qui est la délivrance physique, a conduit Israel à cesser de pratiquer l’idolâtrie. Le fait de ne plus être étranger, correspondant à la libération de l’esprit, permit aux Bnei Israel de renoncer complètement aux divinités égyptiennes pour se consacrer et croire exclusivement en l’Unicité d’Hachem Ytbarakh.

Ce processus préliminaire, qui se réalisa en l’espace d’une seule année chez les Bnei Israel – le temps des dix plaies, se concrétisera de manière plus profonde, étape par étape, à travers l’ensemble des exils.

La libération de l’empire de Bavel nous a délivrés sur le plan du néfech ; elle nous a permis de laisser une place à la réalité de l’Existence d’Hachem dans le monde. Cela fut possible par l’intermédiaire de la délivrance de celui qui a détruit le Beith Hamikdach et a même voulu annuler la réalité d’Hachem dans le monde. Cela correspond à la suppression de l’oppression par le biais des premières plaies.

Cependant, nous sommes encore esclaves, car est aussitôt arrivé l’empire Perse. Cet empire est venu pour que nous soyons délivrés d’un point de vue physique et matériel, de sorte que nous intériorisions que Hachem surveille nos faits et gestes et qu’Il se trouve en nous. Cela ne fut possible que par l’annulation de l’ascendant du roi qui désira que nous tirions du plaisir d’un festin interdit pour nous fondre parmi les nations. Cela correspond à l’annulation de l’esclavage de Mitsraïm.

Il n’empêche que nous restions encore étrangers sur une terre étrangère. L’Empire grec est venu nous sauver au niveau de l’esprit, et cela, à travers l’émancipation d’une nation avec une vision polythéiste, qui acceptait la puissance Divine sans admettre Son Unicité, ni le fait que Israel détient sa part en Lui, cherchant à assimiler le D‑ieu d’Israel à leurs autres dieux. C’est l’annulation du phénomène d’ « être étranger » en Mitsraïm.

Le quatrième langage, une délivrance de la culture de Edom

Il nous reste à comprendre quel est le quatrième langage de guéoula !

Le quatrième empire est celui de Edom, dans l’exil duquel nous nous trouvons plongés ! Le Maharal explique qu’il rassemble les trois précédents, c’est la raison pour laquelle Daniel l’a vu sous la forme d’un animal étrange. Cela signifie qu’il crée une connexion avec les trois aspects ontologiques de l’homme, de sorte que les délivrances de l’âme, du corps et de l’esprit ne soient pas séparées mais réunies et imbriquées l’une dans l’autre.

Le Maharal explique par ailleurs que l’unification du néfech, du corps et de l’esprit se trouve dans la Parole. C’est le sens de l’enseignement de nos sages (Yoma 9a) que le lachon hara équivaut à lui-seul aux trois fautes capitales qui, elles-mêmes, viennent en contrepartie des trois fondements de l’homme énoncés ci-dessus. Contrairement à l’action qui est seulement le résultat des décisions de l’esprit, la parole est l’expression même de l’esprit. A l’inverse de l’acte, il n’est pas possible de parler en pensant à autre chose. Par nature, la parole est la seule chose qui unifie les trois aspects qui définissent l’homme.

L’empire de Edom ressemble à celui d’Égypte. Tous deux contiennent les quatre royautés. C’est sans doute la raison pour laquelle la délivrance future ressemblera à la guéoulat mitsraïm, ainsi qu’il est écrit « comme aux jours de ta sortie d’Egypte, montre-nous des prodiges ». Les deux guéoulot viennent délivrer l’homme sur les plans de l’âme, du corps et de l’esprit, en un mot : de la Parole !

Ces deux exils ont d’ailleurs pour origine une faute au niveau de la Parole ! Celle de Mitsraïm, comme nous l’enseignent nos Sages (Rachi 2; 14) – lorsque Moché rabénou vit que les Bnei Israel disaient du lachon hara, il comprit la cause de l’esclavage. De même, est-il écrit que le règne de Edom commença avec la destruction du deuxième Beith Hamikdach, engendrée par la haine gratuite et le lachon hara (Yoma 9). Quant à la sortie d’Égypte, elle est dénommée dans le Zohar « Guéoulat Hadibour Délivrance de la Parole ».

Cette délivrance correspond à la quatrième formule « ולקחתי אתכם לי לעם – et Je vous prendrai pour Moi comme Peuple ». L’intention vise Matan Thora où furent dites les « ‘asséret hadibérot’ – les dix Paroles (commandements) » qui constituent la guéoula de la Parole, comme l’exprime le Zohar.

Matan Thora relie l’homme à la Parole d’Hachem. Au moyen de la Thora, l’homme devient porteur de la Parole Divine. Une telle Parole compatible avec l’infini fait sortir l’homme de ses limites, elle détient ce potentiel d’unifier les créatures au lieu de les séparer.

L’étude de laThora vient nous délivrer de la Parole mensongère de la culture de Edom, qui justement justifie ses comportements fallacieux au moyen de cette parole… de même que Essav rusait et trompait son père par sa parole en demandant « comment fait-on pour prélever la dîme sur le sel ? » C’est pourquoi il est comparé au porc qui présente ses sabots fendus et proclame ainsi sa légitimité ! (Rachi berechit 26 ; 4).

C’est effectivement la caractéristique de la culture du monde occidental contemporain. Ils se montrent aux yeux du monde sous leur apparence moraliste, alors qu’ils se comportent en réalité comme des animaux. Ils sont experts en beaux discours, se glorifient de leur authenticité et de la pureté de leurs intentions. Ils se proposent de porter secours aux faibles alors qu’ils ne tendent pas la main à leurs proches, comme disait un philosophe français « tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins ». Ces mêmes personnes qui se sont faites les défenseurs des femmes, leur témoignent le plus grand mépris. Ils se prennent de pitié pour les animaux alors qu’ils se montrent impitoyables envers les hommes.

Ne nous faisons pas influencer par cette hypocrisie, par cette « bien-pensance », qui n’est en réalité qu’une « bien-disance » venant masquer la véritable pensée. Un grand écrivain du dix-huitième siècle affirmait même : « la parole a été donné à l’homme pour cacher sa pensée ».

Attachons-nous à la véritable Parole, celle qui nous est dictée depuis le Mont Sinaï, afin de devenir l’expression parfaite de l’âme qui réside en nous.  

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.